Bolton contre la CPI : le philosophe au marteau

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Bolton contre la CPI : le philosophe au marteau

Les USA, par la voix d’un Bolton parlant avec une violence extraordinaire, viennent non seulement de répudier pour leur compte la Cour Pénale Internationale (CPI ; en anglais International Criminal Court ou ICC), mais de déclarer la guerre la plus sauvage à tout ce qu’elle représente et à tous ceux qui s’en réclament. Bolton, dans une conférence donnée à la Federalist Society, a notamment énuméré les actions que le gouvernement des États-Unis se réservent de prendre contre l’ICC/CPI, – soit un véritable programme de “nous tirons à vue et sans sommation” :

« Ces actions incluraient le refus d'entrée aux États-Unis pour les membres et les employés de la CPI, les sanctions financières contre les juges et le personnel de la CPI s'ils ont des actifs dans le système financier américain et les poursuites pénales y afférant en vertu de la loi américaine. En d'autres termes, quiconque oserait enquêter sur les crimes de guerre américains à l'étranger pourrait se retrouver assis dans une prison américaine, ou même dans un centre de détention comme Guantanamo Bay, traité comme un “terroriste”. »

Le texte d’analysede WSWS.org qui détaille la décision de l’administration Trump rappelle que cette hostilité à l’ICC/CPI n’est pas nouvelle, puisqu’elle est déclarée, au travers de divers mesures et déclarations d’intention, depuis 2002, approuvées dès le départ par un vote à une majorité écrasante du Congrès pour une loi dite American Service-Members’ Protection Act. La loi avait été renforcée par l’administration Bush, puis confirmée par l’administration Obama, avec la précision que les États-Unis se réservaient le droit d’intervenir militairement, si tel ou tel citoyen US s’y trouvait en procès ou incarcéré, pour le libérer manu  militari, – officialisant ainsi le droit d’une intervention militaire unilatérale sur le territoire d’un pays ami (ô combien), membre de l’OTAN, membre du bloc-BAO, souverain bien entendu, etc.

« L’administration Obama avait également confirmé et renforcé cette loi et Bolton l’a saluée en plaisantant considérablement, rappelant qu’elle avait gagné le surnom populaire de “Loi Autorisant l’Invasion de La Haye” car elle avait approuvé à l’avance le recours à la force militaire pour libérer les citoyens américains accusés devant la CPI. à La Haye, Pays-Bas. »

Ces divers détails et rappels historiques montrent combien cette “déclaration de guerre” à la CPI est dans la ligne de la politiqueSystème US, et non pas une rupture de cette ligne comme ses alliés du bloc-BAO le reprochent souvent à Trump. D’autre part, pour le président US, via Bolton qui, dans ce cas, semble exposer une position qui correspond parfaitement aux conceptions du président (ce n’est pas toujours le cas, contrairement à ce qui devrait être), cette attaque contre la CPI correspond à une attaque générale contre toutes les organisations supranationales, ce qui implique une action de type antiglobaliste. (Autant pour GW Bush et Obama avant lui, cela montrant que les positions ne sont pas si tranchées que cela.)

A un moment de son intervention, et pour employer un argument historique décisif, Bolton évoque une analogie historique, telle que la rapporte WSWS.org : « Le passage peut-être le plus révélateur de son discours de 30 minutes a été celui où Bolton décrit ce qu’il juge être les cinq défauts fondamentaux de la Cour Pénale Internationale. Le second “défaut” est que les crimes d’agression sont définis de manière trop vague. Si la CPI avait existé pendant la Seconde Guerre mondiale, elle aurait déclaré les Alliés coupables de crimes de guerre pour le bombardement de l’Allemagne et du Japon – les tempêtes de feu sciemment créées pour dévaster Dresde, Hambourg, Tokyo et tant d’autres villes, avec leurs centaines de milliers de morts, aussi bien que les dévastations nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki. »

Ce passage est intéressant parce qu’il soulève indirectement la validité des tribunaux de Nuremberg : ou bien Nuremberg est justifié dans la forme qu’il prit et Trump et sa clique ont raison par la voix excellente et impérative de Bolton, et au nom de l’exceptionnalisme US qui répudie la CPI supranationale pour l’envoyer dans l’infamie ; ou bien Trump et sa clique ont tort et la CPI est justifiée et légitimée, et alors Nuremberg est une imposture, parce que les chefs alliés qui ordonnèrent ces actes auraient également dû passer en jugement aux côtés des chefs nazis, – ou au Japon, au côté des généraux nippons. 

(L’affaire a d’ailleurs toujours vécu dans l’équivoque et le malaise à cet égard. L’ostracisme dont furent entourés dans certains cas et certains milieux Bomber Harris et Curtiss LeMay, en Grande-Bretagne [Harris] et aux USA [LeMay] respectivement, montre combien ces bombardements stratégiques constituent une douloureuse épine dans la langue des argumenteurs des droits de l’homme, du droit international et ainsi de suite. Par ailleurs, Harris et LeMay trônent dans cette aventure parce qu’ils sont les deux généraux les plus emblématiques, les plus actifs et les plus opérationnels dans ces bombardements de masse, et aussi les moins hypocrites par comparaison avec la multitude d’autres autorités impliquées puisque tous deux n’ont jamais renié la faveur où ils tinrent ces actions de boucherie infernale qu’ils commandèrent...)

