Un président de guerre?

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Un président de guerre?

27 octobre 2008 — C’est bien connu, le site WSWS.org poursuit Obama d’une vindicte farouche. L’expérience trotskiste, éventuellement l’obsession trotskiste, débusquent chez le candidat démocrate la vieille tromperie sociale-démocrate (dès la situation allemande de 1918-1919) d’utilisation par “la bourgeoisie” de la gauche modérée comme instrument trompeur et privilégié pour récupérer d’éventuelles poussées révolutionnaires des “masses prolétaires”. WSWS.org (sur son site brillamment rénové depuis une petite semaine) publie le 25 octobre (traduction française de l’article original, en anglais, du 24 octobre) un article intitulé «la crise économique et la guerre»; il pourrait s’intituler: “Obama, président de guerre”, tant il est axé sur le comportement probable d’Obama, bien sûr selon l’appréciation générale qu’Obama l’emportera le 4 novembre.

Voici un extrait de cet article:

«La mauvaise posture militaire et politique des Etats-Unis en Afghanistan est devenue un point focal de l'élection présidentielle américaine, et c'est le démocrate Barack Obama, en tête dans les sondages, qui s'est montré le plus enthousiaste à promettre une escalade majeure de l'intervention américaine. Dans un discours prononcé en Virginie mercredi, Obama a dit qu'il enverra des troupes américaines en renfort, peut-être 15 000 soldats ou plus, dès qu'il devient l'occupant de la Maison-Blanche. “Il est temps d'entendre l'appel de ceux qui réclament… plus de soldats”, a-t-il déclaré. “C'est pourquoi j'enverrais au moins deux ou trois brigades additionnelles en Afghanistan”.

»Obama a fait passer pour des “envolées rhétoriques” des déclarations faites à une collecte de fonds à Seattle par son colistier, le sénateur Joseph Biden, selon qui six mois après l'inauguration d'Obama, le nouveau président répondrait à toute crise majeure de politique étrangère en prenant des décisions “incroyablement dures” et impopulaires. Biden a cité cinq centres possibles de conflit : le Moyen-Orient, l'Afghanistan, le Pakistan, la Corée du Nord, et la Russie.

»Les remarques à glacer le sang de Biden n'étaient pas des “envolées rhétoriques”, ce qui est corroboré par un long article publié jeudi dans le New York Times par le correspondant du journal à la Maison-Blanche, David E. Sanger. Analysant les positions prises en politique étrangère par Obama et son opposant républicain, le sénateur John McCain, Sanger souligne des questions clés sur lesquelles Obama a une position encore plus agressive que celle de McCain.

»Sur l'Iran, par exemple, le camp McCain a suggéré qu'il serait prêt à accepter un accord qui permettrait à l'Iran de produire de l'uranium sur son territoire, alors que le camp Obama a fait savoir au journal qu'une Maison-Blanche dirigée par Obama “ne permettrait pas à l'Iran de produire de l'uranium sur le sol iranien, ce qui rejoint la ligne dure énoncée par le gouvernement Bush”.

»Sanger note qu'Obama a déclaré que “nous n'écarterons jamais l'option militaire” et qu'il ne donnerait pas aux Nations Unies un “droit de veto” sur une décision d'attaquer les installations nucléaires iraniennes. Sanger continue en disant que des responsables du renseignement américains soutiennent que le “seuil” d'une possible frappe militaire – le point à partir duquel l'Iran produit assez de matériel nucléraire pour fabriquer une arme – “peut être atteint assez tôt durant le prochain mandat présidentiel”.»

Toutes ces observations sont justes et correspondent effectivement à un aspect remarquable de la campagne d’Obama. Le caractère belliciste souvent prêté à McCain, par opposition à Obama, repose beaucoup plus sur ce que l’on perçoit du caractère du premier (emporté, incontrôlé) par rapport au caractère du second (calme, mesuré). Sur les intentions politiques affichées, il est vrai qu’Obama ne paraît certes pas moins belliciste que McCain.

