Une lettre iranienne, en mains propres, pour le président Morsi

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Une lettre iranienne, en mains propres, pour le président Morsi

La nouvelle a été donnée par l’agence iranienne FARS, hier 1er août 2012. Il s’agit de la visite au Caire du vice-président iranien Hamid Baqayee, pour remettre en mains propres, au président Morsi, la lettre d’invitation de l’Iran au président égyptien, pour qu’il assiste au sommet du 26 au 31 août à Téhéran du Mouvement des Non-Alignés (ou Non-Aligned Movement, ou NAM). Cent vingt pays sont invités à ce sommet de NAM, dont l’Iran assure la présidence.

Évènement parce que cette visite, en apparence formelle, est rendue d’une importance considérable par l’importance du visiteur iranien d’une part, et par l’importance fondamentale que recouvrent les relations de l’Iran et de la “nouvelle Égypte” post-Moubarak d’autre part. Il est bien possible que ce soit durant ce mois d’août, entre la visite du vice-président iranien au Caire et la possible visite de Morsi à Téhéran, à la fin du mois, que se noue un événement fondamental au Moyen-Orient. Dans sa chronique de ce 2 août 2012, M K Bhadrakumar résume les deux termes de ces trois semaines à venir, dans sa phrase d’introduction et dans sa phrase de conclusion : «This is a development that holds the potential to shake up Middle Eastern politics — Iranian vice-president visiting Cairo. […] If Morsi travels to Tehran at the end of this month, it becomes a defining moment in regional politics.»

…Entre les deux phrases, le commentateur-diplomate indien rappelle les évènements de ces dernières semaines, notamment l’action de l’Arabie Saoudite tentant d’accaparer à son profit la mise en place de la politique de Morsi dans la région, surtout pour bloquer toute possibilité de rapprochement entre l’Égypte et l’Iran qui briserait le schéma chiites versus sunnites que l’Arabie tente d’imposer pour négocier sa survie comme puissance du Moyen-Orient, et même dans le chef de son existence même, – et, au-delà, la survie de l’ordre de domination du bloc BAO sur la région. Mais la façon qu’ont les Saoudiens de “négocier” cette mainmise sur l’évolution future de l’Égypte exsude leur crainte, leurs soupçons et leur paranoïa, et prend la forme d’une intervention qui semblerait déjà perdante avant même d’être menée à son terme.

«…Enter Saudi Arabia. Taking advantage of the economic crisis in Egypt, Riyadh offered economic assistance, but with strings attached. The bottom line for the Saudis is that Egypt shouldn’t dilute Riyadh’s regional campaign to “isolate” Iran. The main worry for the Saudis is that if Egypt, the biggest and most powerful Sunni Arab country, mends fences with Iran, the entire geopolitical thesis built around a contrived Sunni-Shi’ite sectarian schism which the US-Israeli-Saudi axis has been expounding as the centre-piece of the Arab Spring, would flounder.

»The stakes are indeed very high. Therefore, Saudi Arabia invited the newly-elected Mohammed Morsi of the Brotherhood to visit Riyadh last month. The Saudis hoped that Morsi would play footsie on the Sunni-Sh’ite front and get Egypt to play its due role in the Syrian crisis. But, reading between the lines, one is getting the impression that Saudis are pretty much unsure how to handle Morsi. Prominent Saudi commentators have been all along leveling harsh criticism at Morsi and the Brothers. Even after the meeting between King Abdullah and Morsi last month, critical reportage is continuing in the Saudi establishment press, even pitting the Brothers against Egypt’s Al-Azhar in a clever ploy to divide the islamist camp in Egypt. (Al-Azhar is Egypt’s religious establishment.)

