Un “front” de plus vers la chute finale d’une guerre introuvable

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Un “front” de plus vers la chute finale d’une guerre introuvable

29 août 2009 — Afghanistan encore, puisque les nouvelles ou les appréciations sollicitées se suivent et se confirment. Ce qui peut être annoncé aujourd’hui 29 août complète parfaitement ce qui était observé hier, à cette même place. Il s’agit des deux faces de la même chose, la face fondamentale (hier) la face de l’emprisonnement occidentaliste et américaniste (aujourd’hui). Entre les deux, on jugera ce qui est essentiel et ce qui est accessoire, en ayant à l’esprit que l’accessoire ne cesse de renforcer l’essentiel. (C’est la raison de notre intérêt persistant pour l’accessoire, malgré son peu d’intérêt du point de vue du brio et de l’intelligence politiques.)

Le fait est que, après des années de détérioration des rapports entre les USA et l’homme que les USA ont placé à la tête de l’Afghanistan, Hamid Karzaï, la situation s'oriente vers une logique d’affrontement direct. Cette fois, après les échos de la rencontre houleuse entre Holbrooke et Karzaï, il s’agit d’une mesure diplomatique directe qui, si elle est prise, ferait considérer que les USA traitent certains membres du gouvernement Karzaï, et par extension ce gouvernement, en personnæ non gratæ, quasiment en adversaires directs. The Independent annonce, ce 29 août 2009, que le vice-président afghan éventuellement élu avec Karzaï pourrait se voir interdit d’entrer aux USA à cause d’intérêts qu’il aurait dans le trafic de drogue en Afghanistan. (L’extrait ci-dessous rappelle également l’incident Karzaï-Holbrooke, dont The Independent a été le premier à parler.)

«The United States may refuse a visa to Hamid Karzai's running mate in the election because of his alleged links with the drug trade. Muhammed Fahim, due to become vice-president if Mr Karzai wins, has been accused by the US Secretary of State Hillary Clinton of being involved in opium trafficking. American officials say this could make it legally impossible to let him enter the US.

»The controversy over Mr Fahim, defence minister in Mr Karzai's last government, is yet another sign of rising tension between Washington and the incumbent president.

»The Independent revealed this week how Richard Holbrooke, the American envoy to Afghanistan and Pakistan, clashed with Mr Karzai over his choice of electoral allies, such as Mr Fahim and the warlord Abdul Rashid Dostum. He also claimed the president's team had engaged in ballot fraud.

»Mr Karzai is said to have walked out of the meeting after 20 minutes after Mr Holbrooke suggested that a second round of voting would be necessary to alleviate public scepticism over the probity of the election. The US envoy subsequently spent three hours in talks with the rival presidential candidate Abdullah Abdullah.

»The growing antagonism between Mr Karzai and the West is mutual. The Afghan President is said to have been deeply unhappy at the “patronising” tone taken by Mr Holbrooke and is said to be preparing himself for a lecture by a senior British politician who is due in the country. A supporter of Mr Karzai, who has flown over from America to help with the campaign, said: “It could be useful, perhaps he can tell Afghan MPs how to maximise their expenses.”

»There is also a future confrontation in the making with Britain after the election over the Helmand governor, Gulab Mangal, who is backed by London. Mr Karzai had in the past planned to replace him with Sher Mohammed Akhunzadi, a former holder of the post, who has been accused of corruption and human rights abuses.»

Autre nouvelle importante, des précisions données par le même quotidien, ce même 29 août 2009, concernant les demandes de renforts pour l’Afghanistan du nouveau chef de la “coalition”, le général McChrystal. Il s’agit d’une information non-officielle puisque Kim Sengputa écrit son article à partir de fuites dont il a bénéficié. Sengputa, qui est détaché à Kaboul, est aujourd’hui l’un des meilleurs journalistes sur la question.

La demande de McChrystal porte sur 20.000 hommes de plus, qui devraient venir de la “coalition” (mais qui seront essentiellement US, et britanniques pour faire bonne mesure).

«The commander of Nato forces in Afghanistan will ask for 20,000 more international troops as part of his new strategic plan for the alliance's war against a resurgent Taliban, The Independent has learned. The demand from General Stanley McChrystal will almost certainly lead to more British soldiers being sent to the increasingly treacherous battlegrounds of Helmand, the Taliban heartland, despite growing opposition to the war.

»General McChrystal, tasked with turning the tide in the battle against the insurgency on the ground, has given a presentation of his draft report to senior Afghan government figures in which he also proposes raising the size of the Afghan army and police force. […]

»According to General McChrystal's draft plan, the number of Afghan troops would rise from 88,000 to 250,000, and the police force from 82,000 to 160,000 by 2012. These increases are higher than expected, with previous suggestions that the totals would be raised to 134,000 and 120,000 for the army and police respectively.

