Boycott, un peuple se recompose

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Boycott, un peuple se recompose

Depuis maintenant le 20 avril, un mouvement de boycott massivement suivi au Maroc frappe des produits de trois entreprises.

L’une est une filiale de Danone qui est devenu détenteur majoritaire à 67% de ‘Centrale Laitière’ en 2013 après acquisition des parts de la Société nationale d’Investissements. Depuis 2016, Danone dispose de 95% des parts pour un système mis en place par l’État marocain en 1970, organisant le regroupement des petits éleveurs en coopératives, les circuits de collecte et l’encadrement vétérinaire. Les Marocains lui reprochent la cherté de ses produits que ne justifie pas la petite transformation effectuée sur un lait acheté toujours au même tarif au producteur. Collecter du liquide à travers une chaîne de froid, rajouter quelques levures ou présure puis disposer le tout dans des pots ou des emballages Tetrapack, ces opérations ne rendent pas compte de la culbute du prix à la consommation. Payé 39 centimesau producteur qui le livre, souvent transporté à bicyclette ou par vélomoteur dans des bidons en aluminium ou en plastique, le litre de laitse retrouve dans les épiceries ou les supermarchés en moyenne à 0,63 euros. L’assistance technique prodiguée par Danone consiste à vendre des intrants aux petits éleveurs avec des crédits accordés ‘généreusement’ à taux zéro mais dont le remboursement progressif réduisent tout de même leurs revenus. Leur majorité ont un cheptel de deux à trois vaches ; ils finissent par avoir une activité déficitaire et y renoncent. Les plus grosses fermes de 25 à 30 vaches s’en trouvent renforcées et s’accélère un mouvement de concentration. Le programme Danone a élaboré à leur intention le remplacement des races laitières locales par des Holstein ou des Montbéliardes (actuellement 60%) avec une alimentation idoine conseillée par Danone. En 2013 déjà, des associations de consommateurs avaient dénoncé une entente sur les prix du lait à la hausse entre Danone (60% des parts de marchés) et Jaouda (20% des parts du marché), une menace de boycott qui se profilait.

Au total, l’arrivée d’une transnationale dans la filière du lait restructure la production en éliminant les petits éleveurs, clé de voûte de l’arrimage des paysans à la campagne. Elle les appauvrit et facilite l’exode rural et la surpopulation sans emploi dans les périphéries des villes. Les producteurs résiduels sont progressivement transformés en main d’œuvre de la multinationale. Ils sont rendus dépendants des intrants qu’elle leur fournit et qui permettent une augmentation notable de la productivité. Outre cette intégration quasi-forcée du paysan marocain à la division internationale du travail, les répercussions écologiques d’un tel circuit ne sont pas évaluées et donc ne sont pas comptabilisées dans le coût social global. La constitution de cartel réduit à deux groupes permet à ces derniers de procéder à une hausse des prix à la consommation. Elle n’est plus compensée par l’Etat désengagé désormais puisque il ne figure plus parmi les actionnaires de Centrale alors qu’il en a été le fondateur historique. La consommation pour une majorité de la population au pouvoir d’achat limité fléchit sous la pression des prix et finit par réduire les bénéfices des entités du cartel.

Les eaux  minérales Oulmès, détentrices de la deuxième marque, l’eau Sidi Ali, ciblée par le boycott national, ont fini par réagir à cette campagne.  Les chargés de communication ont proposé de baisser les prix par une réduction des taux de TVA appliqués sur leur produit sans toucher à la marge bénéficiaire. Comportement typiquement arrogant qui puise sa validité dans les théories néolibérales, celles-là même qui ont démontré leur totale incongruité et inefficacité sociale, le ruissellement de la richesse des plus riches vers les plus pauvres. Une recette fiscale soustraite à l’Etat implique soit un prélèvement effectué ailleurs soit un service public assuré de moins. Les eaux minérales sont consommées par les classes moyennes alors que les démunis n’ont parfois pas accès à l’eau potable.

