La question du Point 10 de l’accord Minsk-2

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La question du Point 10 de l’accord Minsk-2

Daniel McAdams, ancien parlementaire de la mouvance Ron Paul, est devenu l’un des commentateurs de politique étrangère du Ron Paul Institue for Peace. On l’a déjà cité à plusieurs reprises, assez pour constater qu’il s’agit d’un des meilleurs commentateurs US pour ces questions extérieures, et particulièrement pour la crise ukrainienne qu’il suit de très près. Dans une chronique du 13 février 2015, McAdams soulève un point d’un particulier intérêt qu’il extrait des accords dits de Minsk-2. Il s’agit du point 10 de l’accord, qui prévoit que toutes les forces étrangères, les armements lourds et les mercenaires étrangers stationnant en Ukraine seront retirées. McAdams met en évidence au moins deux points principaux parmi de nombreux autres, qui vont soulever des polémiques intéressantes. Le premier point est celui de la “présence” de troupes russes en Ukraine de l’Est, fixées selon McAdams par le bloc pro-Kiev (dans lequel il inclut d’une façon hypothétique la France et l’Allemagne) à “10.500 soldats”. Le second est l’annonce de l’envoi d’un bataillon de 600 hommes de la 173ème brigade aéroportée de l’US Army en Ukraine pour entraîner les forces armées ukrainiennes (voir par exemple Fox.News le 12 février 2015).

McAdams joue, dans son texte, à prendre au mot, et l’accord de Minsk-2, et les positions officielles des différents signataires (notamment concernant la pseudo-présence de troupes russes en Ukraine de l’Est). Cela permet de mieux mettre en évidence les termes extrêmes des polémiques que vont susciter les différentes questions évoquées.

«According to a translation of the 13 points, point number ten reads: “All foreign troops, heavy weapons and mercenaries are to be withdrawn from Ukraine. Illegal armed groups would be disarmed, but local authorities in Donetsk and Lugansk would be allowed to have legal militia units.”

»There are two very significant points to ponder in this statement to which all sides agreed. First, it is most likely that when proposing this point, France and Germany, along with Kiev, were thinking of what they claim are as many as 10,500 regular Russian soldiers fighting inside Ukraine. For this point to be implemented and thus the plan carried out in good faith, the “10,500 Russians” as well as a handful of French and other volunteers for the breakaway regions must return home.

»But the statement is unequivocal: All foreign troops must leave Ukraine. What about US troops, including CIA and Special Forces, that are said to be assisting the US-backed government in Kiev? Would Kiev not have the same obligation to expel these foreign troops? And, most importantly, what of the 600 US paratroopers that are to be sent by President Obama to train the Ukrainian military starting next month? Would it not be a violation of "Minsk II" ceasefire agreement for the US to go through with sending 600 troops into Ukraine?

»The second important issue to consider about point ten of the agreement is the 10,500 regular Russian army troops that Kiev claims are fighting in the breakaway east. Russia has always maintained that this claim is a fiction and has called on Kiev and Washington to produce some evidence for the claim. Surely a satellite photo would easily prove such a claim.

»However, something significant will happen either way on point ten of the agreement. There are three possibilities: either, 1) Russia will initiate a massive withdrawal of troops that will be easily visible to anyone watching; 2) Russia will not initiate a massive and easily visible withdrawal of troops from eastern Ukraine because it chooses to violate the "Minsk II" agreement; or, finally, 3) Russia will not initiate a massive withdrawal of troops from eastern Ukraine because there are no regular Russian army troops in eastern Ukraine. In other words, point ten of the agreement is key to determine who is lying about Russian troops in eastern Ukraine.

»Indeed, point ten appears a make or break issue in the agreement. Will Kiev break the agreement by allowing in 600 American troops... or even American weapons? Will Russia finally prove or disprove the claims made about the Russian military in Ukraine?»

• La question des troupes russes en Ukraine de l’Est est hautement exotique. On connaît les extrêmes vicissitudes des différents porte-voix et courroies de transmission du Système pour tenter de convaincre ceux qui ne le sont pas de cette présence, qui n’est nulle part substantivée par quelque élément de preuve que ce soit, sinon par des photos qui s’avèrent aussitôt être des faux (voir le 14 février 2015). On rappellera ici ce qu’on en disait, le 6 février 2015 : «Le texte de “FortRus”, qui rapporte (le 5 février 2015) ces détails à partir d’une nouvelle (en russe) de “Russia Today” nous rappelle que, le 31 janvier 2015, le chef d’état-major de l’armée ukrainienne, le général Victor Moujenko, avait déclaré lors d’un briefing pour la presse qu’il n’y avait pas d’unités régulières russes au combat dans les engagements en cours dans le Donbass. Ces précisions étaient données par Moujenko moins d’une semaine après que Porochenko ait déclaré, à Davos, qu’il y avait neuf mille soldats russes engagés dans l’actuelle bataille dans le Donbass. Dans l’entretemps (entre les 24 et 31 janvier), on était passé de 9.000 à 12.000 soldats russes dans la bataille, par la grâce du représentant de Kiev à l’ONU.»

