Les “néo-réformistes” du Pentagone arrivent, le CMI est inquiet

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Dans les années 1970 et même 1980, un “groupe d’intérêt” de facto, – pour la meilleure cause du monde, semble-t-il, – vécut une vie tumultueuse et enfanta même la formation d’un “Reform Caucus” au Congrès. Selon le principe du caucus au Congrès, il s’agissait d’un regroupement de parlementaires, hors des lignes partisanes et idéologiques, autour des idées évidemment réformistes de ceux qu’on appelait “les réformistes du Pentagone” (“Pentagon’s Reformers”). Quelques officiers et analystes du Pentagone avaient trouvé un terrain commun pour proposer les grandes lignes d’une réforme fondamentale du Pentagone. Ils s’inscrivaient dans la ligne budgétaire lancée par la présidence Nixon et très vite bloquée (notamment grâce au Watergate), de réduction des dépenses militaires après le Vietnam. Ces réformistes comprenaient quelques noms devenus fameux depuis dans la mythologie washingtonienne de la sécurité nationale, comme John Boyd (un colonel de l’USAF mort en 1996, à qui il est arrivé récemment d’être cité par Gates), Pierre Sprey, Chuck Spinney, James P. Stevenson, etc. Ce mouvement se battit comme il put, remporta quelques succès vite étouffés par la bureaucratie avant de s’éteindre. (La conception initiale du F-16 comme chasseur léger et bon marché est à mettre à son crédit; mais le F-16 fut prestement récupéré, ce qui se voit à l’évolution de son poids: des 12-13 tonnes que pesaient les premières versions “légères” des années 1970 aux 21-22 tonnes des versions actuelles.)

Aujourd’hui, les réformistes tentent un retour. Sprey, Stevenson, d’autres, sont toujours là; les chevilles ouvrières du mouvement réformiste actuel se nommeraient plutôt Winslow S. Wheeler et William S. Lind, que connaissent bien nos lecteurs. Le Center of Defense Information (CDI), où Wheeler dirge le Strauss Program Center qui regroupe les réflexions réformistes, est leur principal relais institutionnel.

C’est effectivement le CDI qui édite (en vente depuis le 8 décembre), sous la direction de Wheeler, un livre qui se veut une anthologie de ce qu’on pourrait appeler le “néo-réformisme”: America's Defense Meltdown. Il y a douze auteurs dans le livre, qui sont présentés par Wheeler sur le site du CDI, qui constituent l’essentiel de l’équipe des néo-réformistes.

Les 22 décembre et 23 décembre, sur UPI, William S. Lind (qui est un des auteurs) présente le livre et nous donne quelques nouvelles du courant réformiste. Lind estime que les conditions de base pour le succès d’un mouvement réformiste sont réunies: «The book is timely. For years, Chuck Spinney and I have said there will be no reform until the money simply isn't there anymore. If that day has not yet arrived, it is on the calendar. The combination of a severe recession or depression and vast New Deal-type public works programs in the U.S. national economy means something has to give.»

Lind rappelle que le premier mouvement réformiste ne s’attaqua jamais à la question de la stratégie parce que celle-ci était, dans les années 1970, verrouillée par l’affrontement avec l’URSS. Désormais, la stratégie est aussi en cause. Au travers de la mention de deux chapitres du livre, celui sur la stratégie de Chet Richards, et celui sur les forces de réserve de Bruce Gudmundsson, on peut avoir une idée de l’orientation potentielle du mouvement. Les deux chapitres, dans l’esprit de Lind, se complètent; le premier impliquant le passage de la stratégie offensive qui domine l’esprit de la bureaucratie du Pentagone depuis 1945 et, surtout, depuis 1989, à une stratégie essentiellement défensive; le second, suggérant une utilisation beaucoup plus grande et surtout différemment structurée des forces de réserves, y compris la Garde Nationale, ce qui suggère une appréciation conceptuelles selon les lignes régionales des Etats de l’Union. L’orientation de Lind, qui semblerait refléter l’orientation générale du mouvement, est une tentative de restructuration vers une sorte de stratégie dite de “défense du territoire”, à l’image des structures suisses ou de certains mouvement réformistes européens, dans les années 1950 en Allemagne, dans les années 1970 en France avec des officiers transformés en experts (et quittant les structures officielles), prônant des conceptions très inhabituelles pour le courant stratégique dominant (Guy Brossollet et son essai sur la non-bataillede 1975, Etienne Copel).

