Voyage au bout du système, par Hans Blix

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Voyage au bout du système, par Hans Blix


9 février 2004 — Hans Blix, l’homme qui se trouva au centre de la controverse de l’inspection par l’ONU du potentiel irakien avant la guerre, nous dit quelques vérités intéressantes sur ce conflit, ce qui a précédé, et surtout, — c’est le plus intéressant — sur le comportement des chefs de gouvernement qui ont poussé à la guerre et l’ont obtenue. Ces propos ont fait quelque bruit, — selon le Guardian : « The former UN chief weapons inspector Hans Blix weighed into the controversy over weapons of mass destruction yesterday when he accused Tony Blair and George Bush of behaving like insincere salesmen who ''exaggerated'' intelligence in an attempt to win support for war. »

Interrogé par la BBC, Blix a parlé de GW Bush et de Tony Blair, d’ailleurs plus sur un plan personnel que strictement politique, parlant en fait de leur comportement personnel dans la crise politique (avec une puissante référence implicite à l’actuelle crise des ADM saddamesques et introuvables). Il décrit les deux hommes comme des marchands ayant eu à vendre un produit (la guerre en Irak) et agissant de mauvaise foi pour parvenir à leurs fins. Le journaliste Mike Peacock, dans une dépêche de Reuters du 8 février, résume l’argument en définissant les deux hommes par le terme d’insincere, qui signifie “hypocrite”, “de mauvaise foi”, de préférence à l’emploi du mot liar (“menteur”). La nuance est bienvenue et elle éclaire le problème, surtout lorsqu’elle s’intègre dans l’expression, choisie par Peacock pour décrire la pensée de Blix pour définir les deux hommes, et dont Blix ne semble pas avoir usé dans l’interview : « Insincere salesmen » (« Blix Says Bush, Blair Insincere Salesmen on Iraq »). Selon Peacock :


« The former chief U.N. weapons inspector Sunday likened the use of intelligence by the leaders of Britain and the United States to justify war in Iraq to the tactics of insincere salesmen. Hans Blix — who pleaded for more time to search Iraq for nuclear, chemical and biological weapons before a U.S.-led invasion in March — said the West had a right to expect more from their leaders.

» “The intention was to dramatize it (the intelligence) just as the vendors of some merchandise are trying to exaggerate the importance of what they have,” Blix told BBC television. Nearly 10 months after the war none of the biological or chemical weapons cited by President Bush and British Prime Minister Tony Blair as the reason for a pre-emptive attack on Iraq have been found. “From politicians, our leaders in the Western world, I think we expect more than that, a bit more sincerity,” Blix said. »


Cette intervention de Hans Blix est bienvenue effectivement parce qu’elle nous offre un résumé saisissant des fondements de la crise irakienne et, en général, de la crise du monde occidental, de la crise de notre civilisation qui a atteint notre psychologie. (C’est beaucoup pour un seul homme et cela justifiera quelque estime supplémentaire pour Blix.) Les mots traduisent parfaitement la crise. Il s’agit de “vendeurs”, comme notre système général recommande d’être dans les rapports économiques, qui sont insincere, c’est-à-dire, qui s’abstiennent d’être “trop” sincères ; ni complètement des menteurs, ni tout à fait (surtout pas) des gens sincères.

Ces mots confirmeront les plus violentes critiques de notre système, jugeant que nous sommes désormais complètement dans un système marchand, c’est-à-dire un système où l’économie n’a pas remplacé la politique mais où la politique est devenue une fonction technique dépendant de la technique promotionnelle de l’économie. L’argument est devenu la promotion, la conviction est remplacée par la communication, le langage politique est totalement abandonné pour un deuxième langage (double si l’on veut, mais plutôt remplaçant le premier) qui est pesé par des techniciens de la communication, pour obtenir une soi-disant efficacité et des résultats.

Le principal de ces résultats est la “vente” du produit (la guerre dans ce cas, qui doit être soutenue par une majorité des consommateurs-citoyens, selon les sondages). Le vrai problème, si l’on veut poursuivre dans cette logique cynique, est qu’il n’y a pas de service après-vente, le produit étant censé marcher à la perfection, — et c’est là qu’on peut distinguer l’utopie paradoxale de ces vendeurs, Blair et Bush, qui gardent la naïveté d’avoir cru à la qualité du produit vendu. Manifestement, la guerre en Irak n’est pas un bon produit. (Le consommateur-citoyen l’avait perçu puisque les sondages ne donnèrent que des résultats très ambigus de soutien à la guerre.) En bref : non seulement nous sommes dans un système marchand mais les vendeurs ne sont pas impeccables, les services sont pitoyables et le produit détestable. Pas étonnant que la société (au sens marchand du terme) ne marche pas très bien.

La question centrale de ce débat joliment remis en perspective par le petit Blix est bien de savoir comment des gens sensés et équilibrés peuvent croire que cela marchera longtemps. Quant à la critique qu’on en peut faire, la médiocrité extraordinaire de l’objet jugé (le système et ses serviteurs) décourage un peu la discussion argumentée. L’évidence devrait servir d’argument, et basta. Pour le commentaire, il y a la dérision et l’ironie, dont il ne faut pas craindre de faire bel et bon usage. Pour le reste, c’est-à-dire les âmes sensibles qui s’inquiètent de l’avenir de la civilisation, on peut faire confiance à un système si décrépit à force de médiocrité pour continuer à se tirer des rafales de balles dans les pieds. Il s’y emploiera. Quant à nous qui sommes également dans cette galère, nous verrons bien.


Encore quelques mots de Blix-Candide

Effectivement, pour bien boucler ce “dossier” qui n’est qu’une simple intrusion accidentelle dans le domaine déserté du bon sens, quelques mots de plus du sympathique Dr. Blix, avec notamment quelques précisions sur le bureau qu’il occupait à l’ONU (extraits du Guardian) :


« But the comments of Dr Blix, who headed the UN team searching for Saddam's weapons from November 2002 until the eve of war last March, yesterday refuelled the controversy. He questioned the wording of the infamous September dossier: “They say some WMDs can be ready to be used within 45 minutes. Well, which ones?

« “It certainly wasn't nuclear because the report says that they were not developing nuclear, so they didn't have them. And what is meant by being ready?

« “Is it a phial of anthrax that can be tossed at somebody? I mean one can interpret it in different ways.”

» Asked about claims in the Observer that Britain had spied on UN allies in the run-up to Iraq, he said: “I wouldn't be at all surprised if that was the case ... I assumed when I was in New York that I might well have been bugged in my office.” »