Mourir pour des idées

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Mourir pour des idées (*)

Le cas de Pierre Brossolette fait réfléchir. Le dévouement à une cause, le don de soi à quelque chose d’extérieur à soi, et nécessairement au détriment de soi, où plonge-t-il ses racines? Nous ne sommes pas des Christ qui pourrions donner notre vie gratuitement et comme emplis d’une joie divine, nous sommes des humains qui avons besoin aussi de chérir notre moi, d’avoir une bonne opinion de nous, de faire des choses qui nous apportent de la satisfaction pour nous, même si souvent, conséquence non nécessairement voulue au départ, d’autres en profitent, soulignant par là que notre place dans la société de nos semblables est centrale et contrebalance notre besoin d’être comblé de nous et… admiré.

La question est délicate: est-ce que le dévouement total à autrui ne cache pas une blessure de notre être profond, un désappointement devant des insuccès ou, plus encore, des traumatismes indécelables, qui, nous ayant fait perdre l’estime de nous, nous conduisent, dans une parfaite inconscience, au dévouement pour l’Autre justement parce que nous n’en avons pas (ou plus) pour nous? Adhérer à une cause, y consacrer sa vie, voire la donner, n’est-ce pas précisément le signe que notre cause à nous a été niée, empêchée ou détruite? Si bien alors que les altruistes seraient des égoïstes ayant échoués à l’être ou, reportant leur vigueur sur quelque chose qu’ils estiment bon, se rachètent de leur mauvais? Ici la psychologie contribue à expliquer les dévouements trop dévoués, c'est-à-dire le fanatisme. Fanatisme faisant envisager la mort comme une libération de l’insuccès personnel. N’est-ce pas souvent le cas des djihadistes partis en Syrie moins par leur admiration du prophète que par la certitude que plus rien n’est possible en France? Des Al Nosra ou des EI se faisant exploser plus peut-être pour se débarrasser d’eux-mêmes que pour faire des victimes arbitraires? Le seul combat qui peut-être ne s’éclaire pas de cette interprétation serait celui du soldat qui, même s’il a été contraint (et c’est souvent le cas), va mourir sans suicide, en tenant dans ses mains une arme offensive et défensive et qui donc, pourra très bien quitter vivant le champ de bataille s’il est bien entrainé et s’il a de la chance? Brossolette avait-il un champ de bataille en dehors de lui?

D’après le portrait que les médias dressent, il semblait à la fois un homme très courageux et en même temps un homme dont l’ambition politique était énorme et pas du tout altruiste. Pierre Péan raconte son conflit très violent avec Jean Moulin. Il voulait régenter le Cnr, outrepasser les ordres de De Gaulle (qui avait fait l’unanimité autour de lui), à seule fin de mettre la résistance de la zone nord sous sa houlette. Enfin, lorsque de Londres il retourne en France pour continuer la lutte il sait qu’il prend un risque énorme, qu’il est recherché, reconnaissable à sa mèche de cheveux. Sa force morale fera qu’il n’aura pas parlé sous la torture et aura eu le courage de se suicider en s’y prenant à deux fois vu que son premier saut par la fenêtre ne l’avait pas achevé. J’ai le vague sentiment qu’il était de ces héros qui veulent mourir contrairement à Jean Moulin qui « ne voulait pas » mais qui fut contraint par décision quasi rationnelle de se tuer pour en finir avec la souffrance et la Gestapo. Se réconcilieront-ils dans l’ombre du Panthéon ?

La passion excessive qu’on met dans les choses ne serait-elle pas le signe que couve en nous un terrible désir de mourir ? Et pas mourir pour la Cause, quelle qu’elle soit, mais mourir pour satisfaire à notre goût de la mort, notre cause mortifiante et mortifère inscrite peut être dans nos cœurs? Et l’échec est une de ces fibres, le traumatisme inconscient une autre. Les épreuves dit-on, forgent le caractère. C’est exact mais cette forge peut-elle mener à un désir radical d’en finir avec les épreuves, avec l’épreuve que constitue – je dirais presque – « la nécessité » de vivre, le « devoir » que nous impose la vie de la vivre sans essayer de tricher avant que les dernières cartes ne soient jouées. La Fontaine l’a dit, Plutôt souffrir que mourir est la devise des hommes. Evidemment, il ne pensait pas à la torture infligée et voulue par des hommes sans pitié. Il pensait à la torture du vivre, celle que connaissent plus facilement les parias, les pauvres et les abandonnés. Bêta que je suis, je me rappelle avoir pensé et dit que finir entre quatre planches pour la Révolution, était un but noble. Décidément !…

Marc Gébelin

(*) “Mourir pour des idées”, voir et entendre Georges Brassens.