Une petite Amérique ou une grande Suisse ?

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Une petite Amérique ou une grande Suisse ?

C’est une caractéristique intéressante de la crise écossaise qu’elle soit de moins en moins seulement écossaise pour devenir de plus en plus crise britannique. L’atmosphère de la campagne est de plus en plus tendue, proche d’un point de rupture, avec des incidents divers, des hommes politiques qui perdent leur sang-froid, des menaces qui sont échangées, un chef de parti (Millibrand, du Labour) obligé de quitter une salle où il donnait une conférence à Edinburgh, avec une intervention hostile des partisans du “oui”. (Voir «Scotland independence: A nation divided against itself», dans The Independent du 17 septembre 2014.)

Cette tension n’est pas gratuite et nullement réduite à une circonstance conjoncturelle. Elle recouvre une évolution des esprits extrêmement rapide comme c’est la coutume dans notre époque de domination du système de la communication et des narrative : les problèmes, les crises potentielles mais pressantes sont étouffées, laissées de côté, grimées, camouflées sous la dialectique-Système ; mais tout cela remonte à la surface, éclate, prend rapidement une tournure explosive dès que l’occasion s’en présente. C’est certainement la raisons pour laquelle des événements qui semblent connus et maîtrisés se transforment brusquement en crise très vite menaçante d’échapper à tout contrôle. Le cas écossais n’est pas loin d’être un exemple archétypique, qui bouleverse la puissance britannique, faite de subterfuge et d’arrogance, d’une capacité exceptionnelle d’influence de communication et d’arrangements financiers à mesure, d’arrière-plan-historique de convenance et d’un exercice permanent de soumission complète à la puissance américaniste (au Système) présentée comme une gloire sans égale.

Soudain, tous ces divers subterfuges et moyens politiques de manœuvre semblent s’effacer derrière un brutal questionnement, quelque chose qui ressemble à une crise d’identité. Parmi les très nombreux articles qui commencent à développer ce thème, on choisit celui du journaliste Hamish McRae, de The Independent, qui est d’origine écossaise et anglaise par ses parents, et qui a passé sa jeunesse et fait son éducation en Irlande, – parfait citoyen du Royaume-Uni en un sens, et lui-même d’opinion modérée, comme personnage intégré dans l’establishment-Système. Dans le quotidien où il travaille, à la date du ce 16 septembre 2014, McRae tente de présenter le problème fondamental qu’il perçoit...

«Whatever happens this week, the United Kingdom will be utterly different. The political construct that we call the UK may lose its 300-year identity altogether. That we will soon learn. But even if the UK nominally survives, it will become a much looser association – you might say a less united kingdom – carrying on the process of separation that began just over 100 years ago in May 1914 when Westminster finally passed the Government of Ireland Act, giving Ireland home rule. The First World War intervened, implementation was suspended, and the slither into the troubled subsequent relationship between our two countries continued for the rest of the century. In 1930, King George V remarked to his Prime Minister, Ramsay MacDonald: “What fools we were not to have accepted Gladstone’s Home Rule Bill.”

»What fools indeed. Nearly all the public debate about the future relationship between Scotland and the rest of the UK has been about economics [...] The nitty gritty of currency, North Sea revenues and so on is all fixable. You negotiate and do the deal. But you can’t negotiate about identity, so the deal has to be different. It is one of the paradoxes of our time that the more integrated the world economy has become, the greater the desire for local political control.»

Ce que fait bien ressortir le texte de McRae, c’est l’extrême complexité de la situation interne du Royaume-Uni, que la crise écossaise met à jour. Comme chaque fois dans cette sorte d’occurrence, la pression du système de la communication conduit à transformer les structures en place et qui conduisaient tant bien que mal la gestion réaliste et parfois anarchique de cette complexité, en structures de contestation participant non plus au camouflage des problèmes mais plutôt à leur mise en évidence pour qu’ils soient résolus, selon le point de vue de chacune, à l’avantage de chacune. Ainsi McRae, envisageant trois possibilités au vote de demain, les explore chacune et nous fait voir combien de difficultés, d’ailleurs assez similaires, surgiront pour chacune, – les trois options étant : «So how might new-UK develop? If the vote is Yes, the game is over. [...] So one particular political settlement does not necessarily guarantee an amicable continuing relationship. England will become more English, Scotland more Scottish. The tone of much of the debate in the campaign has been discouraging and we cannot assume it would be a velvet divorce. [...]

»If the vote is No, there still will have to be a negotiation, and that may become difficult, too. [...] My biggest concern is that in the event of a narrow No, the uncertainty about the future relationship would lead to more political and personal acrimony and start doing real economic damage to Scotland.»

