Le désordre, la guerre et ceux qui n’en veulent pas

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Un phénomène intéressant, – comme tout ce qui nous vient des USA, bien sûr, – se développe à Washington, ajoutant au désordre extraordinaire qui caractérise la crise iranienne. (Ce dernier constat, en introduction, nous donnera également notre conclusion...) Les “bruits de botte” divers, et de plus en plus souvent menaçants et surréalistes à la fois, qui caractérisent la crise du côté du bloc BAO, suscitent désormais une opposition sérieuse dans l’establishment washingtonien. La chose est partie de l’article de Leslie Gelb (voir le 19 janvier 2012). Elle s’est remarquablement amplifiée ces dix derniers jours jusqu’à atteindre l'allure d’une tendance fondamentale qui pèse lourd, désormais, à côté du réflexe-Système de la guerre à tout prix et en dépit de tout.

Jim Lobe en fait un compte-rendu minutieux ce 28 janvier 2012. Il cite d’abord un article de Foreign Affairs du numéro de janvier-février 2012 de la revue, qui a été un facteur important d’alarme chez les anti-interventionnistes potentiels : «Time to Attack Iran: Why a Strike is the Least Bad Option», de Matthew Kroenig. Puis il cite l’article de Gelb, riposte serrée au précédent… Puis, un déferlement d’article contre la guerre, dont l’intérêt est également qu’ils sont de la plume de faucons notoires ou de conservateurs en général pro-guerre.

«On the pages of The New Republic, Kenneth Pollack, a former top CIA analyst at the Brookings Institution whose 2002 book, The Threatening Storm: The Case for Invading Iraq, was cited frequently by liberal hawks before the war, argued not only against any further escalation, but also suggested that the sanctions track on which the Barack Obama administration and the European Union have increasingly relied was proving counterproductive… […]

»Meanwhile, another influential liberal hawk, Princeton Prof. Anne-Marie Slaughter, argued in project-syndicate.org that the West and Iran were playing a “dangerous game” of “chicken” and that the West’s current course “leaves Iran’s government no alternative between publicly backing down, which it will not do, and escalating its provocations.” “The more publicly the West threatens Iran, the more easily Iranian leaders can portray America as the Great Satan to parts of the Iranian population that have recently been inclined to see the U.S. as their friend,” wrote Slaughter, who stepped down as director of the policy planning office under Secretary of State Hillary Clinton. “It is time for cooler heads to prevail with a strategy that helps Iran step back,” she added, suggesting that the aborted Turkish-Brazilian 2010 effort at mediation between the P5+1 and Iran be revived… […]

»Yet another Iraq hawk, New York Times columnist Bill Keller, attacked the Foreign Affairs article, assuring his readers that Kroenig’s former colleagues at the Pentagon “were pretty appalled by his article, which combines the alarmist worst case of the Iranian nuclear threat with the rosiest best case of America’s ability to make things better.”… […]

»Indeed, in a reply to Kroenig entitled “Not Time to Attack Iran”, Colin Kahl, who had also just left the Pentagon at the end of December after two years as the head of Middle East policy, argued that Kroenig’s “picture of a clean, calibrated conflict is a mirage. Any war with Iran would be a messy and extraordinarily violent affair, with significant casualties and consequences.”… […]

»Indeed, much of Kahl’s analysis was subsequently backed up by Gen. Michael Hayden (ret.), who, as the head of the Central Intelligence Agency during George W. Bush’s second term, could hardly be called a liberal. According to the ‘Cable’ blog on foreign policy.com, Hayden, who served as the head of the Pentagon’s National Security Agency from 1999 to 2005, told a small group convened at the Center for National Interest last week that top Bush national security officials had concluded that a military strike on Iran’s nuclear facilities – whether by Israel or the U.S. – would be counter-productive. The Israelis, he reportedly said, “aren’t going to (attack Iran)… They can’t do it, it’s beyond their capacity. They only have the ability to make this (problem of Iran’s nuclear program) worse.”»

…Bref, la guerre contre l’Iran n’est pas une balade facile à vendre, malgré les couleurs exaltantes que lui trouve la cohorte des pro-guerres. Les arguments développés par les adversaires d’un conflit sont tous connus et évidents, avec tout de même l’heureuse surprise de voir la réapparition dans la mémoire historique récente de l’initiative Brésil-Turquie de la fin du printemps 2010, qui avait été complètement enfouie dans une sorte de rubrique des non-événements dans les analyses officielles. (Rappel de cette affaire par Anne-Marie Slaughter, qui vient du département d’Etat.)

Pour le reste, nous voulons dire d’une façon plus fondamentale, cette poussée d’opposition à la guerre en Iran n’a pas de grande signification logique ni d’effet cohérent à faire espérer, simplement parce qu’il n’y a aucune logique dans cette affaire mais un immense désordre, et qu’un tel désordre n’est certainement pas un réceptacle accueillant pour un “effet cohérent”. Tout au plus, – mais ce n’est pas rien, après tout, – peut-on attendre que l’entrée en scène d’un “parti antiguerre” sur la scène de l’establishment washingtonien rende l’issue de ce désordre monumental encore plus incertaine, encore plus insaisissable, encore plus floue... On peut même avancer l’hypothèse qu’au terme d’un certain degré d'intensité et d'agitation de désordre, duquel cette intervention des antiguerres nous rapproche peut-être décisivement, on pourrait envisager une situation où il n’y aurait plus d’issue du tout à attendre dans cette crise iranienne, dans sa dimension washingtonienne, que cette crise s’installerait définitivement dans le cadre plus vaste de la crise multiforme de l’américanisme, contribuant d’une façon notablement efficace à l’accélération de la dissolution du pouvoir américaniste, et de la chute du système de l’américanisme en général par conséquent. On sait qu’un néo-sécessionniste du Maine, Thomas Naylor, avait estimé qu’une guerre contre l’Iran serait un des deux ou trois scénarios possibles menant à la dislocation et à l’effondrement de l’“empire” ; sans réfuter cette thèse en aucune façon, et même en la renforçant après tout, on pourrait avancer au delà et dire qu’une “guerre contre l’Iran” sans “guerre” réelle contre l’Iran, simplement par le désordre qu’engendre sa seule perspective au sein du Système, pourrait après tout suffire à la phase finale de la Chute (celle du Système), avec la dislocation de l'“empire”.


Mis en ligne le 28 janvier 2012 à 13H41

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