Brennan , ou les basses œuvres devenues hautes

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 2411

Brennan , ou les basses œuvres devenues hautes

Il est évident que l’élément le plus important des nominations de la nouvelle “équipe” de sécurité nationale du président Obama réélu (disons BHO-II, pour faire court) est le choix de Chuck Hagel au Pentagone (voir le 7 janvier 2013). Cette importance tient à la potentialité antiSystème, selon les circonstances, de l’événement et de tout ce qui l’accompagne, – rien de plus, rien de moins. A côté de cela, la nomination de John Brennan à la CIA est une confirmation de ce qui ne peut faire aucun doute, qui est la poursuite du développement de ce que nous nommons “politique-Système”.

Dans son analyse implacable et très documentée sur le fait, Glenn Greenwald observe que la nomination de Brennan à la CIA par Obama est un signe indubitable de la “grande continuité entre Bush et Obama” sur les questions de la politique de sécurité nationale développée depuis 9/11, sur les aspects marqués par 9/11 dans cette politique de sécurité nationale. Il s’agit bien de la proposition de base de la définition de notre concept de politique-Système : la “politique de l’idéologie et de l’instinct” développée par GW Bush et transformée décisivement par Obama. La nomination de Brennan entre parfaitement dans cette logique. Quelques observations de Greenwald sur Brennan, son action et sa position jusqu’à sa nomination d’hier, fixent bien les aspects “opérationnels” du débat. (Le texte de Greenwald avec les très nombreuses références selon son habitude, sur son blog du Guardian qui est comme un “journal à part”, – et remarquable, lui, – dans le journal Guardian, est du 7 janvier 2013.)

«Prior to President Obama's first inauguration in 2009, a controversy erupted over reports that he intended to appoint John Brennan as CIA director. That controversy, in which I participated, centered around the fact that Brennan, as a Bush-era CIA official, had expressly endorsed Bush's programs of torture (other than waterboarding) and rendition and also was a vocal advocate of immunizing lawbreaking telecoms for their role in the illegal Bush NSA eavesdropping program. As a result, Brennan withdrew his name from consideration, issuing a bitter letter blaming “strong criticism in some quarters prompted by [his] previous service with the” CIA.

»This “victory” of forcing Brennan's withdrawal proved somewhat Pyrrhic, as Obama then appointed him as his top counter-terrorism adviser, where he exerted at least as much influence as he would have had as CIA Director, if not more. In that position, Brennan last year got caught outright lying when he claimed Obama's drone program caused no civilian deaths in Pakistan over the prior year. He also spouted complete though highly influential falsehoods to the world in the immediate aftermath of the Osama bin Laden killing, including claiming that bin Laden “engaged in a firefight” with Navy SEALS and had “used his wife as a human shield”. Brennan has also been in charge of many of Obama's most controversial and radical policies, including “signature strikes” in Yemen – targeting people without even knowing who they are – and generally seizing the power to determine who will be marked for execution without any due process, oversight or transparency.

»As it typically does in the US National Security State, all of that deceit and radicalism is resulting not in recrimination or loss of credibility for Brennan, but in reward and promotion…»

Brennan est donc, dans cette nouvelle “équipe” de sécurité nationale, celui qui représente ce que nous désignons rapidement comme “politique postmoderniste” dans tous ses aspects dans notre texte du 7 janvier 2013, ou instrument opérationnel principal de la politique-Système (un effort de notre part, dans cette partie du texte, pour rappeler la dénomination de “politique de l’instinct et de l’idéologie”, eût été bienvenu) : «On mettra à part le segment de la politique postmoderniste dans tous ses aspects ; la politique de gangstérisme et d’illégalité allant de la guerre des drones aux assassinats type crime organisé, aux politiques d’intrusion type “agression douce”, etc. Tout cela ne changera pas, Hagel ou pas, parce que ne dépendant pas directement du secrétaire à la défense ni de quelque autre ministre, ni d’une chaîne politique de commandement directe et précise quelconque, mais d’une constellation de pouvoirs divers, allant de la CIA au Homeland Security Department, au commandement des forces spéciales JSOC, à diverses organisations bureaucratiques et d’autres privées, à certains services du cabinet du président lui-même, etc.» Cet aspect entre donc de plain-pied dans la politique-Système dans ses aspects les plus déstructurants et dissolvants, telle qu’Obama l’a développé et caractérisé. La chose est notamment définie de cette façon dans le texte référencé sur la politique-Système…

