Oh, BHO ! Est-ce l’Amérique que tu vas nous laisser?

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Oh, BHO ! Est-ce l’Amérique que tu vas nous laisser?

Remarquable, cette intervention spontanée, vite réfrénée, vite oubliée, – mais enfin elle a eu lieu, – d’un présentateur de BFMTV, recevant le 29 avril un “spécialiste” (français) des USA, qui essayait de nous dire que l’Amérique c’est toujours formidable : “Mais enfin qu’a fait donc ce président Obama? Le premier Africain-Américain élu à la Maison-Blanche, accompagné d’un élan formidable qui nous faisait croire que c’en était fini du racisme, des inégalités, et voilà ce qui se passe à Baltimore!” L’expert, un peu pris de cours, argumenta qu’Obama savait bien parler et qu’il électrisait les foules, ce qui lui permettait de dire à ses compatriotes en communauté africaine-américaine qu’il fallait qu’ils cessent de rejeter la faute de leurs conditions sur les autres, – sous-entendant qu’ils sont effectivement fautifs de ce qui leur arrive et que la situation des autres 99‰ des autres communautés est idyllique, ce qui est un charmant argument, – mais que, au-delà, oui bien sûr, certes, il (BHO) n’avait pas changé grand’chose, il faut le reconnaître ...

On peut même avancer, sans aucune retenue, qu’il les a aggravées, puisque des troubles de caractères à la fois racistes et (de plus en plus) sociaux aussi spectaculaires et significatifs n’avaient plus eu lieu depuis les années 1960 (avec l’intermède explosif de Los Angeles au début des années 1990). Mais depuis août dernier et Ferguson, les villes américaines, et bien au-delà du Sud évidemment raciste comme s’il était le seul à l’être, explosent périodiquement dans des émeutes, des violences, du pillage, à la suite de l’une ou l’autre “bavure” policière, en général contre un Africain-Américain. Certes, tout cela oppose effectivement au début les Africains-Américains à la police mais dans des conditions de plus en plus générales, avant que les premiers soient soutenus en relais par des manifestations d’autres villes, y compris d’autres communautés de la population, y compris des WASP dominants, tout cela mettant un peu plus en pièces la première narrative (le racisme, coupable exclusif) développée au moment des premiers affrontements à Ferguson (dans le Missouri).

C’est clairement et nettement le cas avec Baltimore cette fois. Trois jours de violence conduisant à l’état de siège dans la ville avec couvre-feu et déploiement d’unités de la Garde Nationale, avec extension depuis hier à d’autres villes, avec des manifestations de soutien. Le cas de Baltimore et des évènements qui l’entourent est suivi avec empressement et un grand professionnalisme par le site WSWS.org qui voit dans ces troubles les signes d’un immense malaise social. (Le 30 avril 2015.)

«Thousands of workers and students demonstrated in Baltimore Wednesday, defying the military-police crackdown in the city of 622,000. Solidarity protests, including those demanding the removal of the National Guard from Baltimore, spread to other cities, including New York City, Milwaukee, Minneapolis and Washington, DC. While the police murder of 25-year-old Freddie Gray was the trigger of social opposition, the outpouring of protests is driven by deeper social causes.

»In addition to police violence, angry youth on the streets of Baltimore spoke out against deteriorating schools, impoverished neighborhoods, poverty level jobs and the vast social chasm that has produced “two Baltimores”—one for the rich and powerful, the other for the poor. They complained of the indifference of the political establishment in the city, which has long been dominated by a corrupt layer of African American Democratic Party politicians.

»As the immense class tensions that characterize American society are beginning to rise to the surface, the ruling class is responding with violence and repression. Maryland’s Republican Governor Larry Hogan and Baltimore’s Democratic Mayor Stephanie Rawlings-Blake, consulting closely with President Obama, used incidents of looting on Monday night to declare a state of emergency, deploy the National Guard throughout the city, including outside public schools, and impose a 10 p.m. to 5 a.m. curfew. Military humvees monitored protests closely on Wednesday, and police helicopters flew overhead. Meanwhile, police cracked down on solidarity protests involving some 300 demonstrators Tuesday night in Ferguson, Missouri. The St. Louis suburb was the scene of militarized police repression of protests after the police killing of 18-year-old Michael Brown.

»Authorities and the media are seeking to condition the population to accept routine police state measures and the suspension of democratic rights. Governor Hogan said Wednesday that the National Guard would remain “until the violence ends,” and warned that there were still “Hostility, anger and people who want to make trouble and don’t want to go in a peaceful way.” While state authorities would “permit” protests, the governor declared that the curfew remained in effect. Expressing the sentiments of many workers and youth in Baltimore, protester April Love told CNN, “The system is corrupt. We have waited too long for them to sweep this murder under the rug. The youth have been forgotten. We vote these politicians in and then they forget about you.»

