Le rôle de la Russie dans la crise haute (Syrie et le reste)

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Le rôle de la Russie dans la crise haute (Syrie et le reste)

Les circonstances autant que les politiques des pays du bloc BAO suivant une rhétorique de plus en plus étrangères à la vérité de la situation tendent à placer la Russie dans une position de force dans les diverses crises qui composent la crise haute, et précisément dans la crise syrienne aujourd’hui. L’Iran profite de cette évolution. Divers points, sur l’évolution récente de la situation opérationnelle et sur l’évolution présente de la situation diplomatique, illustrent cette situation.

• Des sources européennes indiquent que des détachement des forces spéciales françaises et britanniques engagées très rapidement (en 2011), et secrètement, dans la crise syrienne, contre le gouvernement Assad, ont été retirées de Syrie à une date non précisée, durant les trois derniers mois. Cette décision a été prise à la suite de la capture par les Syriens de membres de ces détachements des forces spéciales (notamment une douzaine de Français). Les pays impliqués ont demandé l’intervention de la Russie qui a obtenu des Syriens de ne rien rendre public et de relâcher ses prisonniers. Dans le cadre de cet accord et sur insistance des Russes, les Français et les Anglais ont décidé de retirer leurs détachements de forces spéciales de Syrie. Bien entendu, divers autres contingents “irréguliers” sont ou pénètrent en Syrie pour jouer un rôle auprès des “rebelles”, notamment des contingents de mercenaires de diverses entreprises privées, ou divers groupes financés par l’Arabie et le Qatar.

• Par contre, les Russes sont de plus en plus massivement présents en Syrie. Les sources citées parlent d’un total de 13.000 hommes de divers services opérationnels russes (forces spéciales, services de renseignement, etc.) présents en Russie. La présence russe est également très importante au niveau de l’équipement en systèmes de la Syrie, notamment pour la défense anti-aérienne, et autour de la base de Tartus qui reste un point essentiel du dispositif russe.

• Il y a également l’affirmation par DEBKAFiles, ce 6 juin 2012, de la proposition de créer un “groupe de contact” pour appuyer et sauver le plan Kofi Annan de paix en Syrie. Ce groupe comprendrait les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, avec, en plus, l’Arabie, l’Iran, le Qatar et la Turquie. L’interprétation de DEBKAFiles de cette proposition, qui aurait reçu l’aval US, est extrêmement pessimiste (du point de vue de DEBKAFiles), avec cette observation qu’elle donnerait en fait la haute main sur la situation en Syrie à la Russie et à l’Iran, concrétisant leurs positions de force sur le terrain. Le principal responsable en serait Obama, qui abandonnerait aux Russes (et aux Iraniens), avec leur influence, la charge de contrôler la crise syrienne, avec l’espoir que cela aboutirait tout de même au départ d’Assad (et à la prise du pouvoir en Syrie par l’armée), et à des concessions iraniennes dans la crise du nucléaire iranienne. Là aussi, très grand scepticisme de DEBKAFiles, qui critique fortement la direction israélienne pour avoir laissé s’installer de telles conditions.

«However the Obama administration appears to have opted for this course, even though it is the first time since the outbreak of the Arab Revolt in December 2010 that the United States is willing to let go of a major Middle East crisis and allow its foremost Middle East rivals, Moscow and Tehran, to take charge.

»DEBKAfile reported exclusively on May 31, that President Barack Obama had proposed to President Vladimir Putin the creation of a large force of 5,000 international monitors for Syria, most of them Russians, to safeguard Assad’s stock of biological and chemical weapons against falling into the hands of al Qaeda or Syrian rebels. This team consisting of thousands of Russian troops would be the operational arm of the future “contact group.”

»As far as Israel is concerned, the plan has disastrous connotations. Instead of containing the spread of hostile Iranian influence in the region, as Obama promised Israel, he is opening for the door for Iran to extend its nfluence squarely in the countries neighboring on – and still at war with – Israel, while at the same time moving back from a focused effort to draw the sting of Iran’s nuclear bomb program.

»Israel’s political and security tacticians never took into account that a consequence of the Syrian revolt would be the establishment of full-blown Iranian sway over Damascus in partnership with Russia. Indeed, for 15 months, they insisted that the Syrian uprising was proof of America’s success in breaking up the dangerous Tehran-Damascus-Hizballah axis.»