... Et ainsi comprend-on que le résultat le plus déstabilisant pour le Royaume-Uni n’est pas une victoire des indépendantistes (les “oui”) mais une courte victoire des anti-indépendantistes (les “non”), ce qui semblerait le résultat le plus probable. Dans tous les cas, juge McRae, selon une opinion de plus en plus répandue, le tremblement de terre du vote écossais écarte la seule option à laquelle nous étions habitués, qui était de ne rien faire, – ce pourquoi il parle de toutes les façons d’un “new-UK”. Il en arrive alors à ses constats de conclusion, d’où il ressort que la “crise écossaise” n’est effectivement qu’un début, le début d’une crise britannique fondamentale, une crise d’identité au travers d’une part de l’organisation structurelle de cette nation, de ce pays, ou de ce royaume, et d’autre part du rôle qu’il ou elle sera conduit à jouer après cette séquence ...

«If the UK does break up, the choice will be whether England, plus presumably Wales and Northern Ireland, continue to try to be a mini-US, intervening in the great military and political issues of the world. Or whether it/they should try to be a big Switzerland, prosperous economically and more democratic in the sense that its regions will have a bigger say in policy, but increasingly unwilling to engage in global adventures. But even if it does not break up, I think we have to acknowledge that internal political tensions will increase and the more we become preoccupied with these, the less we are credible as an influence on global events.»

Certes, ce n’est qu’une analyse parmi d’autres mais, comme on le signale plus haut, il s’agit d’une analyse qui est de plus en plus partagée et qui rencontre de plus en plus d’échos. Il s’agit, en plus, d’une analyse qui n’est guère relative au résultat du vote de demain, qui le dépasse évidemment puisqu’elle parvient à une conclusion assez similaire, quel que soit le résultat (victoire du “oui”, victoire du “non”, victoire très courte du “non”), et cette conclusion étant que le Royaume-Uni se trouve devant une crise d’identité majeure. Ce vieux pays européen qui se croyait assuré de sa pérennité, sinon de sa supériorité, ne pourra résoudre cette crise qu’en forgeant une nouvelle identité au travers de la complexité extrême des arrangements législatifs et juridiques, souvent sous une pression populaire qui s’est révélée à l’occasion de cette campagne, dans un environnement général extérieur de crises diverses et menaçantes, dans une époque de mise en cause et d’effondrement du système dominant, – mais ceci, sans aucun doute, explique le reste... Et l’on comprend que cette “identité” nouvelle sera nécessairement, pour le Royaume-Uni, une “identité diverse”, où chaque composant du royaume sera fortement plus marqué, fortement plus caractérisé pour ce qu’il est, – comme si, pour survivre en tant qu’entité nationale, le Royaume-Uni devait suivre la voie d’une vulgaire Belgique et devenir une entité faussement nationale où chacun accepterait par convenance de jouer le jeu de l’unité tout en s’occupant de ses seules affaires. On mesure, certes, la puissance des bouleversements en cours dans les psychologies puis dans les esprits, à lire cette sorte de raisonnement, et les situations auxquelles il aboutit...

Ce qui est remarquable dans le raisonnement de McRae, c’est que le rôle international du Royaume-Uni, sa politique, son influence, sont considérées désormais du point de vue des possibilités intérieures de les porter autant que de les supporter. Ainsi le facteur fondamental des relations UK-USA, caractérisées par une relation de servitude de l’un pour l’autre, n’est-il plus envisagé en tant que tel, mais comme conséquence à maintenir ou pas selon l’orientation que prendra la crise interne. Le choix entre “une petite Amérique” et une “grande Suisse” selon le rôle international que se choisirait le Royaume-Uni mesure l’ampleur extraordinaire que prend cette réflexion suscitée par la crise écossaise.

Du coup apparaît aussitôt la puissance de l’enjeu de cette consultation écossaise, d’autant plus grande cette puissance que l’enjeu subsiste quel que soit le résultat... Même si l’Écosse restait demain dans le royaume, même par une confortable majorité, l’enjeu resterait celui de l’extrême, c’est-à-dire celui d’une redéfinition de l’identité “nationale” (!) britannique, donc une redéfinition de la politique extérieure et d’influence de ce pays. Il faut avoir à l’esprit que le Royaume-Uni est, au côté des USA, et avec une influence considérable, l’un des promoteurs les plus ardents du Système, de son idéologie, du nivellement et de l’uniformisation de la globalisation. C’est lui qui, pourtant, à l’occasion de la crise écossaise, menace de tomber dans le “localisme”, dans la recherche des identités complexes, dans tout ce qui fait le contraire de la poussée globalisante qu’il promeut, – en quelque sorte, le Royaume-Uni n’étant plus menacé d’une sécession de l’Écosse mais devenant lui-même la propre sécession du modèle qu’il promeut et dont il se voudrait l’archétype. Il s’agirait, de la part du pays qui, par fidélité absolue au Système, suscite la déstructuration et la dissolution chez les autres, d’une marche interne vers sa propre déstructuration et sa propre dissolution.


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Mis en ligne le 17 septembre 2014 à 11H26

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