Alep ou Stalingrad sur le Tigre (*)

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Alep ou Stalingrad sur le Tigre (*)

En arrière plan, une victoire presque inaperçue

La décision prise par les pays de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole à Alger fin novembre 2016 de réduire de 1,2 Million baril/jour leur production était conditionnée par un effort équivalent que consentiraient d’autres pays producteurs non affiliés à l’OPEP.

C’est chose faite  depuis le 10 décembre 2016.

Réunis à Vienne, les autres pays producteurs majeurs ont conclu cet accord qui représente un niveau de coopération sans précédent.

Les non OPEP, essentiellement la Russie, s’abstiennent d’extraire 600 000 barils jour.

Les 1,8 millions quotidiens ainsi ôtés représentent 2% de la production mondiale.

Deux années d’effondrement des cours ont affecté les économies des pays concernés par la rente de l’or noir. En janvier 2016 le Brent avoisinait les 30 dollars après avoir connu un pic à plus de 111 en août 2008.

La plus grosse part de la réduction OPEP sera assurée par la Séoudie, 500 000 barils, tandis que c’est la Russie, 300 000 barils, qui assume la plus grande amputation pour la partie non OPEP.

Il est certain que, très en amont de la publicité faite à ces décisions, des discussions avaient été menées par les principaux intéressés.

Un axe Moscou-Djeddah a été construit.

Le cours du brut va se relever.

Des fluctuations vont s’organiser autour de la valeur d’échange de cette source d’énergie. Les spéculateurs de tout bord vont être de sortie avec des leviers qui sont autant de pieds de biche pour escrocs patentés. En particulier, des annonces sur les niveaux des stocks mondiaux, en particulier aux Usa mais aussi en Chine, vont être l’un des paramètres limitant un envol sans frein. Elles vont être manipulées par des maîtres en brigandage, dissimulés derrière leurs écrans et leurs lignes de crédit, qui verront se dilater encore leurs richesses.

La croissance mondiale est estimée à 3.4% en 2017 contre 3,1%  en 2016, tirée par une Afrique en train de se transformer en une nouvelle Inde et donc la demande sera accrue.

L’épreuve de la Séoudie

Les Séoud sont sortis victorieux et exténués de cette épreuve de force.

Ils ont réussi à maintenir leurs parts de marchés en désarticulant la production étasunienne de pétrole et de gaz de schiste. 

Les compagnies étasuniennes qui ont investi dans la fracturation hydraulique ont été contraintes de fermer leurs sites existant rendus non rentables sans en ouvrir d’autres en attente d’exploitation et déjà repérés. Elles disposaient pourtant de facilités financières mises à leur disposition  gratuitement par une Fed transformée en imprimerie de papier vert. Elles envisageaient déjà de vendre du gaz à l’Europe via un acheminement sous l’Atlantique. Engie (l’un des trucs venus remplacer la compagnie d’Etat EDF GDF) s’était engagée à s’approvisionner  auprès d’elles au détriment du gaz russe et/ou algérien.

Les revenus pétroliers de la principale pétromonarchie sont passés de 1246 milliards de Saudi Rials en 2012, à moins de la moitié, 446 puis 333 respectivement en 2015 et 2016. Le niveau de la dette nationale cumulée de la Séoudie a grimpé de 84 milliards en 2012 à 142 en 2015 et 316 en 2016. 

Avec les projections d’une hausse très modeste du prix de baril, escomptée à 55 dollars pour 2017, le déficit budgétaire passera de 11,5% du PIB à 7,7% malgré une augmentation attendue des dépenses publiques. 

Les méandres d’une renaissance

De 1973 à 2016, une bonne partie de la politique extérieure des Usa a été conditionnée par le principe de son « indépendance énergétique ».

Le premier choc pétrolier et surtout l’embargo exercé par l’OPEP à l’encontre des pays alliés du régime sioniste lors de son agression dite du Kippour ont déterminé l’occident, Usa en tête, à user de tous les moyens, fort nombreux, pour contrôler le niveau de production, les prix et la circulation du liquide vital. .

Trois des chefs d’Etat à l’origine du relatif collapsus circulatoire de 1973 ont disparu.

Fayçal Ben Abdelaziz  Saoud  est  assassiné par l’un de ses neveux en mars 1975.

Boumediene est décédé en 1978 d’une mystérieuse leucémie.

Mohammad Reza Pahlavi est chassé du pouvoir en 1979, il meurt au Caire en 1980.

L’OPEP n’a plus pris depuis de décision qui eut pu menacer les économies développées.

L’Arabie des Séoud, à la fois plus gros producteur et détenant en principe les plus grandes réserves au monde a adapté son robinet selon les desiderata étasuniens.

Avec deux exceptions remarquables cette dernière décennie.

Alors que Georges W Bush guerroyait en Irak pour le compte des néoconservateurs, le prix du baril ne cessait de grimper pour approcher les 100 dollars en 2008 avant  l’explosion de la crise. Les Saoud, sollicités, n’ont pas pu augmenter leur production à la demande de Bush le deuxième. Vétusté des installations extractives, manque d’investissement ou simple signature du fameux pic pétrolier ?

C’est à ce moment que fut  la décision stratégique de mettre en application la technique connue depuis longtemps du « fracking »  qui aurait permis une nouvelle indépendance énergétique des Usa, perdue depuis qu’ils avaient atteint leur peack oil en 1971.