Une autre argumentation dans ce sens, c’est-à-dire contre Obama, peut être lue sous la plume d’Alexander Cockburn, dans The Independent du 26 octobre. Cockburn est un homme de gauche, mais certes sans les attaches idéologiques du groupe de WSWS.org. Son attaque, si elle porte sur “Obama président de guerre”, s’attache plus aux liens du démocrate avec les forces du complexe militaro-industriel et connexes. Il se demande joliment si Obama ne va pas prendre à sa charge le “white man's burden” des guerres néo-colonialistes de la période Bush-Blair, qui deviendrait ainsi une sorte de “white-black man’s burden”…

«Obama invokes change. Yet never has the dead hand of the past had a “reform” candidate so firmly by the windpipe. Is it possible to confront America's problems without talking about the arms budget? The Pentagon is spending more than at any point since the end of the Second World War. In “real dollars” – an optimistic concept these days – the $635bn (£400bn) appropriated in fiscal 2007 is 5 per cent above the previous all-time high, reached in 1952. Obama wants to enlarge the armed services by 90,000. He pledges to escalate the US war in Afghanistan; to attack Pakistan's territory if it obstructs any unilateral US mission to kill Osama bin Laden; and to wage a war against terror in a hundred countries, creating a new international intelligence and law enforcement “infrastructure” to take down terrorist networks. A fresh start? Where does this differ from Bush's commitment on 20 September 2001, to an ongoing “war on terror” against "every terrorist group of global reach” and “any nation that continues to harbour or support terrorism”?

»Obama's liberal defenders comfort themselves with the thought that “he had to say that to get elected”. He didn't. After eight years of Bush, Americans are receptive to reassessing America's imperial role. Obama has shunned this opportunity. If elected, he will be a prisoner of his promise that on his watch Afghanistan will not be lost, nor the white man's burden shirked. […]

»As a political organiser of his own advancement, Obama is a wonder. But I have yet to identify a single uplifting intention to which he has remained constant if it has presented any risk to his progress. We could say that he has not yet had occasion to adjust his relatively decent stances on immigration and labour-law reform. And what of public funding of his campaign? Another commitment made becomes a commitment betrayed. His campaign treasury is a vast hogswallow that, if it had been amassed by a Republican, would be the topic of thunderous liberal complaint.

»Obama's run has been the negation of almost every decent progressive principle, with scarcely a bleat of protest from the progressives seeking to hold him to account. The Michael Moores stay silent. Obama has crooked the knee to bankers and Wall Street, to the oil companies, the coal companies, the nuclear lobby, the big agricultural combines. He is more popular with Pentagon contractors than McCain, and has been the most popular of the candidates with Washington lobbyists. He has been fearless in offending progressives, constant in appeasing the powerful.»

»So no, this is not an exciting or liberating moment in America's politics….»

Tout cela est bel et bon, autant qu’incontestable. Mais on ne peut s’en tenir là. Le nœud du raisonnement à propos d’Obama se trouve bien entendu dans le rapport entre cette perspective guerrière, furieuse et d’emprisonnement du système en même temps que de simple accomplissement de basses ambitions, – et l’autre, ce pour quoi en vérité Obama est si populaire, la perspective de la crise économique, bien entendu. WSWS.org l’expédie par une référence à la Grande Dépression:

«La crise économique, de caractère global quoique centrée autour du déclin de la position économique de l'impérialisme américain dans le monde, va inévitablement pousser cette politique dans une direction encore plus agressive et belliqueuse, peu importe quel parti capitaliste occupe la Maison-Blanche. La crise économique représente dans les affaires mondiales une source croissante de tension et de conflit entre nations impérialistes et capitalistes rivales.

»Plus encore qu'au cours de la dernière décennie, les Etats-Unis chercheront, dans un contexte de turbulence financière et de récession économique, à compenser leur déclin économique par des moyens militaires. Il faut tirer les leçons de l'histoire. La dernière grande crise économique – la Dépression des années 30 – a entraîné une série de conflits militaires qui ont abouti dans l'holocauste de la Deuxième Guerre mondiale.»