Deux passages de l’article de Lind sont consacrés effectivement à Richards et à Gudmunsson.

«Now, with the Cold War over and the challenge of Fourth Generation war upon the United States, a debate over strategy is urgent. Richards launches it con brio, arguing that the U.S. government must determine what state militaries can and cannot do in a Fourth Generation world.

»Then, the American people and their political leaders must stop asking our armed services to do things that are impossible for them, like turning fly-blown, flea-bitten Third World hellholes into Switzerland. More, the U.S. government should stop buying forces that are useless or worse for the types of conflicts the United States is likely to face.

»Richards may disagree, but I think that in his chapter he moves closer to what I have advocated for years, namely a defensive rather than an offensive grand strategy. In any event, he puts the subject of strategy on the table, which is vitally important. Because a higher level of war dominates a lower, if you don't get your strategy right, no matter what you do at the tactical and operational levels, you lose.

[…]

»My favorite chapter in “America's Defense Meltdown” is Bruce Gudmundsson's, “The Army National Guard, the Army Reserve, and the Marine Corps Reserve.” Gudmundsson is the highly talented author of “Stormtroop Tactics,” the history of the development of Third Generation war in the German army in World War I. Here, he shows how to take the classic European military reserve system and adapt it to American conditions.

»Few transplants work “straight,” as direct imports. Adapting them requires great insight and imagination, and Gudmundsson demonstrates both in proposals that would improve the usefulness of the U.S. National Guard and armed forces Reserve forces by orders of magnitude. His chapter alone is easily worth the price of the whole book.»

Certainement, l’aspect le plus important de l’article de Lind concerne l’actualité de la chose, la réponse à cette question: America's Defense Meltdown et les thèses réformistes attirent-ils quelque attention? Oui, répond Lind, qui expose en termes généraux quelques résultats de ses contacts avec le Congrès. Lind semble suggérer qu’il existe un réel et sérieux potentiel pour soutenir un mouvement réformiste, passant notamment, au niveau structurel si important à Washington pour produire un lobbying réformiste qui seul montrerait quelque efficacité, par la formation d’un nouveau Reform Caucus au Congrès.

«Is anyone listening? Maybe. Interest is growing on Capitol Hill in reviving the Military Reform Caucus. Both Republicans and Democrats in the U.S. Congress see that further cuts in the national defense budget are coming, and they know that left to its own devices the U.S. Department of Defense will cut its own combat forces while preserving the Pentagon's bureaucracy and the money flow to its major industrial and high-tech contractors.

»I suggested to a Capitol Hill staffer earlier this month that the motto of a revived Reform Caucus should be, “Preserve the combat units, cut the bureaucracy.” That slogan could quickly gain bipartisan support in the U.S. Congress.»

Lind ajoute un détail significatif, qui devrait attirer notre attention. Le site du CDI, avec les liens de présentation du livre America's Defense Meltdown et d’accès à différentes documentations qui lui sont liées, sont bloqués sur le réseau du Pentagone. («Interestingly, the site is blocked on U.S. Department of Defense computers.») La censure s’exerçant officiellement contre le programme réformiste, voilà peut-être l’indication la plus sérieuse de l’intérêt du mouvement, de sa force potentielle, et de la très forte inquiétude actuelle de la bureaucratie du Pentagone. Aujourd’hui, à Washington, le complexe militaro-industriel paraît être sur la défensive.


Mis en ligne le 26 décembre 2008 à 13H20