Cette analogie, qui ne fait qu’en rajouter sur l’ambiguïté du regard qu’inspire la Deuxième Guerre Mondiale par rapport à ses “suites” juridiques, invite à ouvrir le champ des remarques fondamentales que suggère le discours de Bolton.

• L’exceptionnalisme. Cette conception, qui est une véritable doctrine, subvertit, ou infecte si l’on veut, absolument tous les actes, et donc tous les mots du langages juridique international. “Crime de guerre”, comme “crime contre l’humanité”, sont des concepts qui ont une signification générale et universelle d’une part ; ce sont des concepts qui ont une signification américaniste d’autre part. L’exceptionnalisme tranche tout, il sort les USA des conceptions “générales” et “universelles” du monde pour leur donner une place à part, disons au-dessus du “monde universel en général”, où les USA jugent les USA selon les conceptions des USA, quels que soient les actes, les lieux, les circonstances, les nationalités des uns et des autres.

Chacun jugera cette attitude selon ce qu’il en perçoit, mais on ne pourra pas contester qu’elle constitue un énorme obstacle pour l’établissement de relations apaisées entre les peuples et les nations. Par ailleurs, on observera qu’un pays comme la Suisse, le Burundi ou la Bolivie, ne possédant ni des armes nucléaires, ni Wall Street, ni le dollar, ni etc., pourrait difficilement tenir une telle position qui est une position de force. A cet égard, l’exceptionnalisme américaniste, qui a toujours refusé de se cantonner dans le champ de l’affirmation spirituelle comme le font certains peuples, entités, traditions, etc., pour se considérer d'une façon identitaire et glotieuse, est effectivement et éternellement condamné à l’exercice de la force pour acter continuellement son existence prépondérante, terrestre et opérationnelle ; c’est sa grande faiblesse, car ses forces déclinent sous les ricanements de satisfaction du barbare Bolton et la révélation constante de ses atrocités terrestres sans nombre qu’il (l’exceptionnalisme US) refuse de considérer pour ce qu’elles sont.

« Les États-Unis sont destinés à remplacer et à surpasser l’histoire merveilleuse des temps féodaux ou ils constitueront le plus retentissant échec que le monde ait jamais connu… », écrivit leur poète Walt Whitman : même hors du jugement de la CPI et sans nécessité de procès, par la simple force de l’évidence de la vérité-de-situation historique, – une véritable “force” spirituelle, celle-là, – il est extrêmement difficile de considérer les USA de Bush-Obama-Trump (pour une fois mis ensemble) comme “surpassant l’histoire merveilleuse des temps féodaux”, sinon à céder au plaisir de la manufacture d’un simulacre, – Trump Tower vs Notre-Dame-de-Paris. Leur poète national Walt Whitman ne s’en relèverait pas, s’il n’était déjà mort, – ce qui lui évite ainsi le tragique constat de l’imposture.

• La souveraineté. C’est le thème principal développé par Bolton comme par ses prédécesseurs contre la CPI. (Le thème de l’exceptionnalisme, lui, n’est pas développé puisqu’immanent à tout discours américaniste de cette sorte). Sur ce point, il y a bien des arguments et, de façon très significative, ils alimentent une vision généralement qualifiée de “souverainiste” (donc qui semblerait alimenter aussi la position américaniste), – laquelle vision a paradoxalement une valeur générale et universelle.

(Il est temps ici de signaler que de nombreux autres pays, – autour de 70, dont notamment la Russie, la Chine et l’Inde, – n’acceptent pas la CPI puisqu’ils n’ont pas ratifié le traité qui l’institue même s'ils l'ont signé. Mais contrairement aux USA, ils ne partent pas en guerre contre elle ni ne menacent d’envahir les Pays-Bas. Ils laissent l’affaire en suspens car ils sentent bien qu’il y a dans cette querelle des contradictions difficiles à résoudre et qu’il importe de laisser “du temps historique au temps historique”. [D’autre part, il faut comprendre : la CPI sent le soufre pour nombre de ces pays parce que fortement influencée par le bloc-BAO, y compris et d’abord par... les USA ! Bolton crache dessus mais les supplétifs européens du bloc protecteurs du CPI continuent à cirer les pompes-US.])

En général, on comprend qu’un souverainiste n’accepte pas le pouvoir supranational de la CPI. Il le fait au nom d’un principe qu’il juge universel, et en accord logique avec ce principe : celui qui affirme sa souveraineté affirme un principe qui vaut pour lui, mais aussi pour tous les autres (entités, pays, etc.). Ainsi de Gaulle, chantre de la souveraineté nationale, affirmait et même renforçait le principe nécessaire à la France en défendant la souveraineté pour d’autres pays et entités que la France elle-même, notamment contre les pressions et incursions américanistes. C’est là où l’argument acceptable de la souveraineté développé par Bolton se casse les dents : on ne peut être à la fois souverainiste et “exceptionnaliste-américaniste”, parce que l’américanisme ne cesse de violer la souveraineté des autres sans aucune considération pour le principe de la souveraineté, en soutenant que sa souveraineté est inviolable au nom du principe de la souveraineté.

La péroraison de Bolton, en même temps que des forces US agissent dans un nombre respectable de dizaines de pays sans consultation de leurs autorités souveraines, expose simplement que les États-Unis en prétendant être à la fois exceptionnaliste et souverainiste, s’avèrent être une farce historique et un simulacre de nation souveraine. Il ne leur reste qu’à se suicider, selon les instructions (« En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant » [Lincoln]).

 

Mis en ligne le 11 septembre 2018 à 19H36