Orban officialise la crise interne de l’UE

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Orban officialise la crise interne de l’UE

Revigoré par la visite de Poutine, du moins on peut le supposer, le Premier ministre hongrois Viktor Orban attaque. Sa tête de Turc (inévitable jeu de mots), c’est le président (polonais) de l’UE ; mais Tusk n’est pas vraiment une “tête de Turc” puisque cette expression est, par extension, l’équivalent de “bouc-émissaire”. Tusk est tout ce qu’on veut sauf un “bouc-émissaire”, ce n’est pas une “victime expiatoire” ni une personne sur laquelle “sont rejetées les fautes des autres”. Au contraire, il se tient dur et ferme sur sa position antirusse extrême, de provocateur et d’allumeur de brûlots antirusses au cœur de l’UE, inaugurant même un rôle inédit pour sa fonction qui est d’empiéter sur les prérogatives du Haut Représentant (l’Italienne Mogherini). Nous l’avons déjà observé comme un véritable “putschiste” à la tête de la bureaucratie politique de l’UE, orientant et incurvant la politique de l’UE toujours dans le même sens... Par conséquent, l’attaque d’Orban est, du point de vue du Hongrois, complètement justifiée.

Alors que Reuters (le 18 février 2015) rapporte l’attaque de Orban selon une approche tendant à réduire l’impression de rupture qu’elle peut donner, RT fait au contraire une présentation de la même intervention d’une façon qui la rend plus dramatique et plus fondamentale (RT, le 19 février 2015). Les mots étant ce qu’ils sont et l’attaque ad hominem étant, dans ce domaine extrêmement feutrée et apparemment consensuelle de la politique européenne, un fait extrêmement rare, nous pensons que la présentation “dramatisée” de RT correspond certainement plus aux intentions et à l’état d’esprit de Orban, et qu’elle sera effectivement perçue dans ce sens. Il est objectivement justifié d’adopter cette approche.

Il est par ailleurs évident que cette appréciation “dramatique” de la situation correspond à une incontestable vérité de cette situation. Orban estime que la question des relations avec la Russie a amené une profonde division à l’intérieur de l’UE et qu’il s’agit d’un véritable “bouleversement stratégique”, ou d’une “fracture stratégique”. Pour substantiver ses propos mais aussi le personnaliser dans le chef de l’incontestable meneur de la fraction pro-russe de l’UE, il désigne Donald Tusk, qu’il situe bien entendu à l’extrême du côté opposé au sien, symbolisant ainsi la division européenne dont il parle. Tous les événements récents confirment et soutiennent cette description... (Ci-après, des extraits du texte de RT.)

«Hungarian Prime Minister Viktor Orban has criticized EU’s attempts to isolate Moscow, in particular blaming former Polish PM and President of the European Council Donald Tusk for spearheading the European anti-Russia crusade. “This rift in the EU is very deep, of a strategic nature,” Orban said regarding the division in the EU and on how to build the bloc’s relationship with Russia. The European Council President Tusk is “on the other side” of this dividing line, Orban said, a day after striking economic deals with Russian President Vladimir Putin. [...]

»...But the EU countries are divided in Brussels in their attitude towards Russia. Orban specified that the Baltic States and Poland sided with the United States in their belief that Russia should be gradually excluded from cooperation with Europe. On the other hand, Hungary, Czech Republic, Slovakia, and Austria, Orban claims, believe cooperation with Moscow is essential. “We think that without cooperation with the Russians we cannot achieve our goals,” the Hungarian prime minister said, referring mainly to energy security, which the EU sanctions against Russia jeopardize.

»Russia also sees Hungary as a strategic partner and will pursue mutually beneficial energy projects. This was Vladimir Putin's message to his Hungarian counterpart on Tuesday, as both countries sealed a number of energy deals...»

Il est difficile de préciser les motifs de Orban d’exposer d’une façon aussi claire la situation de fracture stratégique au sein de l’UE. (Curieusement, ou bien de façon significative, il a fait ses déclarations à la veille d’un voyage en Pologne, pays d’origine du président de l’UE Tusk. En Pologne, d’ailleurs, – mais ceci explique peut-être cela, – il existe actuellement, depuis une ou deux semaines, un certain mouvement de réaction contre la vague d’extrémisme antirusse qui submerge la politique nationale depuis un peu plus d’un an. Le président de la République polonaise a critiqué le ministre des affaires étrangères pour ses déclarations antirusses qu’ils jugent inutilement provocatrices, notamment des déclarations selon lesquelles un danger de guerre existe enter la Pologne et la Russie du fait des Russes.)

