Les insaisissables maîtres de Wall Street

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Les insaisissables maîtres de Wall Street

Nous avons récemment (voir le 27 juillet 2015) fait référence à l’un des analystes économique indépendants les plus fameux, Martin Armstrong, qui a notamment développé un modèle d’analyse prévisionnel exceptionnel par l’importance qu’il accorde à la question de “la confiance”, c’est-à-dire en incluant d’une façon massive dans une analyse rationnelle un facteur irrationnel par nature. Dans un texte très court présenté sous le titre de “Le Jeu de la Confiance”, le 31 juillet 2015, il explique ce qu’il sait par expérience et ce qu’il juge essentiel par analyse constante dans la structure du pouvoir financier US, et des pouvoirs en général, aux USA, à notre époque. Il justifie son intervention par une interrogation d’un lecteur indirectement à ce propos. Nous en proposons une traduction française.

«Question : “Bonjour Mr. Armstrong

»“Les êtres humains prennent leur décision le plus souvent en se basant sur la foi plus que sur la pensée s’ils ont le choix entre les deux méthodes. Votre modèle cyclique ECM est remarquable parce qu’il prend en compte les changements de confiance qui influencent tant de décisions dans le monde !

»“Est-il possible de comprendre les pensées humaines par la seule logique ? Comment pouvons-nous communiquer aux autres de la meilleure façon possible des concepts aussi importants que vos travaux ?

»“Sincèrement. P.”»

«Réponse : La plupart d’entre nous veulent croire à l’existence d’un pouvoir supérieur décisif, comme par exemple ceux qui croient dans la thèse de la conspiration. Les gens ne peuvent simplement pas réaliser que peut-être personne n’a la responsabilité du pouvoir, organisant tout ce qui se passe, et que nous sommes à la merci des caprices de la finance. J’ai un jour amené mon gendre à Washington pour des réunions de haut niveau. Je lui ait dit qu’il ferait mieux d’y penser à deux fois avant de porter les yeux sur la réalité, parce qu’il ne voudraient certainement pas croire ce qu’il verrait. Quand nous quittâmes le Congrès, il se déclara stupéfait d’avoir découvert qu’il s’agissait d’un train fou roulant sans chauffeur. Personne n’exerce une responsabilité de contrôle et de direction ; ils essaient simplement de composer avec chaque nouvelle crise, lorsqu’elle apparaît. Il n’y a aucune stratégie à long terme, encore moins de planification. Chacun fabrique de merveilleuses théories de complot, avec des conspirateurs cherchant à détruire le monde, sans la compréhension que les gens à propos desquels ils imaginent de telles fantaisies n’en ont simplement pas les capacités.

»L’accord du Plaza et le G5 [précurseur des G7/8/20] ne concernaient que la préoccupation immédiate de tenir le dollar le plus bas possible pour réduire le déficit commercial. La Fed est complètement définie par l’idée d’un ‘jeu de confiance’. Quiconque connaît quelque chose à propos de ce qui se passe vous le dira, – il s’agit d’un ‘jeu de confiance’. Les gens agissent par anticipation, qu’ils aient raison ou tort. C’est l’origine de l’adage “Achetez les rumeurs mais Débarrassez-vous des informations”»

La formule («Buy rumors but sell news») qu’utilise Armstrong à la fin de ce texte court mais très significatif, est elle-même très significative de la perception que cet homme expérimenté et baigné dans l’atmosphère de Wall Street depuis des décennies implique dans l’application de ce qu’il décrit : les “rumeurs” ont plus d’importance que les informations, parce que le marché fonctionne selon des données irrationnelles qui sont par définition le domaine des “rumeurs”, et nullement selon les données rationnelles que fourniraient des “informations” soi-disant objectives. Ce même subjectivisme complet selon une perception opérationnelle règne lorsqu’il s’agit de déterminer qui sont les “maîtres du monde” du domaine financier/Wall Street, qui n’existent pas selon Armstrong, sinon dans l’imagination féconde des faiseurs de théories. (Notre Forum a eu, depuis plus de 15 ans, son lot de faiseurs de théorie qui nous expliquent comment le monde fonctionne en toute rationalité grâce à ses puissances cachées, les “maîtres du monde” aussi nombreux et variés qu’il y a de théories.)