»The point is, Riyadh has the utmost to fear from the Brothers — the spectre of the Brothers spearheading a ‘regime change’ in Saudi Arabia at some point haunts the Saudi rulers. The equations between the Saudis and the Brothers have been a troubled and often-violent one with the former Crown Prince Nayef using brutal methods to smash up the activities of the Brothers on Saudi soil…»

M K Bhadrakumar développe alors le fondement et la logique de la position iranienne. Les Iraniens tablent, non sur des craintes ou des antagonismes, mais sur la logique libératrice du “printemps arabe” ; “libératrice”, dit-on, mais pas à la mode du bloc BAO, pour lequel la “libération” se résume au dépôt d’un bulletin dans une urne manipulable à souhait, et toujours manipulée par les groupes d’intérêt et de pression. La vision iranienne porte sur la “libération” d’une région entière des puissances extérieures qui l’exploitent, et il est évidemment tout à fait probable qu’ils touchent là la substance fondamentale du mouvement dit du “printemps arabe”.

«Ahmedinejad had telephoned Morsi last month to extend the Iranian invitation and a conversation followed, which evidently prompted the follow-up mission by Baqayee. Indeed, Tehran is making a big gesture in protocol terms — deputing a vice-president to visit a country with which it has no diplomatic ties. The conclusion must be drawn that the probability of Morsi traveling to Tehran is rather high.

»To be sure, an engrossing chapter is opening in the chronicle of the Arab Spring. Iran has throughout maintained that the Arab Spring will inevitably work in its favor in political terms. From Tehran’s viewpoint, Islamism is a common bond that will ultimately tie Iran with the democratic regimes that emerge in the Arab world led by Islamist parties — be it Tunisia, Libya or Yemen — as time passes, no matter the manipulations by third parties.

»That is to say, Iranians estimate that these Arab Spring regimes will come under compulsion sooner rather than later to pay heed to the popular opinion on the so-called Arab Street, which will favor pan-Islamic policies, since the Arab will see through the politics of sectarianism that the West and its regional allies like Saudi Arabia and Israel have propagated in the interests of their self-preservation or for the perpetuation of their hegemony over the Muslim Middle East. The Iranians are of course taking a longterm perspective in terms of the social and political forces being unleashed by the Arab Spring in the stagnant Arab world…»

Bref, il s’agit d’une affaire bien plus sérieuse par elle-même, par son contenu de substance, que ces grotesques et sanglantes comédies montées par le bloc BAO en Libye et en Syrie. Le paradoxe se trouve après tout dans le fait que cette puissance désignée comme archétypique du fondamentalisme religieux, l’Iran, déploie une fois de plus une diplomatie qui écarte absolument tous les antagonismes religieux, et même la logique religieuse, pour embrasser une cause régionale, culturelle et de civilisation, sous la forme d’une dynamique qui serait l’équivalent élargi à des pays non-arabes d’un néo-panarabisme renouvelé aux dimensions d’une zone qui a tout pour s’affirmer comme fondamentalement antiSystème.

On goûtera l’organisation des circonstances qui fait qu’au lendemain d’une visite au Caire de Panetta dont l’histoire ne gardera guère le souvenir, intervient un épisode qui en est le complet antagonisme. Morsi avait cela à l’esprit lorsqu’il parlait au secrétaire à la défense, et les militaires du SCAF ne l’avaient pas moins puisque, sur cet axe au moins, ils semblent assez en accord avec une ligne de réconciliation avec Téhéran (ce sont eux qui ont autorisé sans la moindre hésitation le passage du Canal de Suez à des unités de guerre iraniennes, déjà depuis le 21 février 2011).

Quoi qu’il en soit, nous savons que le mois d’août, avant son terme, nous donnera des réponses à quelques questions intéressantes. Et tout cela s’accompagne d’une certaine garantie que l’attaque de l’Iran, annoncée depuis sept ans et à nouveau promise comme imminente, n’aura au moins pas lieu ce mois-ci, pour ne pas déranger les préparatifs du sommet des pays non-alignés. Les Israéliens, qui courent désespérément derrière les Egyptiens, ne commettraient pas cette gaffe. Dès lors, ces mêmes Israéliens pourraient se retrouver, d’ici la fin du mois, avec une sorte de déclaration commune solennelle entre les Iraniens et l’Égyptien Morsi, condamnant toute attaque contre l’Iran comme injustifiable et inacceptable. Cela pourrait être les vrais débuts diplomatiques du président Morsi.


Mis en ligne le 2 août 2012 à 14H46