La richesse d’une holding construite sur l’exploitation d’une ressource nationale, une eau souterraine, est de plus perçue comme illégitime par la majorité des consciences qui ont du mal à admettre la privatisation d’un bien national. Le souvenir n’est pas si lointain des terres communes tribales qui ont persisté surtout dans les zones comme les montagnes de l’Atlas où les colons ne sont pas venus perturber par leur spoliation d’anciens systèmes de répartition de la terre.

Depuis la concession attribuée au fondateur de la petite entreprise en 1943, la firme familiale a diversifié ses activités dans les assurances, le transport aérien transcontinental à bas coût et l’immobilier. Les bénéfices du porteur d’eau via des bouteilles en PET (poly téréphtalte d’éthylène) ne semblent pas être minces.

Préoccupé par les injonctions des pays riches concernant les normes environnementales qu’ils voudraient contraignantes pour les plus faibles économiquement, l’Etat marocain avait interdit il y a quelques années l’usage de sachets en plastique par la grande et la petite distribution, ce qui a gêné surtout l’activité des petits vendeurs ambulants. Pourquoi n’a-t-il pas établi des protocoles d’interdiction pour les bouteilles en PET dérivés plastiques à très forte empreinte écologique ? Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la part des Eaux d’Oulmès de baser leur propagande sur la pureté et la naturalité de l’eau distribuée quand celle-ci s’accompagne d’un énorme coût écologique. Boycotter Sidi Ali pour les marges faramineuses engrangées par les concessionnaires certes, mais aussi pour son inutilité et sa toxicité environnementale. Les minéraux apportés par de telles eaux sont présents en quantité suffisante dans l’alimentation et personne n’a démontré la qualité supérieure pour la santé des eaux en bouteille sur une eau acheminée par l’adduction publique car elle n’existe pas. La société de consommation a imposé l’aberration de la bouteille d’eau comme elle a imposé le mouchoir en papier par le biais d’un envoûtement opéré par les publicitaires.

La troisième enseigne boycottée renseigne sur les relations incestueuses entre le public et le privé au Maroc. Ils sont l’illustration du vieil adage ‘on n’est bien servi que par soi-même’ pratiqué partout où une frontière étanche n’est pas élevée entre ceux qui font les lois et ceux qui en bénéficient, c’est-à-dire dans le monde du capitalisme sauvage jeune et moins jeune étendu à quasiment toute la planète. Aucun contre-pouvoir susceptible de limiter cette hybridation n’est fonctionnel.

Le réseau de distribution des carburants Afriquia, leader dans son secteura bénéficié de la libéralisation des prix des hydrocarbures décidée par le gouvernement islamiste du Parti de la Justice et du Développement en 2015. Le premier ministre de l’époque, Abdelilah Benkirane, le ministre de l’Energie et tous les députés ont trahi leur mission en ne servant que les intérêts privés de leur confrère et ministre de l’agriculture Akhenouch, PDG du groupe Akwa dont Afriquia est une filiale. L’arrivée au pouvoir du PJD en 2012 correspondait à une stratégie d’esquive de la gronde populaire qui s’est engouffrée dans les mouvements de contestation du pouvoir lors du printemps arabe. Le PJD était un parti sans passé gouvernemental, encore ‘neuf’ aux yeux d’un peuple toujours abusé, a nourri les espoirs d’une lutte contre la corruption endémique patente qui gangrène le corps social.

Le palais avait adjoint quelques ministres techniques de son cru à un gouvernement majoritairement islamique qui a très vite prouvé son incapacité à gouverner, toujours tributaire des orientations générales prises au cabinet royal. Akhenouch, ministre d’État, lui-même patron d’un parti politique le RNI, pur produit du makhzen créé à l’époque de Hassan II, faisait partie du packaging de contrôle direct du chef de gouvernement. Il a été le premier servi. La dérégulation des prix des hydrocarbures a octroyé aux pétroliers un ‘trop perçu’ estimé 170 milliards de DH. Il en a coûté au peuple marocain deux points de PIB par an, c’est dire que c’est colossal. Afriquia distribue 30% du mazout et plus de 40% de l’essence du pays, elle s’était vite entendu sur les prix à pratiquer avec les autres distributeurs au lieu de laisser jouer la concurrence libre et non faussée, ce qui n’a que rarement fonctionné tout au long de l’histoire du capitalisme. Le PJD, outil accessoire des Usa et de leur politique d’ingérence continue dans les petits pays vassaux, a accompli sa double fonction, leurre d’une alternance et exécution des instructions du FMI et de la Banque Mondiale. 