Quant aux Russes, bien entendu, leur position est archi-connue depuis le premier jour  : il n’y a pas de troupes régulières russes en Ukraine. Effectivement, cette énigme va être passionnante à résoudre : comment, pour le bloc BAO, abandonner une position fermement établie depuis le premier jour et s’appuyant sur les affirmations de Kiev, selon laquelle il y a des forces régulières russes en Ukraine en nombre substantiel, et qu’elles doivent donc quitter le territoire ukrainien au vu et au su de tout le monde ? Comment les Russes, goguenards, vont-ils faire pour retirer d’Ukraine des troupes dont ils affirment sans jamais avoir été pris en flagrant délit de dissimulation de la vérité, qu’elles n’y sont évidemment pas ?

• La question des forces US est encore plus passionnante... Il faut d’abord noter que l’annonce du déploiement de cette force, faite le 11 février (le 12 février en Europe, vu le décalage horaire), a été faite exactement au moment où l’on bouclait l’accord Minsk-2. Il serait étonnant que le département d’État, avec lequel Porochenko était en contact permanent et direct (avec Victoria Nuland) lors de ses escapades toilettes/coup de téléphone durant les entretiens, n’ait pas été au courant de l’existence de cette clause dans la proposition d’accord. Ici se présentent alors deux options (en ne s’intéressant qu’à la seule nouvelle proclamé publiquement dans toutes les affirmations répandues, à savoir l’envoi du bataillon de 600 hommes de la 173ème aéroportée) :

1). Le gouvernement US dans son ensemble était au courant et a décidé de maintenir l’envoi du bataillon. L’affaire pourrait être présentée par la partie américaniste comme un accord avec un pays souverain, dans lequel le bataillon de la 173ème aéroportée n’est pas une unité combattante mais une unité d’entraînement, donc que sa venue ne contredit pas l’esprit de l’accord Minsk-2 même si elle en maltraite un peu la lettre. La provocation reste assez flagrante et place les signataires de Minsk-2 (à part les Ukrainiens) dans des situations de devoir choisir, – soit accepter l’explication US, ce qui est un peu lourd, soit exiger l’abandon du déploiement de l’unité. Pour les Russes existe aussi l’option de réciprocité (envoi, vrai cette fois, d’une unité correspondante pour entraîner les milices du Donbass, dont la légalité est reconnue par l’accord Minsk-2, – «...but local authorities in Donetsk and Lugansk would be allowed to have legal militia units»).

2) Le gouvernement US dans son ensemble n’était pas au courant de cette décision à ce moment précis et il s’agit d’abord d’une décision bureaucratique du Pentagone dans son programme de soutien aux forces ukrainiennes. Cela est tout à fait concevable dans la cacophonie de confusion et le cloisonnement des forces en présence où se trouve le pouvoir à Washington. On peut néanmoins avancer l’hypothèse que l’un(e) ou l’autre, hors-Pentagone, était au courant – pourquoi le nom de Nuland vient-il à l’esprit ? – et n’a rien fait pour désamorcer la bombe, et même au contraire a tout fait pour que la bombe à retardement soit mise en place en même temps que Minsk-2 pour compléter l’ambiguïté-provocation. Certains pourraient alors y voir une manipulation d’une décision bureaucratique pour la transformer en provocation politique capable de réduire Minsk-2 en bouillie, – selon l’observation qu’une fois engagés, Minsk-2 ou pas Minsk-2, la “nation exceptionnelle”, satisfaite ou pas de cette polémique, n’est pas du genre à songer à reculer.

Comme on le voit, les possibilités et les hypothèses abondent dans ce cas particulier, qui ne prend encore en compte que les grands thèmes des forces étrangères en Ukraine, – que ce soit dans le mode polémique-narrative (forces russe), que ce soit dans le mode affirmatif-provocation (bataillon US). Il reste les forces irrégulières, forces spéciales, mercenaires, volontaires, etc., où la confusion est complète, et soigneusement entretenue de tous les côtés.

Il nous paraît incontestable que la position la plus difficile est celle de la France et de l’Allemagne, garantes de l’accord, et qui sont confrontées dans ces deux cas principaux évoqués aux deux grands problèmes de la crise ukrainienne. Le premier est le problème de la méthodologie, ou des rapports conflictuels de la narrative officielle avec la vérité de la situation en Ukraine. Le second est le problème du jeu des USA en Ukraine, avec le très fort soupçon que ce jeu est caractérisé par l’usage de la provocation pour empêcher le rétablissement d’un certain calme, sinon d’une “paix” approximative qui va contre le but essentiel des USA qui est l’attaque déstabilisatrice de la Russie.


Mis en ligne le 16 février 2015 à 05H29

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