Toujours des “signaux” britanniques vers l'Europe (la France) et la défense

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Se passe-t-il quelque chose au Royaume-Uni? La question a déjà fait un grand usage, lorsqu’il s’agit des relations avec l’Europe, par conséquent des relations avec les USA, et particulièrement dans le domaine de la défense. Elle peut encore servir, c’est-à-dire être posée à nouveau. Le commentaire de Malcolm Rifkind, dans le Financial Times du 16 juillet 2009, y conduit effectivement, après le rapport de l’IPPR dont nous avons parlé le 2 juillet 2009. On y retrouve quelques-unes des observations essentielles…

• Il y a le caractère inéluctable de certaines réductions de grands programmes d’armement; fatalités budgétaires, fatalité de la crise… On retrouve les mêmes hypothèses que dans le rapport mentionné, avec, en bonne place, notre affectueux JSF. «If Britain’s armed forces are already overstretched, and significant extra resources are not going to be provided, something has to give. The most likely casualties are the new aircraft carriers, the joint strike fighter, or even Trident submarines.»

• Il y a l’appréciation que les liens avec les USA sont promis à se réduire au niveau de la défense, qu’en Europe les deux principales nations avec une puissance militaire acceptable sont la France et le Royaume-Uni, – ainsi est-ce ce que l’on devine dans ces lignes: «At present the UK and France are the only two countries, other than the US, that can deploy serious military capability to other parts of the world. […] This strength is not going to be sustainable at current levels of spending. Furthermore, the US is going to become less and less willing to subsidise Europe’s defence when many European nations, unlike Britain and France, spend little on their military.»

• Que faire? L’Europe, bien sûr. Pas d’“armée européenne”, cela n’intéresse pas les Britanniques, pas vraiment d’intégration au niveau bruxellois. Lorsqu’on parle de choses sérieuses, les Britanniques sont sérieux, – c’est-à-dire qu’il n’est plus question des folies bruxelloises et des rêveries intégrationnistes. Alors quoi? Coopération renforcée, l’idée du “noyau dur” européen au niveau de la défense…

«I am not advocating the dangerous nonsense of a European army. Nor am I suggesting enhanced powers for the EU in defence. The reality is that only a few EU countries seriously contribute to military capability, including the French, Dutch, Danes and Poles. Germany will join the list when it overcomes its reluctance, since 1945, to operate overseas. Such a “coalition of the willing”, as the European pillar of Nato, would be formidable. Together they have combined military manpower of around 750,000, while Britain, France and Germany spend almost £100bn a year on defence.»

• Enfin, la cerise sur le gâteau: la coopération nucléaire avec les Français. Il s’agit de l’argument suprême dans une analyse des possibilités d’une coopération militaire entre France et UK: «That also applies to our nuclear weapons, where Britain and France provide a defence umbrella, along with the US, for the rest of Europe. If London and Paris could agree a joint nuclear defence strategy we would have a much more powerful combined deterrent against any possible aggressor. This might enable Britain to make do with three rather than four Trident submarines, greatly reducing the expense.»

• …Tout de même, ne pas oublier l’OTAN. Selon Rifkind, le projet ainsi détaillée s’apparente à un “pilier européen dans l’OTAN”; nous restons donc dans l’OTAN. «Nato must remain, but within it, its European members, including the UK, must get serious on defence. If we don’t hang together we will, assuredly, hang separately.»

Malcolm Rifkind est parlementaire conservateur, ancien ministre de la défense et ancien ministre des affaires étrangères. Ce commentaire, dont la logique épouse exactement celle du rapport déjà cité, perçu comme plus à gauche par certains, indique qu’il existerait désormais un courant puissant en formation au Royaume-Uni pour une refonte complète de la politique de défense et de la stratégie, dont on pourrait juger qu’il trouverait un écho similaire dans les différentes tendances politiques. Les facteurs constitutifs d’une telle hypothèse sont désormais connus: les nécessités nées de la crise et les contraintes que celle-ci impose; la perception d’un certain désengagement US, lui aussi suscité ou accéléré par la crise; la seule alternative possible étant européenne, avec, pour les Britanniques, la recherche privilégiée d’une coopération avec la France.

In illo tempore, tous les soupçons étaient justifiés lorsqu’une telle interrogation parcourait le monde politique britannique, – cela, si l’on se place du point de vue français principalement. Aujourd’hui, les soupçons sont moins justifiés, puisqu’il n’y a effectivement nulle crainte pour la France d’être entrainés à réintégrer l’OTAN contre son gré par les infâmes Britanniques, – l’habile président Sarkozy ayant prévenu la manœuvre, on sait comment. Le fait est que la possibilité existe fortement que les Britanniques soient vraiment demandeurs, parce que les événements ne leur laisseraient guère quelque autre choix. La possibilité existe même que les Britanniques aient intérêt à ce que les Français conservent le plus d’autonomie et d’indépendance possible, en vue d’une coopération où eux-mêmes profiteraient de cette autonomie.

Il est également très intéressant, du point de vue politique, que ce soit un conservateur qui envisage ces possibilités. Il est évident que la question de la défense serait un des problèmes fondamentaux que les conservateurs devraient aborder s’ils remportaient les prochaines élections générales qui auront lieu au plus tard en juin 2010, pour lesquelles ils occupent actuellement la position de favoris. Dans cette perspective, on devrait voir fleurir les ballons d’essai sur des possibilités de nouvelles orientations.

Selon le schéma qu’on voit se développer, il apparaît que ces possibilités de coopération qui sont ainsi envisagées, principalement entre l’Angleterre et la France, devraient passer par des goulots d’étranglement, par des points de confrontation qui devraient être éclaircis. Certes, une coopération rapprochée avec la France au niveau de la défense poserait d’intéressantes questions dans le domaine nucléaire. Le cas de l’engagement britannique dans le programme JSF en soulèverait qui ne le seraient pas moins, d’autant que le cas est mis sur la table par les Britanniques eux-mêmes et qu’il s’agit d’un système dont le contrôle souverain (“souveraineté opérationnelle”) par ses utilisateurs non-US est fortement mis en question.


Mis en ligne le 20 juillet 2009 à 01H20