L’obstination de la Séoudie à ne pas réduire sa production en période de récession mondiale à partir de 2013 fut le deuxième acte de rébellion pétrolier de la Séoudie vis-à-vis de son allié et protecteur.  Pour les pétro-monarques, les enjeux étaient clairs.

D’une part, les Usa se montrent de plus en plus réticents dans leur engagement premier de réaliser au plus vite l’éclatement de la Syrie en petites entités ethniques et confessionnelles.

L’opération ‘changement de régime’ qui devait nettoyer la région de la présence de Bachar Al Assad était la suite du vieux programme de réorganisation du Grand Moyen Orient et a été initiée par les néocons à l’époque Bush. Elle s’appuyait sur un financement des Séoud et du Qatar.  Ainsi, le refus à peine déguisé d’Obama de bombarder Damas était le signal que la protection étasunienne était limitée par les intérêts de la première puissance réservés à l’aire du Pacifique.

D’autre part, en laissant les Usa redevenir indépendants du pétrole du Moyen Orient, ils perdaient leur influence stratégique et économique.

Plus de quarante ans après le choc pétrolier de 1973 qui a fait passer le baril de 3 à 10 dollars, les anciens producteurs ont réorganisé un front.

Les nids de frelons (**) ont été nettoyés de la ville d’Alep.

Lors de sa dernière conférence de presse, Vladimir Vladimirovitch  a rendu hommage à tous les pays qui ont contribué à la libération de la capitale économique de la République Arabe de Syrie.

Parmi eux et en bonne place, il a cité la Turquie et l’Arabie des Séoud.

Il a de même remercié la contribution des Usa, sans lesquels l’entreprise de la destruction de la Syrie n’aurait pu être amorcée et encouragée et donc grâce auxquels son sauvetage par une Russie qui y a joué un rôle d’une portée historique n’aurait pu avoir lieu.

Un peu d’écume (***), à vite oublier

Trump sera vu comme une émergence  auto-stabilisatrice du système occidental-étasunien. Au cours de son inéluctable dissolution, il génère  des éléments qui freinent son attraction vers les trous noirs financiers qu’il n’a cessé de produire pour subsister puis se perdre.

L’industrie manufacturière étasunienne est en surproduction. 

L’économie de la première puissance est en voie de contraction.

Ford a annoncé au mois d’octobre la mise à l’arrêt technique de cinq unités de production pour augmentation de stocks d’invendus. En décembre, General Motors et Fiat Chrysler procèdent à la fermeture provisoire de 7 unités, soit près de 10 000 employés concernés.. Le système d’aide fédérale via les crédits (subprime) à la consommation garantis en dernier recours par l’Etat a épuisé ses effets. Augmenter les taxes douanières comme se propose de le faire la prochaine administration n’augmentera ni les emplois ni la consommation

Il est probable que l’augmentation du prix du baril sera une nouvelle opportunité pour les compagnies pétrolières qui voudront reprendre la fracturation hydraulique. Entreprise risquée car l’ajustement productif nécessite une latence , plusieurs mois, alors qu’au premier excédent sur le marché, les prix retrouveront mécaniquement (ou par la volonté délibérée des pays du nouveau front) leur niveau antérieur.  

  L’industrie de la propagande étasunienne est en perte d’efficacité. En effet, malgré le soutien de deux cents medias en faveur de H R Clinton, versus seulement six pour Trump, le Républicain a été élu. Il a certes aussi profité de l’élimination de Sanders par l’appareil du parti des Démocrates. Les Deplorables, ceux qui souffrent de la désindustrialisation et ne sautent pas d’un enthousiasme immodéré pour le mariage entre personnes de même sexe, seront déçus. La relocalisation des emplois perdus en faveur de l’Asie ne se réalisera pas. 

Pour autant, les élites déconnectées des réalités ne peuvent que persister dans leur cécité. Elles attribuant leurs échecs à l’intervention d’un Diabolus ex Machina. 

Elles s’exaspèrent de la capacité de Poutine à métaboliser positivement les contraintes qu’elles imposent au Reste du monde. Il représente les intérêts d’une bourgeoisie nationale interdite de pêche dans d’autres eaux que les siennes propres, il redonne de la vigueur à une entité étatique et de la fierté à un peuple. Il ne se prive pas d’exploiter les faiblesses patentes de ceux qui s’efforcent de le faire disparaître.

Chercher des alliances parmi les ennemis déclarés n’est pas la moindre de sa politique de contention de l’adversaire par un mouvement dialectique.

Qui donc se rappellera des machines à produire de l’écume journalistique une fois happés dans les trous noirs les derniers lambeaux du système ?

Les crimes contre l’humanité perpétrés contre Alep Est se réduisent à 450 morts contre 150 morts à Alep Ouest, selon la journaliste de France Cul ce vendredi 23 décembre.  De quoi en faire un Guernica ?

Les morts de Falloujah se comptent en plusieurs centaines de milliers, en dehors des malformations congénitales  et des cancers et des liés à l’usage de l’uranium appauvri dans les tapis de missiles qui ont libéré l’Irak.

Badia Benjelloun

 

Notes

(*)  Versus Falloujah ou Guernica sur l’Euphrate.

(**) Expression des  stratèges du régime de Tl Aviv pour décrire leur allumage et l’entretien de contre feux. En d’autres termes, provoquer les luttes intestines meurtrières et dévastatrices chez l’ennemi présumé et compter les coups.

(***)  « De même, l’écume disparaîtra, et ne persistera sur terre que ce qui est nécessaire aux hommes » Cor,  Sourate Araad, verset 17.