Le “Grand Jeu”, ou pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué

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Certes, l’administration Obama a choisi de déplacer le pion Afghanistan, d’accentuer son effort dans le cœur de cette crise. Non seulement trouve-t-on sur cette voie spéculative l’interrogation de la capacité des USA à faire évoluer cette crise, même au travers de cet effort et particulièrement par le biais de cet effort, mais on observe également que cette orientation représente elle-même l’apport d’une considérable capacité détonante de plusieurs autres développements contradictoires de l’effort US. Tout cela, sans surprise excessive.

L’excellent M K Bhadrakumar, ancien diplomate indien devenu commentateur, et l’un des meilleurs des affaires de la région caucasienne et du sous-continent indien, nous livre un aperçu de l’imbroglio où risquent de s’engager les USA. M K Bhadrakumar n’a pas son pareil pour éclairer les imbroglios d’une région très propice à la chose. Son article se trouve sur Atimes.com, mis en ligne ce 27 janvier.

• M K Bhadrakumar démarre sur la récente déclaration du général David Petraeus, commandant Central Command, concernant un accord avec la Russie pour une voie de passage des approvisionnement vers l’Afghanistan, par le Nord et la Russie. Un accord? Première nouvelle, disent les Russes, – tout en précisant qu’ils ne sont pas contre…

«Russia's ambassador to NATO, Dmitry Rogozin, added from Brussels, “We know nothing of Russia's alleged agreement of military transit of Americans or NATO at large. There had been suggestions of the sort, but they were not formalized.” And, with a touch of irony, Rogozin insisted Russia wanted the military alliance to succeed in Afghanistan. “I can responsibly say that in the event of NATO's defeat in Afghanistan, fundamentalists who are inspired by this victory will set their eyes on the north. First they will hit Tajikistan, then they will try to break into Uzbekistan ... If things turn out badly, in about 10 years, our boys will have to fight well-armed and well-organized Islamists somewhere in Kazakhstan,”…»

• …Ce qui nous permet, au passage, d’avoir quelques précisions supplémentaires sur la situation, absolument surréaliste reconnaissons-le, du ravitaillement des forces US par le Pakistan. Les “pertes” par emprunt, vol, pression, rachat, entourloupe, etc., sont colossales puisqu'elles approchent 50% du volume des diverses matières, systèmes, munitions, ravitaillement, etc., transportés. Tout cela constitue la manne d’une quasi-économie de marché noir autour de la route de ravitaillement.

«The shocking intelligence assessment shared by Moscow reveals that almost half of the US supplies passing through Pakistan is pilfered by motley groups of Taliban militants, petty traders and plain thieves. The US Army is getting burgled in broad daylight and can't do much about it. Almost 80% of all supplies for Afghanistan pass through Pakistan. The Peshawar bazaar is doing a roaring business hawking stolen US military ware, as in the 1980s during the Afghan jihad against the Soviet Union. This volume of business will register a quantum jump following the doubling of the US troop level in Afghanistan to 60,000. Wars are essentially tragedies, but can be comical, too.»

• La question des voies d’approvisionnement nouvelles à établir, pour les forces US et de l'OTAN, reste un sujet délicat. S’il y a certes celle du Nord, passant par la Russie, et dont on constate que le sort reste à être fixé, il y a aussi celle qui est plus méridionale, passant au Sud de la Russie, donc hors des frontières russes, qui est l’objet d’une féroce bataille d’influence entre Washington et Moscou. Les Russes perçoivent que la recherche d’une telle route alternative de ravitaillement peut aussi ouvrir la voie à d’autres initiatives, celles-là beaucoup plus stratégiques et inquiétantes pour Moscou. «Russian experts estimate that the proposed Caspian transit route could eventually become an energy transportation route in reverse direction, which would mean a strategic setback for Russia in the decade-long struggle for the region's hydrocarbon reserves.»

