A la grâce de la métahistoire…

La grâce de l'histoire

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A la grâce de la métahistoire…

14 janvier 2012 – Sans doute est-ce là le déclic lorsque, “feuilletant” la rubrique de La grâce de l’Histoire, l’on s’aperçoit que la dernière “parution” date de la fin de 2010 (exactement le 2 décembre 2010), et qu’ainsi l’année 2011 s’est écoulée sans rien, en vérité comme lorsqu’on parcourt un désert… A cet instant où je réalisai toutes les implications de la chose, fonctionna le déclic, en vérité, ce tressaillement de la pensée qui éclaire l'esprit et écarte le d oute. Je conclus qu’il fallait que je m’y mette, que je le devais aux lecteurs de ce projet, aux lecteurs du site, que je le devais à moi-même après tout. Mais il y a une histoire derrière tout cela, et c’est aussi sa grâce que je sollicite, – la grâce qu’elle ne soit pas en vain, cette histoire, qu’elle accouche enfin de ce dont elle est grosse.

Lorsque la “Cinquième Partie” (les guillemets s’expliqueront d’eux-mêmes, plus loin) fut publiée, le 2 décembre 2010, le “plan” indiquait alors que nous touchions au terme. Originellement, une conclusion devait encore venir, pour terminer le tout. Entretemps, et certainement d’ores et déjà ce 2 décembre 2010, le projet avait germé d’une “Sixième Partie”, intercalée entre la “Cinquième” et la conclusion ; la logique ne redit rien à cela, sauf que cette “Sixième” me réservait des surprises. En fait de “Partie”, c’est un monstre qui s’est levé… Et lorsqu’un monstre paraît là où vous attendiez l’enfant, l’angoisse accompagne cette naissance inattendue. Ce fut le cas.

L’enfant est devenu un monstre, disais-je… C’est-à-dire qu’il est né adulte, considérable, immensément ambitieux, sorte de Pantagruel à qui l’on n’a plus rien à apprendre dès qu’il paraît mais qui, au contraire, prétend vous prendre la main et vous emporter sur des chemins connus de lui seul, là où vous n’auriez jamais imaginé aller. Ainsi en fut-il de cette “Sixième Partie”.

Considérant l’immensité de la chose dans ses perspectives une fois que je me fus aventuré assez loin, deux pensées s’installèrent en moi.

• La première, fort pratique sinon technique, fut que cette “Sixième Partie” ne pouvait garder cette dénomination parce qu’elle s’était transmutée, comme d’elle-même, en quelque chose de tout à fait différent. J’y explorai d’une part le cadre historique élargi, apprécié à ma façon certes, des parties précédentes dont on sait qu’elles se situent, elles, dans le cadre délimité par le Moment du “déchaînement de la Matière”, à la jointure des XVIIIème et XIXème siècles, et le temps présent de notre grande crise terminale de notre contre-civilisation ; je m’aventurai, d’autre part, dans les terres jusqu’alors inconnues de moi, et terribles pour l’esprit, de l’appréciation métaphysique de cet ensemble ainsi nouvellement formé. Par conséquent, il s’agissait d’une “super-Sixième Partie”, ou bien, plutôt, plus justement nommé depuis, d’un “Second Livre”. Ainsi La Grâce de l’Histoire se trouverait-elle désormais divisée en deux “Livres”, encadrés d’une introduction et d’une conclusion ; le Premier Livre serait constitué des cinq Parties déjà publiées, le Second Livre serait l’ex-“Sixième Partie” immensément développée et, désormais, elle-même divisées en Parties qui lui seraient propres.

• La seconde pensée est beaucoup plus complexe, beaucoup plus délicate à exposer. C’est là qu’il est question de l’angoisse dont je parlai plus haut. D’une certaine façon, tout en travaillant sur ce nouvel écheveau, une sorte de paralysie insidieuse commença à m’habiter, me freinant ici, m’arrêtant là… J’ajouterais que des évènements extérieurs contribuèrent à alourdir, à rendre dramatique voire tragique, cette période. (Les lecteurs ont eu l’écho, qu’ils ont recueilli avec une ferveur dont je leur suis éternellement gré, d’un de ces évènements, avec la mort de Margot au terme d’une horrible agonie dont le souvenir continue à me hanter.) D’autre part, et cela plus silencieusement, d’une façon plus insaisissable, ces évènements ont-ils peut-être contribué à faire mûrir cette persistance dissimulée qui, finalement, je crois, commence à avoir raison de mon angoisse. Mais de quelle angoisse s’agit-il ? Celle de se trouver soudain devant une perspective vertigineuse, qui est celle du projet de cette “Sixième Partie” devenue “Second Livre”, prenant des dimensions qui ne seraient inattendues qu’en apparence, – peut-être, sans doute, inconsciemment espérées et bientôt assurée dans son ambition, – peut-être, sans doute, ordonnée par la fameuse intuition haute… C’est un monstre qui, soudain, se dresse devant vous, et alors comment empêcher que l’angoisse s’installe à la place du vertige, une fois l’équilibre revenu ? L’expérience a quelque chose de paralysant d’abord, comme une compagnie désormais habituelle de l’angoisse. Enfin, un jour, il faut dépasser cela, ou bien l’on capitule et l’ombre commence à vous envahir, à vous paralyser comme un venin subtil commence à faire son effet. Il faut réagir, reprendre le dessus.