Il est bien entendu difficile de fixer avec certitude tel ou tel point des diverses affirmations développées ci-dessus, mais il est évident qu’ils tendent tous à rendre compte de cette position de force de la Russie dont nous parlons. C’est ainsi que nous passons régulièrement, à chaque nouveau paroxysme de la crise, souvent suscité par l’une ou l’autre situation humanitaire (massacres, notamment) où les manipulations et les interprétations sont d’une intensité presque hystérique, par les affirmations successives, disons d’une intensité hystérique décroissante à mesure que ce paroxysme s’apaise, que la Russie est isolée dans son “opposition inacceptable” à la politique humanitaire de “la communauté internationale”, que la Russie se rapproche enfin de la position du bloc BAO, pour finir par le constat que seule la Russie peut faire quelque chose et qu’elle le fera à sa convenance.

Le point central de cette situation est que la Russie suit une méthode politique inverse à celle que suit le bloc BAO. Elle accorde sa rhétorique à la vérité de la situation, et elle fait évoluer cette vérité par un interventionnisme effectif et une influence de plus en plus affirmée. La force de la position russe a été depuis plusieurs mois que cet interventionnisme et cette influence ne résultent pas d’une volonté expansionniste délibérée mais de la nécessité d’introduire un facteur de recherche et de tentative de stabilisation, face à des politiques (celles des pays du bloc BAO) systématiquement déstabilisantes. D’une certaine façon, les circonstances et les politiques américanistes-occidentalistes, marquées par l’incapacité d’atteindre des résultats décisifs et par l’absence de capacités pour une décision majeure (une intervention militaire), ont mis la Russie en position de deus ex machina, paradoxalement renforcée en cela par la “politique rhétorique” de ces pays du bloc BAO, qui est une interprétation constante de la vérité de la situation russe, mais qui ne cesse de renforcer la position russe : ces pays affirment à la fois que la Russie, “isolée”, pressée par “la communauté internationale”, ne cesse de se rapprocher de la position des pays du bloc BAO (comme elle fit l’année dernière durant la crise libyenne), et à la fois que seule la Russie peut résoudre la crise syrienne. La première proposition s’avère fausse avec constance, la seconde est de plus en plus vraie, – la première se révélant régulièrement faussaire, renforçant régulièrement la seconde. Le résultat général est que tous ces renforcements russes s’ajoutent pour conforter constamment la position générale de la Russie.

On notera pour autant qu’il faut bien se garder de trancher en faisant de la phase actuelle un épisode décisif dans la crise syrienne, et encore moins décisif vers l’apaisement de la crise. Pour l’instant, ce n’est qu’un épisode de plus qui renforce la position de la Russie comme on l’a dit, mais il ne garantit en rien la stabilité des politiques des uns et des autres pour l’avenir. Un nouvel épisode “hystérique” comme celui de Houla peut survenir à chaque instant de la situation courante, et remettre tout en question de tel ou tel arrangement lorsque il y en a un, et laissant ainsi le désordre reprendre le dessus, et la situation évoluer encore plus vers la guerre civile. Dans les conditions présentes, la tendance générale n’est pas vers un apaisement, vers une remise en ordre, mais bien vers une accentuation du désordre, où le bloc BAO, qui est à la fois l’instigateur et la victime de ce désordre, voit ses positions de plus en plus s’affaiblir. Dans ce cas général, la Russie, dans sa position de force, se trouve de plus en plus dans la situation envisagée dans notre F&C du 4 juin 2012 ; c’est-à-dire devant le choix, ou le dilemme, de continuer la course actuelle sans grand espoir d’une issue décisive à cause du désordre du bloc BAO, ou de prendre une position nouvelle qui, par une voie ou une autre, laisserait le désordre se développer jusqu’à la possibilité d’une défaite décisive du bloc BAO. Sa position de force lui permet effectivement ce choix, qui porte non plus sur la seule crise syrienne, mais sur le destin de la crise haute en général, car c’est bien l’équilibre général du Système qui est en jeu. L’enjeu final, devant cette crise syrienne qui a dégénéré au-delà de ce qu’on pouvait imaginer, c’est désormais moins la Syrie elle-même, et la région du Moyen-Orient en général, que la situation générale (y compris intérieure) des pays du bloc BAO, et donc du Système lui-même.


Mis en ligne le 7 juin 2012 à 09H12