Les BRICS au sommet

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Les BRICS au sommet

MK Bhadrakumar semble nous promettre de bonnes nouvelles qui ne sont pas sans intérêt, lors de la réunion au sommet du BRICS au Brésil, qui commence ce jour. Ces bonnes nouvelles concernent d’abord l’Inde, ce qui est normal du point de vue de Bhadrakumar. C’est un point important, dans la mesure où une certaine incertitude existe depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi, chef du BPJ (Bharatiya Janaty Pary, vainqueur des élections).

La machine d’influence des USA s’est mise en place pour tenter d’orienter ce changement de gouvernement vers une plus grande proximité des USA, notamment au travers de l’activité économique et la forme d’orientation du Corporate Power, dont on a fait de Modi un partisan affirmé. Dans son commentaire du 13 juillet 2014 sur Indian PunchLine, son blog personnel, MK Bhadrakumar semble fermement penser que cette poussée d’influence à Delhi, qu’il qualifie même d’“hystérique” et de promotrice de “conceptions dépassées” au travers de l’action de certains lobbies (US ou relais des US évidemment), a complètement échoué. Jusque là assez prudent et incertain à l’égard de ses projets, Bhadrakumar n’hésite plus à voir l’engagement de Modi pour les BRICS comme un signe majeur de son engagement politique, et il le place dans la dynamique du but fondamental des BRICS qui est de défier directement l’hégémonie du bloc BAO et du dollar, et cette fois par des actes concrets.

«The Bharatiya Janata Party’s election manifesto made it a point to mention BRICS as a foreign policy priority. Thus, there is really no scope to debunk the upcoming summit of the grouping in Brazil tomorrow as an “inherited baggage” for Prime Minister Narendra Modi, as some detractors in India have prematurely judged in their haste to caricature the event.

»Modi’s statement, while leaving for Brazil, underscores that India attaches “high importance” to the BRICS. The striking thing about the statement is that Modi has not shied away from acknowledging that the BRICS summit in Brazil is expected to be a highly political event, since it is taking place “at a time of political turmoil, conflict and humanitarian crisis in several parts of the world.”

»Modi visualizes the BRICS summit as an opportunity to discuss with his counterparts “how we can contribute to international efforts to address regional crises, address security threats and restore a climate of peace and stability in the world.” Suffice to say, he has buried ten feet below the ground the hysterical plea by the anti-BRICS lobbyists in India that the grouping should exclusively restrict itself to economics and keep world politics at arm’s length.

»Frankly, the American lobbyists in our midst increasingly look like yesterday’s men. They fail to realize that the BRICS has already taken off with the two historic decisions that are being formalized this week — the creation of the BRICS Development Bank and the Contingent Reserve Fund. All indications are that Russian President Vladimir Putin will unveil a third major initiative in the nature of creating an energy association and an energy policy institution under the BRICS roof.

»The American lobbyists in Delhi who have debunked BRICS all along and wished that the grouping could be somehow strangled in its cradle are absolutely justified in their fear that the cumulative impact of the latest developments will be that BRICS is taking on the phenomenon of ‘overdollaring’, which ultimately means incrementally opting out of dollar-dominated transactions or not accepting US accounts — that is to say, challenging the dominance of the US dollar globally.»

L’activité d’influence US pour tenter de présenter la présence de l’Inde au BRICS, et précisément à ce sommet, comme l’annonce d’un affaiblissement de l’intérêt pour ce pays, et comme l’affirmation que les BRICS ne doivent pas espérer jouer un rôle politique et d’affirmation de communication au niveau stratégique, marque indirectement la préoccupation majeure, voire la panique US de ce que cette association est en train de devenir, et devrait apparaître en pleine lumière à ce sommet. “Panique”, le mot n’est pas exagéré, renvoyant au qualificatif “hystérique” qu’emploie Bhadrakumar pour qualifier l’activité à Delhi des lobbies financés par les USA. Cette “hystérie” marque indirectement et a contrario combien les BRICS sont désormais une association de premier plan, et une association cohérente, avec une stratégie fondamentalement antiSystème dans le jeu de la puissance, dans une situation générale caractérisé par un immense désordre.