Nous y voici… Une année s’est écoulée, donc avec ce vertige, cette angoisse, etc., mais aussi du travail, parallèlement veux-je dire, et ceci réglant cela, — et une année m’a paru être la limite nécessaire. Une année sans rien de nouveau de La grâce, cela suffit… En un sens, me dis-je, c’est bien une expérience inédite qui est en train de se développer, avec l’auteur livrant à mesure ce qu’il écrit, puis, dans le cours de la chose, informant ses lecteurs des tourments qui l’assaillent, du doute qui l’envahit, jusqu’au moment de la révolte, elle-même présentée aux lecteurs comme telle, presque en temps réel si l’on veut, l’esprit mis à nu, avec ses faiblesses et ses élans. C’est une expérience qui est pour moi inédite, qui me semble objectivement de cette sorte, et qui semble suivre en même temps le fracas et les soubresauts de la grande crise en cours qu’on prétend à la fois décrire et explorer jusque dans son tréfonds… Le système de la communication, dont l’Internet est un des fleurons à cet égard, permet une telle expérience qui rejoint, au fond, certaines pratiques anciennes où les récits et les réflexions qu’on voulait fondamentaux découlaient directement de la bouche de ceux qui entreprenaient l’aventure. Ainsi, le présent extrême, celui de notre technologisme à son avancée extrême qui parvient à son port comme dans une impasse pour soulever les interrogations les plus fondamentales, retrouve les pratiques du passé où les mystères du monde étaient explorés exactement au même moment où les soubresauts du monde en constituaient l’illustration immédiate.

Reprise en suivant son époque

D’autre part mais selon une logique qui enchaîne directement sur ce qui précède, il y a une cause générale à ce retard, ou à ce délai, mais aussi à cette transmutation d’une ambition (de la “Sixième Partie” au Second Livre). Elle se trouve dans la forme même du travail de dedefensa.org, qui s’est approfondie, qui a pris un aspect de plus en plus systématique à partir de 2009-2010, – et cela en conjonction avec l’analyse selon laquelle nous sommes entrés, à partir de l’automne 2008 (crise financière) dans une période nouvelle. A la période de confrontation avec les USA menant une guerre d’expansion agressive et belliciste, ce qu’on a nommé de l’expression désormais fameuse de “politique de l’idéologie et de l’instinct”, a succédé une nouvelle phase où cet élément est passé d’une position exclusive et centrale à une position d’un facteur parmi d’autres qui se sont imposés sans coup férir. Des mouvements de déstabilisation nouveaux sont nés, qui ont tous la caractéristique de devenir structurels (structure de mouvements déstructurants, ou “chaîne crisique”, dont les phénomènes du “printemps arabe” et du mouvement de contestation Tea Party-Occupy-Ron Paul aux USA sont des exemples connus). Ce qui était un courant unilatéral selon un schéma offensive-résistance est devenu un tourbillon multilatéral où plusieurs phénomènes spécifiques avec des aspects complémentaires et des aspects antagonistes entre eux se côtoient, se heurtent, se renforcent, etc.

Du coup, nous avons, à dedefensa.org, changé notre approche méthodologique. Notre analyse de ce changement a été que nous passions d’une période d’affrontement linéaire à une période de désordre global. Pour ma part, je considère ce changement comme essentiel, décisif et définitif ; il signifie que nous nous sommes passés d’une prémisses fondamentale (la mise en évidence du rôle-moteur du Système des USA), en une situation où tous les facteurs nouveaux de déstabilisation s’intègrent dans ce qu’on doit identifier comme la grande crise terminale du Système. Le doute n’est alors plus permis.

Nous sommes entrés, à partir de l’automne 2008, dans une phase métahistorique, où la métahistoire intervient directement pour conduire cette crise finale, avec des interférences inattendues où les habituels rapports de cause à effets ne sont plus la seule règle ni même la règle principale. Selon la citation de Joseph de Maistre, exposant effectivement le passage du temps historique au temps métahistorique, «[c]ommunément, nous voyons une suite d’effets produits par les mêmes causes ; mais, à certaines époques, nous voyons des actions suspendues, des causes paralysées et des effets nouveaux.»

