Le JSF, le Pentagone versus LM et la crise ultime

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 1044

Le JSF, le Pentagone versus LM et la crise ultime

Il apparaît de plus en plus qu’un changement stratégique considérable est en train de s’installer au cœur du programme JSF. On est en train de passer d’une position de coopération, voire de complicité entre le JPO (JSF Program Office) du Pentagone et Lockheed Martin (LM), à une situation d'antagonisme.

Un texte de Amy Butler, de Aviation Week, sur Ares, ce 27 janvier 2011, nous donne quelques indications sur diverses circonstances à cet égard. L’amiral Venlet, nouveau chef du JPO depuis avril 2010 et qui n’a jusqu’ici jamais fait de déclarations publiques, doit intervenir en public le 15 février prochain, lors d’une importante réunion de la National Aeronautic Association. Butler recommande de suivre la chose avec attention.

«[Venlet’s] task will be challenging; but as a noted MiG killer, he is well equipped to navigate what is ahead. He must serve as both a tough government customer – protecting the U.S. interest in this behemoth of a program at a time of growing national debt and increased financial scrutiny – but must also instill confidence in the public (including eight international partners) that this program is worth the expenditure.

»It will also be interesting to see how he addresses the government's relationship – and specifically establishes his public relationship – with prime contractor Lockheed Martin. The company has taken a beating from Defense Secretary Robert Gates since last year, when more problems came to light in the testing program. The company had enjoyed a prolonged honeymoon period with the government through the middle of the last decade.

»This most recent restructuring of the Lockheed Martin Joint Strike Fighter program will result in a net reduction to the production program of $11.5 billion through Fiscal 2016. Defense Secretary Robert Gates sliced 124 aircraft from the production profile from Fiscal 2012-16, slipped developmental testing of the conventional (CTOL) and carrier version (CV) aircraft by 10 months into 1Q Fiscal 2016 and delayed developmental testing of the Marine Corps Stovl version into 4Q Fiscal 2016.

»This is a significant blow to Lockheed Martin's hopes to swiftly ramp up production to reduce the per-unit price of the aircraft. Last year, the company was on the rhetorical offensive, arguing that the production ramp up must be preserved in order to keep the per-unit cost low and get international partners to order so that they may receive their aircraft as soon as 2014. It is unclear when the aircraft will now be released for international use. […]

»[T]he Defense Dept.'s second major restructuring in as many years is a clear sign that the customer does't fully buy into Lockheed's argument that preserving the production profile is paramount. And, this is a relatively new position for the Joint Program Office to take – at least in public. In previous years, the Joint Strike Fighter JPO was publicly in lockstep with Lockheed on the production message.»

Notre commentaire

@PAYANT Dans le Très Grand Désordre qu’est devenu le programme JSF, cette évolution souterraine mais fondamentale qui est en train d’émerger et de s’imposer constitue un facteur d’une très grande importance, sans doute un tournant dans le destin du programme JSF. En août 2009 encore, la “complicité” JPO-LM était manifeste, suivant en cela, d’ailleurs, les illusions qu’entretenait le secrétaire à la défense Gates à propos du programme JSF. Un an plus tard, en août 2010, on pouvait sentir qu’un froid polaire était en train de s’installer entre les deux “partenaires”, cela encore en parallèle avec l’évolution de l’attitude de Robert Gates. Le changement de climat semble se confirmer et s’institutionnaliser, essentiellement à la suite des décisions successives du secrétaire à la défense qui repousse le JSF d’au moins deux à trois années, dans le meilleur des cas (pas de problèmes techniques, pas de surcoûts, etc.), et repousse d’autant les bénéfices que Lockheed Martin attend du programme sur la vente de l’avion.