Le boycott, forme de protestation sociale inédite à cette échelle, a visé d’une certaine manière trois expressions du capitalisme au Maroc.

La forme néocoloniale est illustrée au travers de Danone. Une entité étatique offre un bien public pour une maigre rentrée de devises vite absorbée dans les intérêts de la Dette.

Les eaux minérales Oulmès figurent la croissance exponentielle d’un groupe qui fonde ses revenus sur une rente (revenus et profits sans risques par définition) d’une légitimité douteuse.

Enfin, Afriquia en présente à la fois l’aspect du cartel et de l’entente sur les prix et de façon caricaturale, incarne la sujétion de l’exécutif et du législatif qui confectionnent des lois pour servir des intérêts privés.

Face à cela, les Démunis disent NON.

Le pouvoir est bien en peine de réprimer le mouvement, insaisissable par nature.

Les remontrances faisant appel au patriotisme (sic), les menaces vides de contenu proférées à l’encontre de coupables sans nom et sans nombre n’entravent en aucun cas l’extension du boycott qui vient briser la construction à vrai dire sans réelle consistance du ‘marché libre’. Les Marocains éprouvent leur cohésion dans cet exercice collectif pour une fois réussi. Un objectif prochain se profile pour les boycotteurs qui prendrait un sens symbolique puissant. Un festival musicaltrès coûteux pour les caisses de l’État et des entreprises sommées d’y contribuer est visé. Des stars de la scène internationale viennent pour des cachets astronomiques et indécents se trémousser et donner des décibels devant un parterre d’indigents au ventre et la tête vides. (tittytainment)

Comme dans beaucoup d’autres pays ravagés par les réformes structurelles, l’enseignement public dégradé et d’une piètre qualité est progressivement remplacé par l’école privée pour les enfants  des familles qui peuvent assumer cette charge. Elle représente souvent le 1/3 du revenu du foyer.

Or le Maroc s’enfonce dans le sous-développement irrémédiable avec un taux d’analphabétisme qui frise les 40% de la population.

Des allocations budgétaires dédiées à l’Éducation nationale se sont évaporées dans des prévarications, détournement de fonds, trafic d’influence. Récemment la Cour des Comptes s’est intéressée, après dénonciation publique et fortement relayée de la chose, à une escroquerie qui date des années 2009-2012. 43 milliards de DH, l’équivalent de 5 milliards de dollars ou 15% de la dette extérieure ont disparu. Un plan d’urgence avait été lancé, devant les symptômes alarmants de déficit en alphabétisation et éducation, pour améliorer la logistique de l’enseignement public. Cent onze personnes et parmi elles de hauts responsables encore en poste sont incriminées dans ce casse de la décennie. Portant sur des sommes nettement moins conséquentes, la Commission européenne a confirmé des détournements de fonds par le Maroc opérés dans le cadre du programme Erasmus pour la période 2014-2017. Pour l quelques scandales émergés, combien gisent par les fonds du régime monarchique ?

Comme elle est impunie, la corruption est encouragée et elle fait système.

Pour la majorité du peuple marocain, elle est devenue intolérable mais il garde à l’esprit la catastrophe du sort de la Syrie. Il faudra compter sur son inventivité pour évacuer le régime des gangsters de haut calibre et des voleurs à la petite semaine sans sombrer dans le chaos qui accélérerait sa disparition dans le trou noir du chaos des guerres de faible intensité sans fin.

Il faudra aussi que d’autres, ailleurs se saisissent de cette arme puissante à défaut de grève générale pour se constituer et se faire entendre.

Badia Benjelloun

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