Il se pose alors un problème central pour dedefensa.org, dont on connaît la méthode de travail, qui fut d’abord d’examiner les “évènements courants” selon une vision historique immédiate (leur signification historique immédiate). Il fallait désormais envisager une vision métahistorique, c’est-à-dire métaphysique, immédiate des évènements. Je considère cette problématique comme absolument essentielle, et cela nécessairement et impérativement pour le travail du chroniqueur-historien, qui doit se transformer en chroniqueur-métahistorien, et, en même temps, pour le travail du commentateur quotidien stricto sensu, qui doit s’adapter à cette nouvelle dimension pour lui servir de socle d’alimentation. Les deux doivent s’intégrer décisivement.

Cela suppose un travail d’une dimension nouvelle, extrêmement complexe et ambitieuse, un mouvement constant de l’apparente trivialité des nouvelles du jour où se cachent des joyaux qui ont une signification métahistorique, qu’il faut débusquer au risque de se perdre, à la confrontation de ces trouvailles avec les grands courants et règles métahistoriques auxquels notre destin semble désormais attaché. Cela suppose une conformation nouvelle du jugement, une audace de l’esprit et en même temps une grande fatigue pour lui, à passer de sujets d’ampleurs apparentes si différentes, un accueil permanent à l’intuition haute en veillant à ne pas se laisser tromper par des apparences d’intuition.

…Mais tout cela, ce n’est rien de moins que la description de la tentative quotidienne de dedefensa.org d’être égal à ce qu’il prétend être. L’essentiel pour mon propos est que ce changement m’a conduit évidemment à exploiter des voies radicalement nouvelles, à faire progresser ma pensée, pour le meilleur et pour le pire. Il faut un peu de temps pour assimiler tout cela, l’accepter, mettre en ordre les méthodes de pensées, les habitudes de l’analyse, ces choses où se trouveraient désormais bien des audaces devant lesquelles la raison recule parfois. Il y a ainsi une fermentation intérieure, autant qu’un débat de cette même sorte. Ainsi peut-on identifier une autre cause, – et, je crois, la cause centrale, – de ce délai d’une année dans le parcours de La grâce… Il y a une nécessaire assimilation, voire une intégration pour l’esprit, la pratique maîtrisée et fermement conduite d’une audace nouvelle que doit explorer le jugement ; l’acceptation par la psychologie de suivre des voies si aventureuses, si incertaines, si novatrices (même si elles nous rapprochent des origines de la Tradition, ou plutôt parce qu’’elles nous rapprochent des origines de la Tradition, car la modernité, aujourd’hui, c’est l’obsolescence, la chose figée, la coquille vide) ; tandis que la pensée, elle, répertorie ces nouveautés et songent à en utiliser les fruits dans des conceptions nouvelles.

Si l’on veut une appréciation chronologique (les sujets développés n’étant certainement pas réduits aux bornes de cette chronologie), le Premier Livre de La grâce était le fruit des réflexions développées jusqu’à 2008 (à peu près depuis 2006), et intégrées dans une conception générale qui en est la forme générale et la dynamique la plus puissante. Ce qui suit (le Second Livre) est le fruit des réflexions de cette période de 2009 à 2011, toujours dans cette même forme et cette même dynamique, mais l’une et l’autre prolongées et enrichies à mesure. On comprend alors que le Second Livre, bien plus qu’être un simple prolongement du Premier, est plutôt sa poursuite sur un plateau plus élevé, visant à atteindre des hauteurs où l’air est plus vif et parfois d'une vivacité si élevée et enlevée qu'elle en devient enivrante, où le paysage contemplé est bien plus vaste et parfois d’une vastitude jusqu’à l’infini. En cela, le travail devient à la fois plus puissant et plus délicat, accompagné d’une ambition très haute qu’il faut savoir traiter avec l’humilité qui convient. Cela exigeait effectivement que la pensée fut contenue et malaxée à la fois dans une période d’apprentissage et d’entraînement, dont les textes de dedefensa.org témoignent, à mon sens, plus qu’à leur tour.

…Voilà les préliminaires. D’ici la fin du mois, le 31 janvier, nous passerons à l’acte avec le premier texte de ce Second Livre. Les Parties à suivre sont déjà en relecture, ou bien en premier jet avant relecture, avec les dernières en cours d’écriture. J’espère bien retrouver par conséquent un rythme de parution assez satisfaisant pour ne pas faire perdre le fil de l’attente, qui rétablira le fil rouge de La grâce de l’Histoire interrompu par une sorte d’année sabbatique qui fut en réalité un temps vital de maturation que ces temps métahistoriques pressants nous imposent lorsqu’ils nous confrontent à une rupture vitale d’eux-mêmes. Pour le reste, pour nos lecteurs, bonne lecture…

 

Philippe Grasset

 

 

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