D’autre part, LM n’est pas à l’aise face aux pressions du Pentagone parce qu’il a beaucoup profité des aléas du programme, beaucoup pratiqué la distorsion, la désinformation et la mésinformation (parfois, d’ailleurs, avec l’aide du Pentagone lorsque les généraux adéquats, – essentiellement de l’Air Force, – étaient à la tête du JPO). Finalement, le Pentagone réduit la production du JSF de 45 à 32 en 2012, de 71 à 42 en 2013, de 90 à 62 en 2014, pour une réduction totale de la production de 122 avions sur 5 ans, soit près du tiers de la production initialement prévue. Le Pentagone justifie d’autre part ces réductions par les difficultés et les insuffisances rencontrées par LM. Le 6 janvier, un communiqué du Pentagone disait que ce ralentissement était nécessaire «because the final assembly process at Lockheed Martin’s Fort Worth, Texas, facility is still maturing». Cette observation du Pentagone implique que LM est, selon ce même Pentagone, en défaut dans l’établissement et le bon fonctionnement de sa chaîne de production.

Le départ de Gates du département de la défense est toujours attendu pour ce début d’année, et c’est évidemment dans ce cadre qu’il faut observer l’évolution de l’attitude du Pentagone lui-même, disons “en tant que tel”. Gates était au départ de cette séquence du destin du JSF, disons en 2008-2009, un partisan inconditionnel du programme. C’est en s’appuyant sur la puissance et la valeur supposées du programme qu’il a liquidé le F-22. Depuis, il a pu découvrir les faiblesses et les vices extraordinaires de ce programme, et il a pris les premières mesures pour tenter de les redresser. Il est évident que l’appréciation de Gates de la valeur du programme JSF a radicalement changé. La “mise en probation” de la version à décollage vertical (F-35B) est majoritairement appréciée comme une façon de préparer pour son successeur l’abandon de cette version. Le départ de Gates devrait constituer une “rupture” dans l’évolution du Pentagone par rapport au JSF, c’est-à-dire officialiser ce qu’on sent depuis plusieurs mois comme une attitude fondamentalement nouvelle du ministère. Cette évolution a manifestement été favorisée, accélérée, par l’éclatement de la crise du déficit public, qui place le Pentagone sur une position défensive extrêmement affirmée. Lors de récentes auditions devant le nouveau Sénat, des chefs militaires ont clairement laissé percer leur sentiment de crainte devant les nouveaux élus républicains proches du Tea Party, qui constituent pour eux une énigme pour ce qui est de leurs intentions vis-à-vis du budget de la défense. Il n’y a rien que le Pentagone ne craigne plus que l’inconnu, surtout lorsqu’il s’agit de son interlocuteur budgétaire essentiel qu’est le Congrès. Dans ce contexte insaisissable, le Pentagone est conduit à appréhender le pire, c’est-à-dire une offensive sérieuse pour des réductions importantes, – même si cette hypothèse, selon les pratiques et coutumes de Washington, semble difficile à accepter. Quoi qu’il en soit, dans cette atmosphère extrêmement tendue, où la perception joue un rôle bien plus important que les faits eux-mêmes, il est évident que le JSF est désormais considéré par le Pentagone comme un boulet de plus en plus difficile à traîner, notamment par rapport à sa situation budgétaire.

Dans ces conditions, une autre hypothèse, qui est l’hypothèse fondamentale et à plus long terme, qui se renforcera si le climat à Washington et au Congrès ne change pas, doit être considérée. L’évolution du JPO et l’attitude de l’amiral Venlet vont évidemment dans ce sens. Il s’agit de l’hypothèse révolutionnaire de l’abandon du programme JSF ou, dans tous les cas, de son arrêt temporaire pour un audit complet et une décision fondamentale sur son avenir. Dans ce cas, nous atteindrions le point de fusion d’une crise majeure du Pentagone, compliquée par une transformation complète dans le sens de l'antagonisme des relations du Pentagone avec son principal fournisseur (Lockheed Martin) et l’industrie d’armement en général. Il s’agirait d’une situation où l’on pourrait effectivement envisager la perspective, envisagée depuis deux ans désormais, d’un “coming crash” du Pentagone.


Mis en ligne le 29 janvier 2011 à 05H54