Robert Fisk et la guerre contre le dollar (et contre les USA)

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Robert Fisk, reporteur vedette de The Independent, nous a habitués, depuis des années, certainement depuis le 11 septembre 2001, à des reportages exclusifs sur les multiples conflits, massacres, troubles, etc., au Moyen-Orient. Sa préoccupation tournaient autour de la soi-disant “guerre contre la terreur”, sur cette politique de guerre conduite par les USA, sur les conséquences humanitaires, etc. Son article exclusif, paru ce 6 octobre 2009 dans le même Independent, qui change totalement de sujet, est un signal symbolique dans la rubrique déjà fournie de signes qui nous annoncent que nous sommes dans une phase nouvelle, certainement depuis le 15 septembre 2008, où la narrative hollywoodienne et cruelle de “la guerre contre le terreur” le cède à la réalité puissante d’une attaque généralisée contre l’hégémonie US imposée sur le monde au travers de divers instruments d’influence dans divers domaines, et précisément dans le domaine monétaire avec le dollar. Le délai fixé pour mettre en place le système présenté est de huit ans, et les Chinois ont confirmé à Fisk que les négociations sont allées trop loin pour qu’on puisse bloquer le processus.

Il s'agit des tractations secrètes annoncées par Fisk, actuellement en cours entre les pays du Conseil de Coopération du Golfe [CCG] (Arabie Saoudite, Koweït, Dhoubaï, EAU, Qatar notamment), avec plusieurs puissances extérieures qui sont la Chine et le Japon en Asie, la France et la Russie en Europe, pour remplacer le dollar comme monnaie de transaction de l'énergie par un “panier” de devises comprenant le yuan, l’euro, l’or et une nouvelle monnaie commune du CCG.

«Secret meetings have already been held by finance ministers and central bank governors in Russia, China, Japan and Brazil to work on the scheme, which will mean that oil will no longer be priced in dollars. The plans, confirmed to The Independent by both Gulf Arab and Chinese banking sources in Hong Kong, may help to explain the sudden rise in gold prices, but it also augurs an extraordinary transition from dollar markets within nine years.

»The Americans, who are aware the meetings have taken place – although they have not discovered the details – are sure to fight this international cabal which will include hitherto loyal allies Japan and the Gulf Arabs. Against the background to these currency meetings, Sun Bigan, China's former special envoy to the Middle East, has warned there is a risk of deepening divisions between China and the US over influence and oil in the Middle East. “Bilateral quarrels and clashes are unavoidable” he told the Asia and Africa Review. ”We cannot lower vigilance against hostility in the Middle East over energy interests and security.”

»This sounds like a dangerous prediction of a future economic war between the US and China over Middle East oil – yet again turning the region's conflicts into a battle for great power supremacy. China uses more oil incrementally than the US because its growth is less energy efficient. The transitional currency in the move away from dollars, according to Chinese banking sources, may well be gold. An indication of the huge amounts involved can be gained from the wealth of Abu Dhabi, Saudi Arabia, Kuwait and Qatar who together hold an estimated $2.1 trillion in dollar reserves.

On retrouve dans les pays impliqués, outre les pays du CCG, nouveaux venus à ce point d’activisme contre le dollar, les “usual suspects”, deux pays du BRIC (mais Fisk mentionne le Brésil et l’Inde, les deux autres pays du BRIC, intéressés par cette perspective), et la France, qui retrouve de plus en plus son rôle gaulliste de cette puissance à la fois “en-dedans” du système et de plus en plus activiste “en-dehors ” du système et contre lui. La présence du Japon montre que l’arrivée de la nouvelle équipe a une puissante signification pour les liens, ou la dégradation des liens entre cet “allié intangible” des USA et les USA.

Un autre point essentiel illustré par Fisk concerne la position des USA, plus que jamais “entangled Giant”, trop préoccupés par leurs problèmes intérieurs pour réagir comme ils le devraient, alors qu’ils prennent pourtant une posture agressive contre cette offensive anti-dollar. Les Britanniques eux-mêmes, solidaires avec les USA, seront conduits à suivre la fronde anti-dollar, selon les Chinois.

«The Chinese believe, for example, that the Americans persuaded Britain to stay out of the euro in order to prevent an earlier move away from the dollar. But Chinese banking sources say their discussions have gone too far to be blocked now. “The Russians will eventually bring in the rouble to the basket of currencies,” a prominent Hong Kong broker told The Independent. “The Brits are stuck in the middle and will come into the euro. They have no choice because they won't be able to use the US dollar.”

»Chinese financial sources believe President Barack Obama is too busy fixing the US economy to concentrate on the extraordinary implications of the transition from the dollar in nine years' time. The current deadline for the currency transition is 2018.»

On trouve dans toutes ces remarques une ligne générale qui confirme le commentaire que nous faisions hier, 5 octobre 2009, sur la question du dollar, mais dans un tout autre contexte.

@PAYANT Tout est rassemblé dans ce texte pour poser et présenter d’une façon concrète, à partir d’actions en cours, ce qui est en train de se transformer en “guerre contre le dollar”, puisque les USA n’entendent pas céder, et plus largement d’une révolte générale contre l’hégémonie des USA devenus un système en cours d’effondrement dont la position dominante devient un hiatus insupportable. Fisk rappelle que l’Iran a décidé d’abandonner le dollar il y a un mois, ce qui le rapproche du groupe puissant décrit par le même Fisk bien plus que l’affaire du nucléaire, apparaissant de plus en plus artificielle, ne l’y oppose.