…Cette référence nous paraît bien rapide. La chose, “le nœud du raisonnement à propos d’Obama”, mérite bien plus que d’être une simple référence. La question centrale de la prochaine présidence, – Obama ou McCain, et Obama dans ce cas, – est celle de la corrélation entre les deux volets, ou entre les deux crise. Nous ne pouvons échapper à cette interrogation, sans pourtant avoir l’espoir sérieux d’y répondre fermement.

Options et dilemmes sans suite et sans fin

Drôle d’affaire… Qui est donc Obama? Ce gauchiste qui va révolutionner l’Amérique, comme le présente Gerard Baker le 17 octobre, ou bien ce monstre de guerre acquis aux pires pratiques de l’impérialisme américaniste que décrivent WSWS.org et Alexander Cockburn (et Justin Raimondo, et tant d’autres)? Ni l’un ni l’autre ou bien l’un et l’autre? Ce sont moins des questions que des invitations à la spéculation.

Nous sommes dans la terra incognita de Barack Obama, candidat notablement mystérieux comme l’on ne cesse de l’écrire (l’“énigme” Obama). Comment trancher? Nous préférons nous intéresser aux circonstances et aux faits.

• Les circonstances. Un Obama président sera évidemment soumis à des pressions très fortes dans les deux sens, d’une part pour lutter contre la crise économique avec des mesures dramatiques, d’autre part pour poursuivre une politique d’engagement belliciste affirmée. Ces pressions viendront autant de ses conseillers, ministres, etc., que des autres pouvoirs (le Congrès principalement, les médias, les milieux d’experts, etc.).

Il ne s’agit là que de la situation américaniste structurelle, Obama ou pas Obama. Cette situation existe déjà, dramatisée et précipitée par la crise. La paralysie et l’inertie de l’administration GW Bush, la pusillanimité du Congrès, ont conduit à la simple gestion de la situation de crise structurelle, parfois dans des conditions dramatiques (crise de Wall Street). De ce point de vue, dans la mesure de la tension ainsi accumulée et des pressions des divers déséquilibres qui se sont développés, la prochaine présidence devrait être un moment décisif dès son début. C’est dès ce moment que seront confrontées les nécessités antagonistes, principalement celles qui sont décrites ci-dessus.

Nous parlons de “nécessités antagonistes” parce qu’il s’agit bien du point central du débat. Il apparaît désormais évident que les USA ne peuvent plus assumer à la fois leur charge extérieure et leur charge intérieure. La première (les guerres extérieures et les engagements militaires divers) pèse toujours aussi lourd, sans qu’on entrevoit la plus petite amélioration. La seconde (la crise financière et la crise économique) est brutalement devenue conjoncturellement dramatique et pressante alors que la situation structurelle des USA (les “termites”) est dans un état également catastrophique. L’évidence dont nous parlons est que les deux “fronts” ne peuvent être tenus en même temps, et la crise financière suivie de la crise économique met tout cela en pleine lumière. La prochaine administration est nécessairement celle du choix.

• Les faits, donc, car ils ne cessent d’apparaître de plus en plus têtus. C’est peut-être là la piste principale de la prochaine administration, certainement s’il s’agit d’une administration Obama (mais sans doute pas tellement moins avec une hypothétique administration McCain). Les faits importants pour étudier cette question de l’orientation se situent essentiellement à la jointure des deux nécessités. On les trouve donc rassemblés dans ce que nous nommons la “crise du Pentagone”, que certains nomment le “coming crash” du Pentagone. En effet, le Pentagone est bien cette jointure dont nous parlons: il représente un énorme trou noir de gaspillage de biens et de richesses dans une économie et un pays qu’on découvre exsangue. Chaque jour, un expert ou un connaisseur, – et il n’en manque pas, – nous donne son analyse catastrophique, c’est-à-dire réaliste, sur la question. C’est le cas de Nick Turse, sur TomDispatch.com, hier 26 octobre.