Dans une interview pour Russia Today le 14 juillet 2014, le commentateur et analyste argentin Adrian Salbuchi juge que les BRICS arrivent à la maturité de leur action au moment où “l’Ouest commence à évoluer vers sa désintégration finale”. Salbuchi trace une appréciation géopolitique à cet égard, dans la dimension la plus globalisante possible et directement au cœur de la crise générale...

«[BRICS] are indeed very important because not only should we look at them from the point of view of economic deals, which are very important for this part of the world, especially with the ongoing financial crisis in the Western world. But I think we should not lose sight of the fact that BRICS, although it is shown as an economic agreement, has turned into a geopolitical agreement. And if anything today the world is still livable it is because Russia and China are mainly offering a counterbalance to American, European, British, Israeli imperialism throughout the whole world, and that includes Latin America... [...]

»... No doubt that if the Americans, the British and the Europeans had their way, we would have a world government very soon. That’s not going to happen, thanks to the BRICS nations with Russia and China as its center. [...] All of Latin America, or at least South America, should form one part of this multipolar world where we of course can deal with the Western nations, no doubt about that, that’s a historical issue, but we should look further afield especially to China, to Russia, India, to even Africa...»

Au Brésil, le président russe Poutine a donné une interview à Itar-Tass (le 15 juillet 2014), concernant notamment l’effet général selon lui des décisions que devrait prendre le sommet des BRICS à partir de diverses propositions dont les siennes. Il s’agit de “faire passer le rôle des BRICS à un nouveau niveau”, tout en excluant l’idée d’une alliance politique et militaire formelle. L’une des plus remarquables propositions de Poutine pour atteindre ce “nouveau niveau” concerne une action politique concrète contre le bloc BAO, ses politiques de regime change et de sanctions :

«First of all, to develop cooperation in the UN in every possible way, persistently counteract individual states' attempts to impose on the international community the policy of displacing unwanted regimes and promoting unilateral solutions to crisis situations. We propose to create a mechanism of regular high‑level consultations between our foreign ministries on different regional conflicts to agree, where possible, on common positions and joint efforts to ensure their political and diplomatic settlement. [...]

»...One more important question we are going to raise at the summit is the increasing cases of unilateral sanctions. Recently Russia has been exposed to a sanction attack from the United States and its allies. We are grateful to our BRICS partners who have criticized such practices in different forms. At the same time, substantive conclusions should be drawn from the current situation. Together we should think about a system of measures that would help prevent the harassment of countries that do not agree with some foreign policy decisions made by the United States and their allies, but would promote a civilized dialogue on all points at issue based on mutual respect.»

On voit combien ces commentaires et déclarations tendent à placer les BRICS, comme une alternative au bloc BAO, – et même plus que cela, un adversaire du bloc, voire une machine de guerre contre le bloc, fonctionnant dans les domaines généraux de la puissance aujourd’hui (la communication, la diplomatie collective, l’usage des institutions internationales, etc.). Même s’il est un commentateur indépendant, Salbuchi exprime dans ses considérations un sentiment général qui s’affirme aujourd’hui ouvertement. Poutine, lui, avec plus de prudence dans les considérations générales mais beaucoup plus précisément, exprime notamment, au travers des propositions détaillées plus haut, ce point très intéressant d’une volonté opérationnelle et politique de placer d’une façon quasi-institutionnelle les BRICS en opposition à la politique de regime change du bloc BAO (des USA) avec son adjuvent de la politique des sanctions, c’est-à-dire le produit le plus actif et le plus nocif de l’activisme de la politique-Système du bloc, et celui contre lequel la Russie s’élève avec le plus de vigueur.

