L’histoire des “neocons” depuis 1970, c’est notre histoire

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L’histoire des “neocons” depuis 1970, c’est notre histoire

26 juin 2003 — L’excellent Jim Lobe publie un article sur une des figures du “néo-conservatisme”, Michael Ledeen. Voilà un homme intéressant dont Lobe nous retrace la carrière, — et intéressant, notamment et justement à cause de cette carrière. La carrière de Ledeen nous montre combien les néo-conservateurs viennent de très loin, lui-même très actif dans le terrorisme dans les années 1970, et dans le terrorisme le plus “manipulé” à l’époque (celui de l’Italie). Si l’on veut, Ledeen est la “branche extérieure” de l’opération de mise en place des néo-conservateurs au coeur du pouvoir, la “branche intérieure” (la plus fournie) étant celle qui organisa le Committe on Present Danger en 1974, l’évaluation comparée et critique des dépenses militaires soviétiques entre la CIA (Team A) et une équipe dominée par les néo-conservateurs (Team B) en 1976-77, etc.

Voici ce que Lobe dit des “débuts” de Ledeen : « To Ledeen, whose own contacts with the mullahs in the Iran-Contra affair 15 years ago remain the source of some mystery, Iran is “the mother of modern terrorism”. And terrorism has been Ledeen's bread and butter since at least the late 1970s, when he consulted for Italian military intelligence, which in turn enabled him to expose Billy Carter's dealings with the Muammar Gaddafi regime in Libya to the great satisfaction of Republicans, who were revving up their campaign against Billy's brother, then president Jimmy Carter.

» Ledeen's right-wing Italian connections — including alleged ties to the P-2 Masonic Lodge that rocked Italy in the early 1980s — have long been a source of speculation and intrigue, but he returned to Washington in 1981 as ''anti-terrorism'' advisor to the new secretary of state, Al Haig. »

Jim Lobe ne donne que des informations parcellaires sur cette période des années 1970, de loin la plus intéressante du point de vue européen. Jim Lobe donne des indications générales sur la proximité de Ledeen de groupes italiens qui furent au centre des soupçons de manipulation des “Brigades rouges”, durant cette période désignée comme “les années de plomb”. (Nous serions tentés de dater les rapports de Ledeen et des milieux manipulateurs de terrorismes en Europe plus tôt que la fin des années 1970.) De nombreuses informations et spéculations ont été apportées, de diverses sources, (dont une excellente enquête télévisée de la BBC sur les “réseaux Gladio”, en trois épisodes) indiquant que ces manipulations étaient la conséquence d’actions coordonnées italo-américaines, avec surtout la DIA et le Naval (US Navy) Intelligence. (La CIA a fait beaucoup pour se démarquer de ces opérations, notamment au travers de déclarations de certains de ses anciens agents témoignant dans l’enquête de la BBC et expliquant l’action de la DIA et de Naval Intelligence en Italie, et se démarquant eux-mêmes de ces opérations qu'ils rapportaient de façon très critique.)

Ces années 1970 restent à être explorées en détails, notamment au niveau des interventions américaines “couvertes” en Europe occidentale. Cette décennie a été celle du doute après la décennie révolutionnaire des années 1960 ; en Europe, il y eut le triomphe de l’“eurocommunisme” (Italie surtout), pour un communisme réformiste ne dépendant pas de Moscou ; ce fut aussi l’existence et le développement, avec plus ou moins de bonheur, de deux “troisième voies” européennes : la troisième voie gaullienne d’affirmation européenne de puissance et la troisième voie pacifiste (ou neutraliste), surtout du côté allemand, proposant implicitement une neutralisation (certains disaient une “finlandisation”) de l’Europe. Les USA étaient aussi déchirés, entre partisans de la détente (convergisme, rapprochement de l’est et de l’ouest) et partisans d’un durcissement à l’encontre de l’URSS. L’ambassadeur de l’URSS à Washington, Anatoly Dobrynine, a écrit dans ses mémoires que, si Nixon n’avait pas été contraint à la démission, son entente avec Brejnev aurait pu mener à un mouvement type gorbatchévien en URSS, avec 10 ans d’avance.

Dans ces occurrences diverses, les néo-conservateurs, actifs en tant que groupe dès 1973 (après la guerre d’Octobre 1973), mais actifs en tant qu’individus ou à l’intérieur d’autres groupes avant cela, jouèrent un rôle d'"ultra" pour empêcher tout rapprochement avec l’URSS. Il paraît logique de placer les tentatives de déstabilisation US de pays occidentaux européens, notamment par la manipulation du terrorisme, dans ce contexte. (Cette manipulation pouvait effectivement être lancée comme une politique partisane car déjà existait l’éclatement du pouvoir, avec des agences et des départements faisant leur propre politique, comme la DIA en Europe, selon la CIA. C’est effectivement la DIA qui fut également désignée lors de tentatives de déstabilisation en Belgique au début des années 1980 (affaire des “tueries du Brabant”), dans la logique de la crise italienne des Brigades rouges, avec les manipulations d'alors.) La victoire des néo-conservateurs (avec d’autres groupes US qui étaient alliés avec eux, et un soutien de l’industrie d’armement) fut la conséquence de divers événements, notamment l’élimination, accidentelle ou pas, de deux promoteurs d’une politique de fin de la Guerre froide, de Gaulle (parti en 1969 au lieu de 1972) et Nixon (1974 au lieu de 1976). Aux USA, cette victoire fut marquée par le lancement de la “deuxième Guerre froide” (1976-77, à partir de l’épisode du Team B), qui porte ainsi excellemment son nom.

Jim Lobe écrit aujourd’hui ce texte sur Ledeen parce que le Post vient de révéler que Ledeen était le seul conseiller de sécurité nationale de Karl Rove, l’homme qui manipule GW Bush (il est son conseiller en communication). Lobe : « “The two met after Bush's election,” the Post reported cheerfully, quoting Ledeen about Rove's request that “any time you have a good idea, tell me”. “More than once, Ledeen has seen his ideas, faxed to Rove, become official policy or rhetoric,” noted the newspaper. “When I saw that, I couldn't believe it,” said one retired senior diplomat. “But then again, with this administration, it seemed frighteningly plausible.” »

L’intérêt pour nous est de savoir si Ledeen a gardé des débuts de sa carrière des liens avec divers milieux manipulateurs européens des années 1970, et si ces manipulations jouent un rôle dans diverses politiques européennes vis-à-vis des USA observées actuellement. Ces liens ont été entretenus lors de l’époque Reagan, et notamment l’épisode de l’Irangate (mis à jour en 1985, désigné par Lobe comme « the Iran-Contra affair »), énorme scandale militaro-politico-affairiste où toute la droite dure US actuelle fut compromise et manipulatrice. Les milieux manipulateurs européens furent fortement impliqués dans cette affaire, notamment au travers de liens politico-financiers avec la WACL (World Anti-Communist League) basée à Taïwan et généreuse donatrice de soutiens financiers pour ce type d’opérations.