«While we may never know if it was bin Laden's knowledge of America's "expeditionary" history that drove him to plan out the 9/11 attacks, he certainly goaded the Bush administration into a Soviet-style military spending spree, complete with a Soviet-style ruinous war in Afghanistan. With some caves for bases, he managed to sink Americans into a multi-trillion dollar financial quagmire.

»If the United States had never wasted the better part of a trillion dollars fighting a war in Vietnam and, following defeat there, embarked on a scheme to saddle the Soviets with a similarly ignominious loss – which has now led to wars with a multi-trillion dollar price tag – the United States might not be in such dire financial straits today. And yet, despite the worst economic downturn since the Great Depression, the U.S. continues to sink money into costly wars fought from expensive bases overseas with no end in sight. The result is sheer waste in every sense of the word.

»When Americans want to get serious about a long-term bailout strategy that brings genuine financial and national security, they'll look to real cost-cutting options like stopping America's string of costly wars and getting rid of the Pentagon's vast network of overseas bases...»

En d’autres mots, l’option “président de guerre” est la question d’un choix, mais c’est aussi la question des moyens de ce choix. Dans la situation actuelle, le Pentagone ne peut fournir les renforts supplémentaires en Afghanistan qu’Obama a annoncés sans les prendre sur le contingent déployé en Irak; la promesse d'Obama d’écarter cette sorte de dilemme stratégique en augmentant les forces armées de 95.000 hommes implique des augmentations budgétaires à mesure. Cela signifie que même le choix de l’option extérieure signifie des ponctions budgétaires supplémentaires, aux dépens de la situation intérieure. Plus encore: même cette orientation n’est pas assurée du tout d’être rencontrée, y compris avec ces éventuels “ponctions budgétaires supplémentaires”. Le Pentagone est dans un tel état qu’il n’est plus capable, – c’est notre avis, – de renforcer ses capacités de manière efficace, même avec de l'argent supplémentaire qui ne ferait qu'aggraver désordre et gaspillage. Plus encore (bis)… Même les situations d’urgence absolue et de guerre majeure ne sont pas assurées d’être rencontrées. Nous avons déjà signalé qu’une étude datant de 2007, envisageant le cas extrême d’une attaque terrestre de l’Iran, comptait qu’il faudrait un peu plus d’un million d’hommes (ce qui est une comptabilité acceptable, si l’on se réfère aux méthodes US), qu’il faudrait alors décider une mobilisation comme dans un état de guerre totale, – et qu’il faudrait quatre ans pour rassembler cette armée d’un peu plus d’un million d’hommes! On imagine le nombre de crises et d’effondrements divers que nous aurions entre temps.

Ce que nous mettons en question jusqu’à l’estimer comme quasiment impraticable, c’est l’hypothèse classique de WSWS.org d’écarter les problèmes intérieurs par une “fuite en avant”, ou une poursuite de la “fuite en avant” extérieure («Plus encore qu'au cours de la dernière décennie, les Etats-Unis chercheront, dans un contexte de turbulence financière et de récession économique, à compenser leur déclin économique par des moyens militaires»). Il nous apparaît évident que les USA sont bien au-delà de cette formule, et que le dilemme évoqué entre deux choix n’en est pas un. Même l’option qu’on jugerait objectivement “optimiste” (choix de l’action intérieure en supprimant l’option “extérieure”, à supposer qu’une telle politique soit possible, sinon “permise”) nous paraît fermée à double tour; même sans le fardeau des aventures du Pentagone, les USA n’auraient pas les moyens ni la capacité de se relever… On l’a d’ailleurs vu lors de la Grande Dépression, où la véritable solution fut la guerre… Et comme le Pentagone ne peut plus aujourd'hui faire de guerre “efficace”… Et ainsi de suite, sorte de mouvement perpétuel.

Certainement, l’un des points centraux des mois à venir, avec la nouvelle administration, sera la situation de cette jointure des deux situations intérieure et extérieure, le Pentagone. L’hypothèse du “coming crash” est à envisager sérieusement, comme cadeau de bienvenue de la nouvelle administration.