Labyrinthe et imbroglio à Washington, ou la vertu paradoxale de Moby Dick

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L’avantage de l’Empire, tel que GW nous l’a laissé, c’est que les complexités des intérêts et la complication des ambitions entretiennent fastueusement les affrontements et les tensions et interfèrent , bien plus qu’al Qaïda, AfPak ou l’Iran nucléaire, sur les politiques en cours. Ainsi, semble-t-il d’après cette chronique du 11 mai 2009 de Jim Lobe et Daniel Luban sur Antiwar.com, et d’ailleurs sans réel étonnement, le Pentagone joue-t-il un rôle majeur de frein contre tout durcissement intempestif contre l’Iran, – et certains pourraient alors dire que “les ennemis de mes ennemis sont mes amis”… En cela, dans la situation ainsi décrite, le Pentagone s’oppose au Lobby pro-israélien, à tous les soutiens de la politique israélienne, au gouvernement israélien lui-même dont on sait qu’il a son mot à dire à Washington et que ce mot est qu'il faut forcer à un durcissement maximum contre l’Iran, voire à une attaque de ce pays.

Le parti regroupé autour du Pentagone, avec notamment Robert Gates qui joue un rôle central, veut mettre tout l’accent sur AfPak, tenter d’améliorer la situation pour pouvoir “pacifier“ l’Afghanistan et “sécuriser” le Pakistan et ses armes nucléaires. Cette faction ne veut pas entendre parler de quelque action qui puisse mettre l’Iran dans une position antagoniste des USA, au moment où les USA auraient plutôt besoin de l’Iran (pour AfPak, justement). Outre le Pentagone, le département d’Etat, avec Hillary Clinton et Richard Holbrooke, partage cette position.

Retenons notamment ce que nous disent Lobe-Luban de la position au Pentagone et autour du Pentagone, dans une analyse très instructive à lire.

«Their opponents appear to be concentrated at the Pentagon, where top leaders are more concerned with providing a level of regional stability that will allow the U.S. to wind down its operations in Iraq, step up its counter-insurgency effort in Afghanistan, and, above all, ensure the security of the Pakistani state and its nuclear weapons.

»In their view, any attack on Iran would almost certainly throw the entire region into even greater upheaval. Both Defense Secretary Robert Gates and Adm. Mike Mullen, chairman of the Joint Chiefs of Staff, have repeatedly and publicly warned over the past year against any moves that would further destabilize the region. Other key administration players are believed to share this view, including senior military officers such as Director of National Intelligence (DNI) Adm. Dennis Blair and Gen. Douglas Lute, the “war czar” whose White House portfolio includes both Iraq and South Asia. […]

»By contrast, Pentagon officials have made little secret of their opposition [to a military action against Iran] In late April, Gates told the Senate Appropriations committee that a military strike would only delay Iran’s acquisition of a nuclear capability while “send[ing] the program deeper and more covert.”

»Last month, Mullen told the Wall Street Journal that an Israeli attack would pose “exceptionally high risks” to U.S. interests in the region. (Although the newspaper chose not to publish this part of the interview, Mullen’s office provided a record to IPS.)

»Similarly, Biden told CNN in April that an Israeli military strike against Tehran would be “ill-advised.” And former national security adviser (NSA) Brent Scowcroft, who is close to both Gates and the current NSA, ret. Gen. James Jones, told a conference here late last month that such an attack would be a “disaster for everybody.”

»For the moment, the top Pentagon leadership’s resistance to an attack on Iran appears to be playing a major role in shaping the debate in Washington. Gates “is a bulwark against those who want to go to war in Iran or give the green light for Israel to go to war,” said former national security adviser Zbigniew Brzezinski last month. Others dispute the idea, proposed by Netanyahu in his speech to AIPAC, that the Iranian threat can unite Israel and the Arab states.

»“The Israeli notion making the rounds these days that Arab fears of Iran might be the foundation for an alignment of interest is almost certainly wrong,” wrote Marc Lynch, a professor at George Washington University, on the Foreign Policy Web site. “Nothing would unite Arab opinion faster than an Israeli attack on Iran. The only thing which might change that would be serious movement toward a two state solution [in Israel-Palestine].”»

La bataille est tellement sérieuse, les opposants tellement engagés que Lobe-Luban ont cette phrase significative, qui semble marquer qu’Obama laisse plutôt faire pour l’instant, se contentant, avec d’autres dans l’administration, de “se ranger” du côté qu’il a manifestement choisi pour l’instant, en soutenant son action («Most indications are that the Obama administration, including Obama himself and Vice President Joe Biden, sides with the Pentagon, at least for now»). Une autre indication intéressante sur la vigueur de l’engagement est l’indication donnée par Lobe-Luban et IPS (le Site Inter Press Agency, où le texte de Lobe-Luban a été initialement publié) qu’une interview de l’amiral Mullen, président du JCS, au Wall Street Journal a été censurée par le dit Journal; et le morceau censuré redirigé par les services de Mullen vers IPS et Lobe-Luban («Last month, Mullen told the Wall Street Journal that an Israeli attack would pose “exceptionally high risks” to U.S. interests in the region. (Although the newspaper chose not to publish this part of the interview, Mullen’s office provided a record to IPS)»).

Il faut noter qu’on retrouve ici, assez constant, un conflit de priorités qui existe depuis trois ans déjà, avec notamment l’U.S. Navy en pointe au Pentagone, soutenue par Gates, pour privilégier le front AfPak contre toutes les tentatives sur d'autres fronts, aussi bien contre l’Iran que la poursuite de l’accent mis sur l’Irak. Les affrontements Fallon-Petraeus de 2007 en témoignent. Aujourd’hui, ce “front” s’est nettement regroupé, avec l’U.S. Navy plus que jamais influente au Pentagone; Gates a pris beaucoup de poids, en plus de donner la priorité à la réforme du Pentagone, et il se trouve soutenu par le nouveau pouvoir politique.

Jusqu’ici, comme on l’a déjà noté, le “parti” pro-israélien et anti-Iran est resté plutôt sur la réserve, notamment face aux ouvertures de l’administration Obama à l’Iran et aux bruits de durcissement US face à Israël. Certes, Lobe-Dunan notent que ce “parti” menace de passer à l’offensive pour tenter de peser sur la politique de l’administration Obama; mais il est dans une position inconfortable, parce que le plus sérieux relais d’Israël à Washington, dans le domaine des choses concrètes, reste le Pentagone qui détient l’accès aux armements et aux capacités militaires, et qu'on ne trouve plus un Wolfowitz ou un Feith. La position en flèche du Pentagone, et cette fois sans aucun frein politique (au contraire du temps de l’administration GW Bush), s’avère probablement être l’élément clef expliquant la réserve du “parti” israélien. On découvre donc que Moby Dick est parfois bien utile.


Mis en ligne le 11mai 2009 à 16H06

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