La révolte (opportune ?) du Mossad

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…Ou encore : le Mossad dit-il tout haut ce que de plus en plus de dirigeants israéliens, notamment dans les milieux de la sécurité nationale, pensent tout bas ? La première déclaration publique de Meir Dagan, depuis son départ à la retraite de la direction du Mossad (le service ce renseignement israélien) en septembre 2010, fait grand bruit.

• Le 7 mai 2011, Haaretz rapportait cette déclaration où Dagan qualifiait une attaque de l’Iran par la force aérienne d’Israël, possibilité évoquée avec une régularité de métronome depuis 2005-2006, comme «la chose la plus stupide que j’ai jamais entendue». (Cette déclaration, lors d’une conférence à l’université hébraïque de Jerusalem, le 6 mai.) Interrogé sur les suites d’une attaque de l’Iran, qu’il juge totalement illégale et qui ne donnerait à son avis aucun résultat décisif, Dagan précise : «Cela serait suivi d’une guerre avec l’Iran. C’est le genre de choses dont on sait quand elles commencent, mais nullement comment elles finissent.»

• Dès le lendemain, 8 mai 2011 (dans Haaretz également), diverses réactions aux déclarations de Dagan. Deux autres anciens chefs du Mossad, Danny Yatom et Ephraim Halevy, l’ont soutenu, tant sur le principe de faire de telles déclarations der son propre chef que sur son analyse sur un projet d’attaque de l’Iran. Cet ensemble d’attitudes semble montrer, d’une part, que ces diverses déclarations, même si elles émanent de chefs du Mossad à la retraite, reflètent tout de même l’opinion générale du service ; d’autre part, qu’il semblerait bien que le Mossad juge qu'il a sont mot à dire dans ce qui pourrait devenir un débat stratégique en Israël, et qu’il entend le dire.

• Au niveau politique, les réactions sont assez diverses et contrastées, et loin de condamner Dagan. Le ministre de la défense Barack, qui applaudit aux qualités de Dagan, remarque simplement qu’«il n’aurait pas du faire connaître cette opinion à un public aussi large».

• Il faut tout de même noter que, deux jours auparavant, le même ministre de la défense Barack avait déclaré qu’il pensait que, si l’Iran devenait une puissance nucléaire, ce pays n’attaquerait pas pour autant ni Israël, ni aucun de ses voisins (dans Haaretz le 5 mai, repris le 5 mai 2011 par The State, – un journal régional US, de Caroline du Sud). D’une façon générale, cette remarque est considérée comme une approche prudente vers une politique tendant à accepter l’équipement nucléaire de l’Iran sans intervention, en minimisant désormais le risquer d’une telle évolution.

Ces diverses prises de position publiques rendent un son bien différent de ce qu’on a l’habitude d’entendre en Israël, lorsqu’il s’agit de l’Iran, du nucléaire iranien et de la possibilité d’une attaque israélienne contre l’Iran. Il y a déjà eu des hautes personnalités militaires ou du renseignement qui ont dénoncé le projet d’attaque, mais leurs déclarations n’ont jamais eu le moindre écho, étant en général minimisées, sinon étouffées ; celles de Dagan offrent ainsi un certain contraste et un contraste significatif. A de telles époques où de telles déclarations émergeaient péniblement avant d’être étouffées, il était considéré comme un fait acquis, y compris dans les commentaires généraux dans le bloc BAO, qu’il y aurait une attaque israélienne, qu’Israël n’accepterait jamais un Iran nucléaire, que l’attaque était une question de “quand ?” et nullement de “si ?”

Aujourd’hui, tout commence à sembler bien différent… Les déclarations de Dagan reçoivent une large publicité et, parmi les réactions, on ne relève aucune condamnation radicale ni le moindre démenti formel devant cette condamnation d’une attaque contre l’Iran. Cela se passe au moment où les inquiétudes d’Israël sont très vives, quant à l’évolution politique dans la région, et, particulièrement, la catastrophique évolution (pour Israël) de l’Egypte. Le paradoxe de la situation est bien entendu que l’idée d’un rejet d’une attaque contre l’Iran devient convenable en Israël au moment où l’Arabie durcit sa position contre l’Iran, jusqu’a faire évoquer par certains la possibilité d’une part d’un conflit entre l’Arabie et l’Iran, d’autre part d’un axe Israël-Arabie contre l’Iran. La question qui se pose alors est de savoir si les uns et les autres ne seraient pas en train d’évoluer en sens contraire alors qu’on croirait qu’ils évoluent pour se rapprocher.