Le jugement que nous donne April Love introduit ce qui est pour WSWS.org le principal facteur de la révolte : la situation sociale aux USA, particulièrement celle des Africains-Américains certes, mais plus généralement celle qui répond à la désormais-fameuse formule des 1% versus 99%. L’article de WSWS.org se termine par la description des conditions sociales et économiques existant à Baltimore en écartant comme essentiel le problème du racisme par simple renversement des situations : à Baltimore, le mayorat (la maire Stephanie Rawlings-Blake), les principaux services publics de la ville, etc., sont aux mains de la direction démocrate, essentiellement de la communauté africaine-américaine. Il n’est donc plus question, à moins d’une fort grave schizophrénie, de l'aspect jusqu'ici implicitement suggérée du racisme des autorités locales du Système, avec violence impliquant la communauté africaine-américaine seulement parce qu’elle est africaine-américaine. WSWS.org décrit les conditions sociales régnant à Baltimore, qui existent non pas en raison du racisme mais en raison des conditions économiques qui touchent les USA dans leur entièreté...

«The eruption of mass anger in Baltimore and the subsequent police-military deployment have exposed the fundamental class divide in America—between millions of workers on the one hand, and a corporate and financial aristocracy that controls both big business parties, on the other. In Baltimore, the Democratic political establishment, which has long been dominated by a corrupt, upper middle class layer of African American politicians, has starved essential services of funding while handing over large tax breaks to corporations and the wealthy in the name of “improving business climate.” Development has focused on sports, tourist attractions and commercial projects in the downtown and the Inner Harbor areas. Nearby areas that once contained dockyards, shipbuilding and repair facilities, steel, auto and other manufacturing plants, employing tens of thousands of workers, have long been abandoned along with working class neighborhoods that lack the most basic necessities of life.

»Baltimore’s infant mortality rate compares with underdeveloped countries like Belize and Moldova. Freddie Gray’s Sandtown neighborhood has a jobless rate of over 50 percent, a median income of $24,000—compared to $40,803 in the city as a whole—and life expectancy of only 68.8 years, according to the Justice Policy Institute and Prison Policy Institute. Johns Hopkins study noted that a matter of just six miles—the distance between affluent and poor neighborhoods in the city—means a difference of 20 years in life expectancy. The ruling class has nothing to offer to address the social catastrophe created by the capitalist system. The corollary to the redistribution of wealth from the poor to the rich—massively accelerated since the 2008 economic crisis—is the build-up of the instruments of repression in response to the inevitable eruption of class struggle.»

Effectivement, le cas de Baltimore va plus loin que celui de Ferguson, justement parce qu’il minorise encore plus, sinon radicalement, l’argument du racisme, à cause de cette présence massive d’un direction démocrate/africaine-américaine de la ville. Du coup, l’argument d’April Love («The system is corrupt») est évident et réduit à néant toute la phraséologie raciste, dans un sens ou l’autre. Love n’a pas dit “les politiciens blancs sont corrompus” parce qu’on sait très bien, et ce témoin le premier, qu’à Baltimore, la majorité des politiciens sont noirs et qu’ils ne font pas plus que les politiciens blancs, que tout le monde est aligné sur le système (le Système) et que l’ennemi c’est le Système. Bien vu. Obama aura donc fait la démonstration par l’absurde à propos du racisme : non pas que le racisme a disparu, mais que le racisme non seulement n’explique pas tout mais qu’il n’explique pas grand’chose lorsque règne le Système avec tant d’impudence ; et lui-même, Obama, aura mis en évidence l’avidité avec laquelle une sélection privilégiée d’Africains-Américains, embrassant avec enthousiasme le rôle de Kapo, se sont insérés parfaitement dans le Système. Démonstration convaincante.

(Harry Belafonte, du temps où il jouait au “dissident“ et n’avait pas encore succombé en soutenant Obama, traitait Powell et Rice, de l’administration Bush, de “House Slave” [voir le 17 octobre 2002], équivalent pour les esclaves noirs des Kapos juifs suppléant des services de sécurité nazis pour surveiller leurs coreligionnaires dans les camps de concentration. Effectivement, avec l’élection d’Obama, Belafonte a mis une sourdine, avec de nombreuses autres célébrités de sa communauté. Il nous apparaît évident que la situation doit être aujourd’hui notablement différente et que nombreux, parmi les élites-Systèmes noires, sont en train d’évoluer et de réévaluer leurs positions pour ne pas se couper de leurs bases populaires. On sait qu’Obama est “le pire des présidents US de l’époque moderne”, aussi bien pour les Africains-Américains que pour les citoyens US dans leur ensemble [voir le 1juilet 2014].)