Quoi qu’il en soit, on peut tenter de faire une analyse objective de ces déclarations, de ce qu’elles signifient pour la situation hongroise et pour la situation européenne, et quels sont leurs effets possibles. Il n’est pas assuré du tout qu’Orban prenne un grand risque en faisant ces déclarations, et même au contraire. Tout le monde connaît ses positions depuis longtemps, et depuis des mois elles sont l’objet de pressions et d’accusations de la part des pays antirusses de l’UE comme de la part des USA. Une menace de déstabilisation type-regime change, – une fatwa anti-Orban, pourrait-on dire, – a été quasi explicitement lancée par les USA, avec manipulations de certains mouvements de protestation à la clef. Dans ces conditions, Orban ne perd absolument rien à exposer sa position et l’antagonisme intra-UE au grand jour, au contraire il prend en partie une assurance contre certaines manœuvres secrètes. D’autre part, il officialise une situation européenne connue de tous, dont la dissimulation d’apparence profitait jusqu’ici aux maximalistes antirusses sous la pression des USA et leur relais par ces mêmes maximalistes, confortant la tendance bureaucratique à imposer des sanctions et à aggraver l’aspect antagoniste antirusse de la politique mécanique de l’UE. Ce qu’a dit Orban desserre en partie le carcan qui “oblige” les pays européens à rechercher une unanimité de position profitant toujours aux extrémistes.

Enfin, le fait qu’Orban ait parlé comme il le fait au lendemain de la visite de Poutine porte une signification implicite. Tout se passe comme si ses déclarations avaient le soutien de Poutine, ce qui, au vu des succès obtenus par la diplomatie russe, commence à constituer un atout important, même pour un pays faisant partie de l’UE. Cette situation peut contribuer à décider d’autres pays à parler dans le même sens (ceux qu’a nommé Orban, notamment, la Tchéquie, la Slovaquie et l’Autriche, – c’est-à-dire les pays formant à peu près avec la Hongrie le bloc de l’ancien empire austro-hongrois des Habsbourg).

Mais il y a un plan beaucoup plus large, qui est la situation européenne en général. Sur ce plan également, la déclaration d’Orban est une première, parce qu’elle ne porte pas seulement sur la situation d’un pays mais sur la situation européenne en général, justement. Lorsqu’Orban parle d’une “fracture stratégique”, c’est de toute l’UE dont il parle. Outre les pays qu’il a nommés, on sait que d’autres, de beaucoup plus grande importance, sont dans des positions très prudentes, ambiguës, etc., vis-à-vis de la politique antirusse maximaliste qui a été suivie jusqu’ici. (On peut citer l’Espagne, l’Italie, la Grèce bien sûr, on peut citer aussi la France, et même l’Allemane, – et ces deux grands pays, par ailleurs, unis par leurs interventions diplomatiques de ces deux dernières semaines qui ont mené à un certain rapprochement de leur part avec la Russie.) D’autre part, dans le camp des antirusses extrémistes, il faut aussi compter la bureaucratie européenne en tant qu’entité mécanique, qui pousse instinctivement (?) vers le plus extrême et favorise une ligne antirusse qui lui donne la sensation d’une existence opérationnelle toujours plus importante (la machinerie des sanctions, notamment, répond à un réflexe de la bureaucratie qui trouve dans la mise en œuvre de ces mesures une importance toujours grandissante)...

Par conséquent, l’ampleur stratégique évoquée par Orban est tout aussi justifiée du point de vue des partis, des organismes et des pays en cause, notamment dans la répartition des forces, que du point de vue de la cause du conflit interne. Cela conduit à remarquer que l’UE, loin de former un bloc soumis à la politique US et manipulée par elle comme une simple duplication, a sa propre existence, sa propre politique maximaliste correspondant à la politique-Système (disons la “version européenne” de la politique-Système), et désormais une fracture stratégique qui fait son originalité propre (caractéristique qu’on ne retrouve pas dans la version US de la politique-Système, où aucune opposition efficace ne parvient à se dégager et à s’affirmer). L’évolution de cette fracture stratégique implique d’autre part une possible sinon probable évolution vers une intégration avec d’autres crises européennes, comme par exemple la crise grecque où la question russe, et la question des relations avec la Russie jouent leur rôle.

Cet ensemble de phénomènes pourrait conduire à une situation nouvelle et inédite pour l’ensemble européen. Jusqu’ici, l’UE connaissait des crises intérieures qu’elle parvenait à contrôler selon la logique d’un centralisme bureaucratique favorisé par les principaux États-membres : toutes ces crises, avec leurs possibilités d’évolution, poussaient à la recherche d’un centre unificateur pour trouver leur issue. Cette fois, au contraire, la crise qui se manifeste au travers de la fracture stratégique est une crise complètement à tendance centrifuge, qui éloigne les acteurs d’une coordination centrale pour s’ordonner selon des situations ou des forces extérieures situées hors de l’ensemble européen. Cette fois, au contraire, le “centre” lui-même, qui est partie prenante dans la crise, n’est plus un élément stabilisateur, et par conséquent nullement un facteur rassembleur, mais plutôt le contraire. On comprend enfin que de tels caractères très novateurs pour l’Europe ne devraient pas échapper à la finesse analytique de la diplomatie de la Russie, qui devrait faire ce qui est en son pouvoir, – et il y a beaucoup d’éléments en son pouvoir, – pour favoriser une évolution de la crise dans un sens antagoniste au monstre bureaucratique qu’a formé jusqu’ici l’Europe sur son Ouest.


Mis en ligne le 19 février 2015 à 11H51

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