«Obama a renforcé, diversifié, accéléré cette “politique de l’idéologie et de l’instinct”, d’une façon assez curieuse ou très révélatrice, en l’alignant sur la forme essentielle de l’opérationnalité de cette politique, ou, si l’on veut, son absence de forme (sa “forme informe”). Il a réduit ses structures les plus classiques et les plus fermes (celles des guerres de grande envergure, comme l’Irak, celle des stratégies allant avec) au profit d’une action complètement déstructurée d’interventions diverses plus légères, dissimulées et illégales, d’actions aériennes de drones sans pilote et beaucoup plus anonymes, et tout aussi illégales, d’actions relevant de la piraterie totalement étrangères aux lois et conventions internationales, de généralisation de la cyberguerre dont il est assuré que nul ne peut la maîtriser… […] … passant ainsi de ce qui est identifiable et compréhensible à quelque chose de plus en plus insaisissable jusqu’à l’incapacité de la compréhension, à une politique et une tactique en voie de dissolution elles-mêmes par le fait de leur forme de plus en plus dissoute, et aussi, par le fait de la compréhension d’elle-même par elle-même (par ceux qui la font) de moins en moins évidente, jusqu’à l’incompréhension complète…»

La nomination de Brennan confirme tout cela, jusqu’à l’allure et à la psychologie du personnage : allure brutale, avec un parler à mesure, avec des plaidoiries pour la torture, l’assassinat par les drones, etc., qui, dans les normes de respectabilité du Système, dénotent une vulgarité peu ordinaire par la seule attention portée à l’opérationnalité efficace (soi-disant efficace) de la chose. Brennan apparaît parfaitement comme la version postmoderne et complet-veston de l’exécuteur des basses œuvres ; la nuance de notre titre (“basses œuvres devenues hautes”) voudrait indiquer dans sa dimension “qualitative” le processus d’inversion continuellement à l’œuvre dans ce processus-Système qu’est le constant avancement de l’opérationnalité de la politique-Système.

On observera aussitôt combien la psychologie, voire l’allure même de Hagel, contrastent avec celles de Brennan, confirmant ce qu’on sait de leurs différences. Les deux hommes devraient en théorie être amenés, par leurs fonctions respectives, à mettre en œuvre la plus complète et la plus franche coopération ; il n’en sera évidemment rien. D’autre part, il est impossible de comprendre l’un ou l’autre (Brennan et Hagel) par la simple antithèse qui les sépare, même si elle nous paraît si “parlante”, parce que les deux hommes ne dépendent nullement de processus eux-mêmes clairement structurés. C’est en cela que nous jugeons que la nomination de Hagel, qui semble en complète dysfonctionnalité par rapport à la politique-Système, ne promet nullement la possibilité d’une politique différente au Pentagone et au-delà (selon le poids de Hagel, déjà souligné), – ce qui aurait été préjuger d’un “ordre”, d’un “rangement” existant dans cette politique-Système auquel Hagel serait venu apporter une contestation elle-même ordonnée et rangée… La politique-Système, représentée par Brennan, étant elle-même “informe”, “déstructurée”, voire “incompréhensible”, l’éventuelle divergence de Hagel ne pourra pas s’exprimer par une concurrence ordonnée qui ne trouverait aucune possibilité de s’“opérationnaliser” en raison des connexions entre toutes ces politiques sous l’impulsion de la politique-Système, mais bien plutôt par des initiatives éventuelles amenant un désordre supplémentaire qui, dans ce cas, aurait effectivement la possibilité de devenir un embarras pour la politique-Système… Dans toutes les hypothèses, nous restons dans le désordre. («De ce point de vue assez aisément compréhensible, notre appréciation est donc, plus que jamais, que l’arrivée de Hagel, en raison de l’exceptionnalité du cas, va être la cause d’un désordre considérable…»)

Les inconnues ne se situent pas du côté de Brennan, créature absolument acquise au Système, et dont la grossièreté et la brutalité de pensée garantissent qu’il n’y aura ni nuance, ni hésitation dans le suivi naturel de la politique-Système. Les inconnues se situent du côté de deux personnages plus complexes, qui sont dans le Système bien entendu, mais qui ont montré des spécificités psychologiques bien plus fines et nuancées que le très-sommaire Brennan. Il s’agit bien entendu d’Obama et de Hagel ; il s’agit de savoir ce que le premier attend du second et ce que le second est capable de vouloir faire, éventuellement contre les tendances naturelles du premier, éventuellement au risque de se trouver en position d’affrontement avec le premier (et tout cela, même et surtout à l’intérieur d’une opération politique sur laquelle les deux seraient d’accord, qu’ils auraient lancée ensemble, mais sur laquelle ils seraient amenés à diverger gravement dans le cours de son application)… Au bout du compte, pour les deux mais chacun à sa façon, il faudra rendre des comptes à la politique-Système. C’est là que le désordre guette.


Mis en ligne le 8 janvier 2013 à 08H45