Tout cela a, selon nous, la cohérence de l’évidence, et peut être transposé à tous les centre de pouvoir constitutifs du Système, qui se trouvent désormais constitués à l’image de leur maître et modèle, – le Système, certes. Certains esprits ont bien du mal à admettre, – ou bien, ils n’admettent rien, selon l’inconcevabilité du cas de leur point de vue, – que, par exemple, l’“Europe”, “les institutions”, ce que nous appelons du nom mythique (d’un point de vue littéraire, selon une œuvre évidemment influencée par la Tradition) et hautement significatif d’“Orque” n’a strictement aucune direction humaine. L’“Orque” a atteint ce que nous nommerions la “masse critique” psychologique et de communication dans son domaine qui fait d’elle une reproduction fidèle du Système ; cela s’est fait avec ce qu’on a découvert à son propos à l’occasion de la crise grecque, avec une très forte brutalité qui n’est certainement pas le signe de son habileté, qui au contraire peut commencer à mettre l’Orque dans une position de grande vulnérabilité.

Nos efforts désespérés de rationnaliser cette situation, – par exemple encore, en parlant aujourd’hui d’une Europe sous domination allemande, – sont d’une complète vanité. L’Europe est peut-être “sous domination allemande” selon des données et des observations rationnelles et humaines dont la principale est la complète démission de la France mais cela n’entraîne en rien qu’elle soit sous direction et inspiration allemandes. C’est une tendance fâcheuse et “humaine, trop humaine”, de confondre “domination” avec “direction et inspiration”. Les “dominations” concernées sont toutes relatives et interconnectées entre elles sans qu’aucune, justement ne domine toutes les autres ... Celle de l’Allemagne sur l’Europe, celle des USA sur l’Europe et l’Allemagne, celle du dollar sur les autres monnaies, celle du corporate power sur la direction politique US, celle du lobby israélien AIPAC sur le Congrès, celle des neocons sur la politique extérieure du bloc BAO dont celle des USA, celle des mouvements dits-“sociétaux” sur les directions politiques libérales et sur le corporate power, celle des minorités sur le reste et celle des majorités sur les minorités, celle du bloc BAO sur l’Ukraine (et, par conséquent, puisque tout est inverti à cet égard, celle de l’Ukraine sur le bloc BAO pour conserver son soutien aveugle selon l’idée que les maîtres sont aussi prisonniers de leurs serviteurs que l’inverse), etc. Ainsi cet ensemble de “dominations” exacerbées par le système de la communication ressemble au “jeu de mains” dit “Pierre-feuille-ciseaux” où chacune des postures peut à la fois être vaincue par l’une des deux autres et l’emporter sur l’autre, – mais un jeu “Pierre-feuille-ciseaux”, où il y aurait bien plus que trois postures, multipliant l’effet du soi-disant “hasard” jusqu’à l’emprisonnement total impliquant qu’aucune “domination” ne pourra jamais être complète, donc ne pourra jamais être ni une “direction” ni une “inspiration”, – ce qui, paradoxe apparent, est une situation qui ne doit rien au hasard. Ainsi est notre situation aujourd’hui, si l’on s’en tient aux seuls facteurs rationnels et terrestres, alors que les “centres de pouvoir” ne cessent de se multiplier et de transformer l’équilibre général assurée par la cohésion des impuissances internes respectives de ces centres de pouvoir en une impuissance générale s’étendant au Système et le privant peu à peu de l’effet de cette cohésion ; cela montrant que le désordre généré par le Système pour aller vers son objectif grâce à sa surpuissance commence à se transmuter par endroits, circonstances, accidents, etc., en autodestruction.

Bien entendu, Armstrong s’en tient à ce constat sans proposer quoi que ce soit d’autre, et surtout pas d’activités directrices ou d’influence extrahumaines. “Les caprices de la finance”, qu’il cite (“nous sommes à la merci des caprices de la finance”), constitue à cet égard une notion particulièrement vague, et ce vague étant l’indication indiscutable qu’on se trouve, comme Armstrong lui-même, devant un Mystère. Il s’agit d’autant plus d’un Mystère que tous ces centres de puissance sans direction ni inspiration rationnelles agissent tous comme s’ils répondaient à une direction centrale et une inspiration incontestable, tout cela dans le sens de la destruction en général, c’est-à-dire de la déstructuration, de la dissolution et de l’entropisation. Les avantages obtenues par cette “politique” type-“dd&e” (ou “politique-Système”) ne sont pas humainement rationnels, donc humainement compréhensibles. Le simple bon sens suffit à trancher dans ce sens. Reste à en tirer les conséquences pour la pensée.


Mis en ligne le 1er août 2015 à 10H46