Poutine, Medvedev et la petite fille qui tient la main de sa maman

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Les Russes poussent méthodiquement leur raisonnement sur la situation du monde, comme une sorte de commentaire qu’ils feraient de la crise dont ils sont eux-mêmes un protagoniste essentiel. Cette attitude se retrouve dans deux communications faites par Poutine et Medvedev, hier et aujourd’hui, lors de rencontres des deux dirigeants russes avec le club international de rencontre Valdaï. Ces interventions pourraient s’emboîter l’une dans l’autre, disons comme des poupées russes. Poutine parle de l’Union Européenne et de sa “politique extérieure” qui n’existe pas, Medvedev de l’“ordre international” qui est moribond. Ceci n’est pas loin d’expliquer cela.

• Poutine rencontre donc jeudi le Club Valdaï et dit tout haut ce que tout le monde sait tout bas, – «Poutine a déclaré que “l'Europe occidentale n'avait pas sa propre ligne politique” dans l'arène internationale.» Un correspondant de Novosti à Bruxelles a demandé à un de ses contacts au secrétariat général du Conseil, dont le chef est le Haut Représentant Javier Solana précisément chargé de la “politique extérieure” de l’UE, ce qu’il fallait penser de cette déclaration. L’on apprend que Solana n’est pas d’accord avec Poutine et l’on entend cette chose délicieuse: «La position sur la Géorgie constitue un bon exemple de la communauté de vues au sein de l'Union européenne.» On pourrait croire que c’est une façon très européenne d’admettre que Poutine n’a pas tort.

• Le lendemain (aujourd’hui), c’est Medvedev qui rencontre les gens de Valdaï. On en retient notamment deux dépêches, venues de Novosti à deux heures de distance, reprenant l’essentiel des déclarations de Medvedev. Il parle bien sûr de la crise de la Géorgie.

«Peut-être, ces changements ne sont-ils pas tellement visibles, mais, pour moi personnellement, il y en a beaucoup. Pour moi et pour une partie considérable de mes concitoyens, ces événements ont marqué la fin des illusions datant de la période de l'apparition de la Russie en tant qu'Etat indépendant.

»Ces illusions ne manquaient pas mais leur nombre diminuait au fur et à mesure que se développait le pays, et les récents événements ont signifié leur disparition totale. Ces illusions se fondaient sur la croyance en un monde équitable, avec un système de sécurité optimal préservant l'équilibre, un monde dont les principaux acteurs sont aussi en équilibre. Mais il n'en est rien.»

Dans l’autre dépêche: «L'expérience de la crise caucasienne sera encore longtemps analysée. Cette guerre nous a privés de nos dernières illusions sur l'efficacité du système de sécurité mondial. Nous sommes contraints de créer un autre système, sinon nous ne pourrons pas garantir que M.Saakachvili ne répétera pas ce qu'il a déjà commis.»

Les constats et idées émises par Medvedev correspondent effectivement aux spéculations dont nous nous sommes faits l’écho à l’une et l’autre reprises, qui développent l’idée que la Russie estime que les relations internationales sont à un tournant et qu’elles doivent entrer dans le processus de constitution d’un ordre nouveau. La crise géorgienne aurait achevé un travail de déconstruction d’un ordre agonisant et imposerait d’entamer une restructuration, selon une structure différente. Cette idée se retrouve chez d’autres, par exemple chez les Turcs.

La critique de Poutine contre l’UE s’inscrit évidemment dans le cadre de cette réflexion, d’une manière peut-être plus paradoxale qu’elle ne paraît. Lorsque Poutine observe, évidemment d’une façon si irréfutable que toute discussion serait une perte de temps, que l’UE n’a pas de politique extérieure, il implique évidemment que c’est dans ce système qui s’avère dépassé et obsolescent qu’elle n’a pas de politique extérieure. D’autre part, l’UE et l’Europe en général ayant une très grande importance de fait, tenant, même passivement, un tel rôle, et dans un espace où se trouvent la Russie, il est évident que les Russes ne peuvent songer à proposer de nouvelles normes internationales sans s’adresser notamment et particulièrement à l’Europe. Si l’on additionne et confronte toutes ces déclarations, on constate qu’elles constituent aussi bien un appel à l’Europe, qui n’a pas de politique extérieure, à s’en créer une, pour figurer dans la définition et la mise en place d’un nouvel ordre international. Du point de vue russe, on dirait même que la chose est indispensable.

On peut aussi bien avancer l’hypothèse que le malaise européen dans cette crise, à la fois avec un côté férocement anti-russe et un côté très engagé pour rechercher un arrangement avec les Russes, est le signe d’une certaine réalisation de ces perspectives qu’agitent les Russes, et où l’Europe devrait tenir sa place et jouer son rôle.

Le malaise est bien dans ce que cela n’est pas si simple. Pas facile de lâcher la main de sa maman pour devenir une grande fille.


Mis en ligne le 12 septembre 2008 à 18H01

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