»The US commander will, however, ask other Nato countries to send further reinforcements and will travel shortly to European capitals to discuss the issue. It is widely expected that the UK will send up to 1,500 more troops. At the same time, a force of 700 sent to help provide security for the Afghan elections last week on a temporary basis will become a permanent presence. »

Ces demandes de renfort correspondent sans aucun doute, plus que jamais dirait-on, à l’état d’esprit officiel de la communauté de sécurité nationale à Washington, qui est de pousser à fond pour obtenir une “victoire” sur le terrain. (Comme on l’a vu, comme un paradoxe notable de la situation, le Pentagone, et spécialement les chefs militaires, ont une position beaucoup plus prudente. Cette attitude est souvent partagée par telle ou telle personnalité civile, ce qui laisse à penser que la position officieuse de la même communauté de sécurité nationale est beaucoup plus pessimiste qu’elle n’est exprimée en public, d’une façon solennelle, et alors ses prises de position officielles tonitruantes correspondant au climat virtualiste courant. Comme nous l’écrivions le 24 août 2009, dans le texte mentionné plus haut: «…et alors la principale “leçon” que les USA auraient retenue du Vietnam est qu’ils sont incapables, au fond, de remporter cette sorte de guerre. Donc, on continue et comprenne qui pourra.»)

William Pfaff, sur Truthdig.com le 27 août 2009, nous rapporte, à partir d’un compte-rendu de The Nation, les échos d’un séminaire hautement significatif à Washington, où effectivement s’exprime unanimement cet avis officiel qu’il faut y aller, et à fond...

«The Nation magazine’s Robert Dreyfuss has just published a fascinating account of Washington establishment opinion about the war in Afghanistan.

»The four speakers at a Brookings Institution discussion were Bruce Riedel, adviser to the president (and believer in the catastrophic international consequences of a loss of the war in Afghanistan); Michael O’Hanlon, an adviser to Gen. David Petraeus; Tony Cordesman of the Center for Strategic and International Studies; and Kim Kagan, head of the Institute for the Study of War.

»The unanimous gloom expressed by these four speakers, and the apparent absence of any sunlight shining from the attending (and largely professional-political) audience, seems clear confirmation that Barack Obama and his chosen advisers have wasted no time in placing themselves and the country—in a mere five months—into the same desperate situation that it took the combined Johnson and Nixon administrations 15 years to arrive at in the case of Vietnam. This view would seem widely shared today—without influencing policy.

»This is scarcely believable. Dreyfuss summarizes the speakers’ shared views: 1. “Significant escalation” is essential “to avoid utter defeat.” 2. If “tens of thousands” of new troops were sent to Afghanistan, it would be impossible to know whether this reinforcement changed anything until another 18 months had elapsed. 3. Even if the U.S. “turns the tide,” no “significant drawdown” of American troops could occur for at least another five years.

»However, the most dramatic unanimous opinion of the four experts was this one: “There is no alternative to victory.”»

(On sait que Pfaff a joliment résumé la situation en observant, que dans les conditions actuelles de cette étrange “guerre”, la “victoire” a toutes les chances de ressembler à une “défaite”. Le “succès” serait justement un retrait et un abandon de ces combats qui, quelle qu’en soit l’issue – mais on la connaît pourtant –, impliquent une débâcle politique occidentale [US].)

Ainsi a-t-on, réunis, les principaux éléments de ce qu’on nomme “la politique réelle” de la situation en Afghanistan par simple souci de forme. En réalité, il s’agirait de parler plutôt, par renversement orwellien du aux contraintes de la communication qui forme la base de la puissance du système, des manifestations d’une vision complètement fabriquée de la situation, souvent contraire à la véritable analyse de la situation que font les uns et les autres, d'une pauvreté évidente et épuisante. C’est pourtant celle qui gouverne les pays occidentaux, essentiellement les USA et l’acolyte britannique obligé de suivre. (Les autres “alliés” appartenant à la fiction générale, sans qu'aucune forme ne soit prise avec eux. Personne n'a été sérieusement consulté sur les décisions US en cours. Par conséquent, l'indifférence des autres “alliés” à l'évolution de la situation en Afghanistan est à mesure, et leur participation à l'effort en préparation le sera également.)

Les quatre “fronts” de la “guerre”

D’une façon générale, la consigne est désormais générale après une intervention de Robert Gates il y a deux semaines annonçant qu’en 12-18 mois, il faudrait que la “victoire” soit verrouillée. (Ce qui n’empêche pas, bien entendu, de rester ensuite dans le pays pour un certain nombre d’années.) Au moins, les choses commencent à être clarifiées, une sorte de compte à rebours vers la catastrophe qui pourrait ainsi prendre une représentation bien réelle et entraîner des conséquences qui ne le seraient pas moins. Nous parlons, fondamentalement, beaucoup moins du terrain (l’Afghanistan) où tout se passe mais où rien ne se réglera sinon l’aggravation des choses, que du poste de commandement (Washington D.C.), où les principaux effets seront ressentis.