En attendant, la répétition des enchaînements d’incidents liés à la violence policière, quelle que soit la validité des arguments d’un côté ou l’autre dans tel ou tel cas, est en train d’établir des conditions politiques nouvelles pour le Système. Nous approchons du point où les politiciens (notamment démocrates, de quelque couleur de peau qu’il soit car l’on sait bien que dans une exemplaire démocratie antiraciste du bloc BAO, la couleur de la peau compte si peu et est si peu remarquée qu’elle est à peine autorisée dans la description des évènements), – donc, une situation où les politiciens noirs et blancs, surtout démocrates, devront commencer à tenir compte de la colère des Africains-Américains parce que cette communauté constitue un gros potentiel de votes, surtout pour les démocrates ; et, d’ailleurs, une colère africaine-américaine qui déborde aisément sur les autres communautés, dans le même soupçon, lavant encore plus le cadre général d'une dialectique appuyée sur le seul facteur du racisme. Cela signifie une place plus grande faite à la démagogie sociale et des conditions économiques, des promesses en veulent-ils en voilà, etc. ; par conséquent la dialectique de la guerre totale, notamment contre les Russes, sport favori du Système en campagne, commençant à être mise en question, voire entamée sérieusement... Du coup, les affrontements entre les uns et les autres, bien entendu républicains et démocrates avec les tendances internes diverses, vont se faire plus tendus, plus aigus, en en mots plus réels, parce que la chasse à l’électeur reste le plus vieux métier du monde des politiciens-Système. Si le consensus sur la politique de déstructuration par la brutalité militaire est menacée par l’intrusion d’une dialectique démagogique en faveur des pauvre et des communautés défavorisées, l’équilibre dialectique de la communication au cours des élections présidentielles peut être rompu, avec accroissement d’affrontement, c’est-à-dire ajoutant l’affrontement et la division sociale peut-être radicale au sein d’un pouvoir impuissant et paralysé. Il y a de l’antiSystème à débusquer dans tout cela.

En attendant, que fait-on  ? On dénonce les violences, voire les fauteurs de troubles, parce que le Système n’a plus que cet outil, d’ailleurs continuellement renforcé jusqu’à la militarisation paranoïaque des forces du maintien de l’ordre-Système, – l’outil de la répression, la force policière militarisée. Obama a donné l’exemple, en concertation avec les diverses autorités du Maryland et de Baltimore....

Jusqu’ici, on n’a pas encore songé à une solution élégante qui serait de débusquer l’un ou l’autre émeutier, sorte d’Africain-RussoAméricain, parlant russe ; ce qui permettrait de crier, au soulagement général, “c’est la faute à Poutine !”... En effet l’on sait ou l’on devrait savoir qu’il y a “violence” et “violence”, et que les vraies “violences” de voyou de Baltimore n’ont strictement aucun rapport avec les fausses “violences” libératrices du Maidan. Un résumé en français de l’émission In the Now, de Aissa Naouani, de RT, le 30 avril 2015 se demande par conséquent, d’une façon fort insolente, «Qui décide ce qui doit être qualifié d’émeute?»...

«Des émeutes, des pillages… C’est mal ! C’est violent, destructif et illégal et à n’en pas douter, Baltimore a connu des émeutes. Mais qui décide de ce qui définit une émeute? Les médias? Le gouvernement? Ou quelque chose d’autre ? Anissa Naouai s’est demandée pourquoi des événements identiques sont parfois qualifiés de manière différente.» Effectivement, il suffit de mettre en parallèle des images de Baltimore et des images du Maidan avant la chute de Ianoukovitch pour justifier ces intéressantes questions : Et alors ? Obama est-il un clone de Ianoukovitch ? Ianoukovitch était-il un Obama déguisé en Ianoukovitch ? Tout cela trouble un peu la bonne marche de la narrative et il est important d’avertir BHL qu’il ne s’y trompe pas, et ne vienne pas, par une aberration due à son excessive générosité d’âme, débarquer triomphalement d’un hélicoptère aussi blanc que ses chemises à col ouvert au milieu des émeutiers de Baltimore pour les soutenir dans leur fort juste cause. Ne pas confondre torchons et serviettes.

 

Mis en ligne le 30 avril 2015 à 10H41