• D’où un branle-bas des Russes dans diverses directions nouvelles. Par exemple mais exemple qu’on appréciera comme singulièrement réjouissant, les Russes se rapprochent de Karzaï, le président afghan. Karzaï ne dit pas non du tout, sentant évidemment son impopularité grandissante à Washington, avant de rencontrer un Holbrooke qui ne devrait pas tarder à débouler dans une quasi-mission d’Exterminator, avec le régime afghan en place comme cible à exterminer. Le rapprochement Moscou-Kaboul se fait souvent en contravention des accords secrets Kaboul-Washington, notamment pour la livraison d’armes russes à l’Afghanistan qui serait une des voies explorées. Karzaï n’en a pas vraiment cure, qui sent de plus en plus qu’il n’a plus grand’chose à perdre. Cette situation déclenche par contrecoup des conséquences en chaîne. Moscou, pour verrouiller son initiative, a proposé une conférence du SCO (Shanghaï Cooperation Organization) sur l’Afghanistan. Le SCO, cette chose terrible sino-russe, c’est un peu le diable pour Washington. La conférence intéresse l’Iran (diable!) et l’Inde (allons!), qui y participeront comme observateurs atentifs, – c’est-à-dire la puissance avec laquelle Washington voudrait “parler” et la puissance dont Washington juge qu’elle est un nouvel “allié sûr” dans la région… La première question étant de savoir si Karzaï va accepter l’ouverture du SCO et participer à la réunion au grand dam apoplectique de Washington, la seconde question, – assez étrange au demeurant, – devient de savoir et si Washington va parvenir à l’éliminer avant. (Eliminer sa marionnette mise en place il y a 7 ans pour contrôler l’Afghanistan au nom des USA? Well, well, excellente manœuvre…)

« Moscow has stepped up its efforts to hold an international conference on Afghanistan under the aegis of the SCO. The US doesn't want Karzai to legitimize a SCO role in the Afghan problem. Now a flashpoint arises.

»A meeting of deputy foreign ministers from the SCO member countries (China, Kazakhstan, Kyrgyzstan, Russia, Tajikistan and Uzbekistan) met in Moscow on January 14. The Russian Foreign Ministry subsequently announced that a conference would take place in late March. The Russian initiative received a big boost with Iran and India's decision to participate in the conference. […]

»The big question is whether Karzai will seize these regional trends and respond to the SCO overture, which will enable Kabul to get out of Washington's stranglehold? To be sure, Washington is racing against time in bringing about a “regime change” in Kabul.»

• A quoi se résume la situation, finalement? Peut-être cette remarque de M K Bhadrakumar , glissée au coin d’un paragraphe, fait-elle l’affaire: «The point is, more and more countries in the region are finding it difficult to accept the US monopoly on conflict-resolution in Afghanistan.» Elle caractérise une situation qui va prochainement changer grandement puisque Washington va encore plus accentuer son monopole de contrôle des affaires en Afghanistan, si nécessaire, et si possible, en éliminant la marionnette servile devenue lion rameutant peu ou prou la résistance anti-US soft. Notre point de vue est que le brave Obama a encore un long, long chemin à faire avant de parvenir dans des eaux nouvelles, internationalistes, ouvertes à la coopération et ainsi de suite. Il est vrai qu’il commence les affaires en Afghanistan en frappant du poing sur la table et en annonçant qu’il prend les choses en main, en plus, par l’intermédiaire de ce monstre de la diplomatie-blitzkrieg qu’est Holbrooke. Appréciée de ce point de vue, l’Afghanistan semble avoir, sur le Vietnam et sur l’Irak, l’avantage de plusieurs cercles concentriques d’imbroglios et de complications possibles, c’est-à-dire l’occasion, pour les USA, d’ajouter plusieurs volets d’incompréhension et d’erreurs. “Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?”, interroge le sage.


Mis en lmigne le 27 janvier 2009 à 17H00