Il y a bien sûr un autre élément, capital également, pour compléter ce survol de la situation : la position, la politique, les intentions et les capacités des USA. Il semble que Saoudiens et Israéliens arrivent à la même conclusion sur cette question et, peut-être, qu’ils en tirent des conséquences diamétralement opposées. Les uns et les autres reconnaissent que les USA sont devenus impuissants tant en capacités militaires, qu’en puissance intrinsèque (économique, financière, etc.), qu’en capacités de direction politique et donc de décisions politiques. Les uns et les autres admettent également qu’il est désormais plus que probable qu’on ne peut plus compter sur les USA pour leur apporter une aide conséquente au Moyen-Orient, que ce soit pour bloquer l’instabilité de la chaîne crisique de plus en plus dangereuse pour eux, que ce soit pour éventuellement accompagner et soutenir une action contre l’Iran. De ces constats à peu près similaires, les Saoudiens tireraient la conclusion qu’ils doivent tenter d’arranger un front anti-iranien, éventuellement jusqu’au conflit, sans espérer d’aide efficace et significative des USA, et par conséquent avec d’autres pays de la région, éventuellement en tentant de réactiver l’affrontement sunnite-chiite ; mais, toujours, la conception des dirigeants saoudiens est axée sur une hostilité sans retenue contre l’Iran pouvant aller jusqu’au conflit, peut-être plus encore alors que les USA sont hors-jeu.

Les Israéliens répondent-ils à l’attente des Saoudiens, qui est celle d’une alliance anti-iranienne de facto ? Les bruits de ce week-end, autour des déclarations de Dagan, montrent qu’une possibilité désormais sérieuse concerne une attitude exactement et radicalement inverse. On ne peut plus exclure la possibilité qu’une partie très importante de la direction israélienne commence à envisager un virage complet de la politique israélienne, passant notamment par un certain accommodement avec la situation d’un Iran nucléaire (voir la déclaration de Barack) et la recherche de meilleures relations avec divers pays arabes et diverses tendances arabes jusqu’alors considérés comme tout juste bon à être détruits. Il faut observer que cette orientation serait soutenue, contre les ultra durs du gouvernement Netanyahou (dans tous les cas, le Premier ministre et son ministre des affaires étrangères), par l’essentiel de la hiérarchie militaire et de sécurité nationale. (Nombre de généraux israéliens partagent l’analyse de Dagan sur les perspectives d’un conflit avec l’Iran.)

Dans tous les cas, cette affaire nous rappelle assez opportunément que les prévisions assurées que l’on développe depuis cinq ans concernant l’attaque de l’Iran par Israël restent tout de même au rang de pure spéculation alors qu’elles sont trop souvent présentées comme le constat d’un fait inéluctable. Le problème est, en général, que l’on dénonce avec une vigueur considérable, et vigueur bienvenue d’ailleurs, les comportements et attitudes complètement virtualistes de ces pays (Israël et USA, notamment), dans nombre de domaines de la communication, et notamment celui de l’affirmation brutale de la puissance, mais qu’on se prend parfois, et même souvent, à trop y croire lorsque certaines de ces éructations rencontrent des thèses que l’on chérit. On s’est ainsi un peu trop habitués à un Israël totalement intransigeant, et, surtout, unanimement intransigeant, idée qui entre par ailleurs dans une vision générale de la situation intégrant adversaires politiques et politique unilatérale de force. Au moins, les déclarations de Dagan et les réactions qui ont suivi montrent que la situation politique en Israël est loin d’être verrouillée et stable, qu’elle est peut-être sur le point de basculer dans l’instabilité avec des divorces extrêmement profond sur les orientations stratégiques fondamentales.


Mis en ligne le 9 mai 2011 à 12H44