Une fois de plus, pour ce pays (l’Iran), Fisk rappelle le précédent de l’Irak, avec la thèse de la cause de l’attaque US contre l’Irak dans la décision que venait de prendre Saddam d’abandonner le dollars pour ses transactions pétrolières; ne va-t-il pas se passer la même chose pour l’Iran ? La réponse est simple, qui permet de rappeler qu’il est temps de penser aux USA en termes d’une puissance en cours d’effondrement et non selon l’image d’une puissance dominant tout le reste: avec quoi attaquer l’Iran, à quels risques, avec quel soutien alors que l’establishment washingtonien se déchire pour l’envoi ou non de 40.000 hommes en Afghanistan? Le fait même que les USA ne suivent que de très loin ce complot anti-dollar parce qu’ils sont concentrés sur leurs problèmes intérieurs, c’est-à-dire paralysés par ces problèmes, est une réponse à cette hypothèse.

Quant à un réveil brutal des USA devant cette attaque contre le dollar qu’ils connaissent, il fait savoir que les USA sont notablement réveillés et ne cessent de parler d’attaques dans tous les coins sans rien faire. Ils n’en ont plus les moyens ni, surtout, la volonté, et pour le dollar (et éventuellement contre l’Iran), il en sera de même. Notre appréciation est que, lorsqu’ils prendront la mesure du complot et réagiront, ce sera moins par un réflexe d’union nationale, notamment pour une attaque contre l’Iran dont ils ne sont plus capables, que par des débats et des affrontements intérieurs sur les mesures à prendre, avec des troubles intérieurs accentués qui peuvent mener à une crise centrale du pays (les USA) jusqu’à sa dislocation. Le climat de crise ouverte et d’affrontement forcené, frisant la discorde civile, à Washington en ce moment, est une puissante indication à cet égard. D’ores et déjà, les USA découvrent que des alliés vitaux les abandonnent, des pays du Golfe au Japon, que le BRIC, à effectifs partiels ou complets, joue un rôle central, que la France constitue désormais un relais européen fondamental –pour renforcer le mouvement – que le Royaume-Uni est de plus en plus coincé pour ne pouvoir faire autrement que suivre à un moment ou l’autre l'attaque contre le dollar en entrant dans l'euro (selon les Chinois). Aujourd’hui, la psychologie catastrophique des USA n’est plus confrontée à un “coup de fouet” qui l’éveillerait, que constituerait l’annonce de la cabale anti-dollar, mais au contraire elle est renforcée par la connaissance de cette attaque en cours qu’elle ne peut bloquer, qu’elle considère de plus n plus comme inéluctable. L’Amérique est sur une défensive dépressive, catastrophique et de discorde civile.

Le schéma que nous privilégions hier nous apparaît plus que jamais acceptable, en écartant la thèse du “gouvernement mondial” qui suppose un contrôle général des choses que plus personne ne possède. La sortie du dollar est inéluctable, elle se fera dans la douleur et l’affrontement, en privilégiant l’action souveraine des pays concernés, beaucoup plus qu’en se référant à des organisation internationales. Nous ne voyons certainement pas, comme le suggère le texte de Fisk, un grand vainqueur (la Chine) émerger mais bien une organisation multipolaire faite de nations et de groupes de nations regroupées, et affirmant chacune leurs souverainetés pour renforcer l’alliance générale.

Le rôle de la France est central, non par le poids brut mais par la dynamique, dans la mesure où elle fournit une dynamique de coopération entre les forces extérieures au cœur du système et le cœur du système. La France joue le rôle de verrou dont la vocation et, de plus en plus, la politique, sont de faire volontairement pénétrer la sédition “extérieure” au moins au cœur de l’Europe, donnant ainsi de facto à la France un rôle dirigeant d’une Europe qui serait obligée de suivre la fronde anti-US. Dans ce cadre, les marchés d’armement français en cours ont bien l’importance parce qu'ils participent au reclassement politique fondamental (marché avec le Brésil et avec la Russie, mais aussi un gros marché de 60 Rafale en négociation avec les EAU, et peut-être des perspectives inattendues avec l’Arabie, par ailleurs engagée dans des accord avec les Russes); il s’agit du rôle politique et historique fondamental que nous attribuons aux armements, s'inscrivant dans cette fronde générale anti-US. Hors de toute considération dépassée sur la “quincaillerie” militaire et la comptabilité des contrats, le “poids des armes” est, dans cette partie, d’un importance politique considérable et absolument centrale, permettant de mieux comprendre l’importance historique du domaine dans cette occurrence d’un tournant majeur de la politique mondial. Ils aident majoritairement au grand bouleversement en cours et complètent l’attaque contre le dollar d’une attaque contre le complexe militaro-industriel US. L'attaque contre l'hégémonie devenue insupportable du système de l'américanisme est ainsi générale en attaquant les grands centres de puissance, en plein déclin eux-mêmes, qui alimentent cette hégémonie.


Mis en ligne le 6 octobre 2009 à 07H04