Certes, il ne fait aucun doute que cette impulsion pour une évolution de la définition et du rôle du groupe a été suscitée par les derniers événements, principalement la crise ukrainienne, avec l’appréciation de la Russie se découvrant soudain directement menacée par cette dynamique déstructurante spécifique de la politique-Système du bloc BAO, de plus en plus ouvertement relayée par les USA. C’est la Russie, dans le cadre de la crise ukrainienne, qui a alerté les autres membres de l’association sur les dangers de la politique du regime change, qui a mis en cause de facto le système financier du bloc BAO et le rôle du dollar, etc., et tout cela d’un point de vue politique général sinon d’un point de vue eschatologique. Ce sont donc les USA, avec leur activisme furieux en Ukraine, cette folie du point de vue stratégique d’introduire une déstabilisation explosive dans une zone d’une si grande importance géopolitique sinon métahistorique puisqu’affectant directement la Russie, ce sont bien les USA qui sont les architectes de cette dynamique nouvelle des BRICS qu’ils se sont notamment évertués à dénigrer et à dénoncer “hystériquement” à Delhi...

(De ce point de vue, justement, et en fonction de la pression formidable des événements en cours autour de la crise ukrainienne, la comptabilité économique, notamment sur le poids plus grand de la Chine dans cet épisode à cause de sa puissance financière par rapport à la Russie, n’a qu’une importance très marginale, avec le désavantage de faire rater l’essentiel de l’opération qui est dans son opérationnalité la plus haute de l’ordre de l’eschatologique, au cœur de la crise générale d’effondrement du Système, et pour accélérer cet effondrement. De même, et en acceptant bien évidemment les arguments sur le rôle alternatif décisif que les BRICS pourraient s’arroger dans leur attaque contre les entreprises et les privilèges du bloc BAO, il faut en même temps les tenir dans leur position relative ; il est évidemment impératif d’avoir de tels objectifs et de les affirmer avec force, il est en même temps nécessaire de savoir ce qu’ils valent en vérité. Si les BRICS parviennent à s'affirmer comme la force principale du processus visant à la déstabilisation décisive du bloc BAO, et à réussir dans cet objectif implicite, cette déstabilisation signifiera l’effondrement du Système et suscitera une situation complètement nouvelle, où l’on ne pourra se contenter d’une simple opération de changement de centre d’influence, – du bloc BAO vers les BRICS. Il sera question d’une sorte de tabula rasa à partir d’où tout sera différent, tout sera inconnu par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui, tout sera confronté à des conceptions entièrement nouvelles...)

On ne peut encore affirmer précisément ce qui sortira précisément du sommet des BRICS, bien qu’on connaisse déjà la plupart des décisions stratégiques fondamentales qui ne restent plus qu’à être entérinées par les participants. Mais on peut d’ores et déjà affirmer que ce sommet, pris à la fois dans sa dimension de décision ultime et surtout dans sa substance incontestable d’événement symbolique de très grande importance, constitue une formidable victoire de communication stratégique, sinon une victoire de communication à considérer dans la perspective eschatologique qu’on a décrite. Les BRICS sont faits, si l’on veut utiliser le jeu tentant des mots, d’une association de bric et de broc du point de vue de l’ordonnancement géostratégique ; ses membres sont si éloignés les uns des autres et donc avec des visions et des intérêts nationaux divergents ; mais ils s’affirment au contraire marqués par une cohérence que nul n’aurait prévu il y a plus de dix ans, lorsque cet acronyme (alors seulement BRIC, sans l’Afrique du Sud) fut proposé. (L’acronyme fut créé par Goldman Sachs, et selon une ironie méprisante bien dans la mentalité américaniste, et plus encore celle de Wall Street, cette mentalité qui relève d’une époque dépassée où l’on pouvait encore considérer sérieusement la narrative sur l’exceptionnalisme.)

Les BRICS constituent désormais une entité stratégique et géopolitique qui n’a rien à voir avec la stratégie et la géopolitique considérées d’un point de vue traditionnel. C’est-à-dire qu’ils pèsent du poids de la stratégie et de la géopolitique, mais ces caractères considérés comme des outils d’affirmation de puissance pour contredire décisivement le bloc BAO, et nullement des caractères fondateurs. Les BRICS sont une création, pour ces dimensions stratégiques et géopolitique, de la puissance du système de la communication, d’ailleurs aussi bien sinon plus encore activé par leurs adversaires que par eux-mêmes. Ils sont une des créations les plus achevées de l’ère psychopolitique qui a remplacé l’ère géostratégique.


Mis en ligne le 15 juillet 2014 à 08H32

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