Comment ont-ils fait? Qu’importe, ils semblent devoir réussir à mettre en place une situation encore pire que celles qu’ils connurent avec l’Irak, avec l’épuisement de l’Irak en plus.

• En Afghanistan, le contrôle US est nettement moindre qu’il n’était en Irak, parce que cette guerre a été négligée depuis huit ans, avec des hauts et des bas d’activité sans jamais de stratégie suivie, ni même esquissée; parce que la “coalition” qui implique l’OTAN donne aux non-US, malgré leur absence de participation aux décisions, un poids formel beaucoup plus grand que les “alliés” n’avaient en Irak, et par conséquent des positions politiques avec des nuances parfois importantes, s'exprimant sur le terrain.

• L’“extérieur” joue un rôle bien plus considérable que dans le cas irakien. Bien entendu, il s’agit du Pakistan, dont l’importance est considérable au point qu’on parle d’un conflit englobant autant ce pays que l’Afghanistan, compliquant autant le domaine opérationnel que le domaine politique.

• Le “gouvernement” en place (Karzaï) l’est depuis plus longtemps qu’en Irak où se sont succédées différentes équipes. Il a ses propres structures et il est désormais quasiment en conflit ouvert avec Washington alors qu’il devrait être prétendument à ses ordres.

• La division ethnique du pays est en place depuis longtemps, elle n’a pas été bouleversée par l’intrusion des Américains et ses divers composants ont depuis longtemps leurs propres politiques dans lesquelles les Américains n’ont guère pu imposer leurs intérêts. Cette division ethnique est éventuellement plus manipulatrice des USA qu’elle ne pourrait être manipulée par eux.

• Les “voisins” qui jouent un rôle stratégique passif important – l’Iran et la Russie, notamment – ont leurs politiques et leurs moyens propres, et leur coopération requiert de la part des USA des concessions et des efforts constants, qui interfèrent avec d’autres grands problèmes stratégiques (les relations avec l’Iran sur la question nucléaire, les relations avec la Russie en général, et notamment en Europe, avec divers points de tension). Bien entendu, aucun de ces “voisins” ne peut être tenu pour un soutien inconditionnel de la politique US en Afghanistan, loin, très loin de là; ce “soutien” peut, dans bien des cas, ressembler à un moyen de pression (sur les USA).

En admettant, comme tous les officiels le prétendent, que c’est une “nouvelle guerre” qui débute en Afghanistan, la situation intérieure US est évidemment bien plus défavorable pour ce conflit qu’elle ne l’était pour l’Irak dans sa première phase. Les raisons à cela sont nombreuses, que ce soit les moyens disponibles et l’état d’affaiblissement de la puissance US, et l’absence de soutien populaire combiné à un soutien très problématique du Congrès. Ce point est mis en évidence par le délai qui est imposé pour une “victoire” – 12-18 mois – qui ajoute une pression extrêmement difficile à supporter dans un conflit qui demanderait du temps et de l’espace pour conduire à bien une stratégie ayant des chances de l’emporter – en acceptant la logique militaire, ce qui suppose généreusement qu’une telle stratégie existe.

Aujourd’hui, en Afghanistan, les USA ont à faire à quatre “fronts”. Il y a d’abord le “front” de la guerre elle-même, avec ses caractères d’insaisissabilité et de fluidité qu’on connaît bien; le “front” nouvellement ouvert avec le gouvernement Karzaï, accentuant l’instabilité interne de la guerre, d’autant plus fortement que la “victoire” dépend aussi du développement de l’armée afghane; le “front” des relations des USA avec ses prétendus “alliés”, que ce soit les autres pays de la coalition, le Pakistan ou les voisins stratégiquement importants (Iran et Russie); enfin le “front” intérieur, aux USA même, où l’administration Obama conduit une guerre selon une politique générale appuyée officiellement, par rapport à sa base politique naturelle, sur des promesses de désengagement, avec une absence complète d’unité politique, des centres de pouvoir erratiques, etc.

La dramatisation de la guerre assortie de la nécessité d’une “victoire” militaire constitue un pas important dans la politique US, et met en place un enjeu considérable. Bien plus sûrement qu’en Irak, des événements contraires en Afghanistan, dans tel ou tel domaine, ont désormais plus de chances d’être immédiatement et directement répercutés sur la situation intérieure US, c’est-à-dire sur la stabilité interne du régime américaniste. Il est bien moins question d’une “résistance populaire” comme au temps du Vietnam, qu’une mise en cause de la légitimité de ce pouvoir. La dramatisation de la guerre implique la dramatisation de l’enjeu, qui implique la dramatisation des conséquences intérieures en cas d’impuissance à obtenir ce qu’ils nomment la “victoire”.


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