Les Britanniques et leur otage : un désenchantement tragique

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 822

Les circonstances de la mort de l’otage des talibans, Linda Norgrove, que des “forces spéciales” évidemment US partaient libérer à la grenade, se sont révélées presque certainement pour ce qu’elles sont. Au mensonge initial US/OTAN d’une otage tuée délibérément par un taliban alors que les glorieux soldats-commandos américanistes approchaient pour la délivrer avec la délicatesse qu’on leur connaît, a succédé la version d’une mort comme d’habitude, par des soldats également commandos et américanistes qui ne vivent que pour tirer, pour bombarder, pour assommer sous le feu, – avec les “dégâts collatéraux” qui vont bien.

A côté d’un excellent article (le 12 octobre 2010) de Kim Sengupta sur le parcours du mensonge officiel vers la vérité consternante, The Independent publie (ce même 12 octobre 2010) un éditorial plein de désenchantement et de dégoût. La cause de tels sentiments extrêmes, ce sont les méthodes occidentalistes et surtout américanistes, les attaques massives avec des pertes civiles, les mensonges sans fin, le mépris des adversaires, tous ces réflexes qui sont les vraies causes de la mort de Linda Norgrove. Cameron n’était pas heureux ni très fier en annonçant les probables vraies circonstances de la mort. Tout cela étant d’inspiration américaniste, bien entendu, la bannière étoilée commence à rassembler, pour le Royaume-Uni d’aujourd’hui, à la croix de Lorraine que le pauvre Churchill se plaignait de devoir se coltiner tout au long de la Deuxième Guerre mondiale. (Tout de même, la croix de Lorraine a plus de sens...)

«There was a dull sense of inevitability as David Cameron announced yesterday the “deeply regrettable” news that Linda Norgrove was not after all killed when one of her captors detonated a suicide vest but probably by an American grenade.

»How often have we been here before? The wedding party bombed in July 2008: the US claimed there were no civilian victims, but an Afghan commission revealed that 47 had died; the seven children killed by Task Force 373 in an unprovoked and secret attack in June 2007, their deaths hushed up until revealed by Wikileaks; the three women, two of them pregnant, shot dead in February this year “by militants” it was claimed, until former Independent correspondent Jerome Starkey revealed that they had been killed by Nato forces. The list goes on.

»Why this compulsion to mislead? The accumulated weight of mendacity, the insistence that the enemy is evil incarnate and our boys invariably heroic, is merely sickening. The attempt by US forces to rescue Linda Norgrove may or may not have been as urgent as claimed; it is impossible to judge. We cannot doubt that it was difficult and dangerous, and if they had pulled it off we would have been as glad as anyone. But why the need to obscure the truth about how it ended? Why go to such lengths to spell out the alleged cause of Linda's death when the miserable truth was bound to emerge? Why prevail on our Foreign Office to release a statement – “There is nothing at all to suggest that US fire was the cause of death” – which it would be required in short order to eat?»

Il y a une certaine gravité révélatrice chez les Britanniques, dans cette affaire, à côté des habituelles et parfois insupportables marques officielles d’affliction. Les articles de The Independent en témoignent, mais aussi l’attitude du Premier ministre Cameron. Ce n’est pas sans signification et dépasse le cas d’une simple affaire de prise d’otage, si détestables qu’en aient été les conditions.

Telle qu’elle apparaît, cette affaire de l’otage Norgove est si exemplaire de tous les aspects lamentables et catastrophiques de cette guerre d’Afghanistan pour les Britanniques qu’elle pourrait acquérir une dimension, voire une fonction de symbole. Plus encore, ou plutôt dans la logique de la démarche, elle symboliserait dans ce cas l’alliance anglo-américaniste dans ce qu’elle a de plus détestable, telle qu’elle fut symbolisée par Tony Blair durant ses années d’alignement aveugle sur GW Bush. D’une certaine façon, l’accueil fait aux mémoires de Tony Blair, avec les divers incidents lors de séances de dédicace, a montré combien le climat au Royaume-Uni était défavorable, presque structurellement désormais, à cette alliance telle que Blair l’a transformée, et l’on peut admettre que ce sentiment est également présent chez un certain nombre d’hommes politiques, notamment chez les conservateurs. D’autres tendances, plus concrètes, comme le rapprochement avec les Français sur le plan militaire, renforcent évidemment ce sentiment.

Il est indiscutable que la poursuite d’une telle évolution, notamment très marquée du point de vue de la psychologie, s’accompagnerait d’une modification complète de la vision des relations internationales et des conflits chez les Britanniques, par rapport aux conceptions US, notamment sur la question centrale du terrorisme, ou de la guerre contre la terreur. Au niveau économique, on constate également un divorce grandissant avec les conceptions US, notamment avec des mises en cause extrêmement fortes de la politique des USA, comme on le voit quasiment tous les jours (voir Evans-Pritchard et la phénoménale attaque anti-US de Jeremy Warner ce 12 octobre 2010). Il s’agit d’un tissu général de proximités et de complicités qui se défait, du côté britannique dans le désenchantement et l’amertume. (Les Américains et autres américanistes, eux, ne s’aperçoivent pas de grand’chose, comme d’habitude.)


Mis ern ligne le 12 octobre 2010 à 10H10