La Libye, al Qaïda, BHL-Sarko et d’autres, – et le désordre…

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Le commentateur et chroniqueur Wayne Madsen, qui édite Wayne Madsen Report, une lettre d’information réputée, publie sur Intrepid Report (le 10 juin 2011) un article sur la situation libyenne, essentiellement du point de vue du camp de Kadhafi. Il s’intéresse essentiellement à la présence d’al Qaïda en Libye, dans les rangs des rebelles du CNT, qu’il estime à 2.000 combattants désormais équipés en armement par les USA… (« The Obama administration may have officially pronounced the assassination by US Special Operations forces of reputed “Al Qaeda” leader Osama Bin Laden in Pakistan but that has not deterred the U.S. administration from providing over two-thousand “Al Qaeda” irregulars with weapons and other support in rebel-controlled eastern Libya.»)

Wayne Madsen rapporte diverses informations recueillies du côté de Kadhafi, concernant les forces rebelles et leur comportement. Bien entendu, il dénonce ce comportement… Un passage est particulièrement intéressant, surtout du point de vue symbolique, lorsqu’on sait le rôle joué par BHL en Libye aux côtés des rebelles, et qu’on sait également qu’il a écrit en 2002 un livre d’“enquête” (très contesté) sur la mort par exécution d’hommes d’al Qaïda, du journaliste du Wall Street Journal Daniel Pearl .

«This reporter [Madsen] was shown raw video footage of the Salafists in Benghazi cutting the throat of a Qaddafi supporter and severing his head. The footage was reminiscent of the “Al Qaeda” beheading in Pakistan of Wall Street Journal reporter Daniel Pearl and American Nick Berg in Iraq. The Libyan journalists asked me why such footage of rebel atrocities is not being aired by CNN, Al Jazeera, or the BBC. I replied, “Corporate control by the Western war industry.”»

Effectivement, une partie de la nouvelle de Madsen concerne les péripéties de BHL et de la Libye. Les connexions entre BHL et les rebelles libyens sont évidentes puisqu’elles constituent la base de l’intervention, très connue, du premier dans l’affaire libyenne. On connaît moins, si pas du tout, celles de BHL et d’Israël sur ce point de la Libye et du soutien aux rebelles, – nullement par méconnaissance des liens constants entre BHL et Israël, bien entendu, mais selon l’observation qu’en l’occurrence Israël aurait certaines raisons de n’être pas vraiment favorable aux rebelles contre Kadhafi.

«The Libyan media team was in Benghazi while French philosopher Bernard-Henri Lévy was visiting representatives of the rebel National Transitional Council in Benghazi before traveling to Jerusalem. The Libyan journalists reported that Levy told the rebels that if they wanted to see increased support from NATO, they should establish relations with Israel. After Levy met with the rebel commanders, it was announced that if victorious over Colonel Qaddafi’s forces, they would proceed to establish diplomatic relations with Israel. Israeli Prime Minister Binyamin Netanyahu confirmed Levy’s meeting with the Libyan rebels and the topic of their recognition of Israel.»

Madsen développe également, ou rappelle les rumeurs d’implications entre Kadhafi et Sarkozy, à propos d’une aide financière du premier au second durant la campagne électorale de 2007, et il ajoute également des allusions à l’affaire DSK, semblant impliquer un autre aspect de la connexion entre Strauss-Kahn et le parti d’influence favorable au CNT en Libye. («Sarkozy is said to have received substantial campaign funds for his run for the presidency of France from Qaddafi financial sources. In addition, the loss in 2008 of $1.3 billion dollars of Libyan sovereign wealth funds because of “bad investments” by Goldman Sachs reportedly involved top officials of the French government and the financial sector, including those close to Sarkozy and Strauss-Kahn, many of whom are French Jews who ardently support Israel and, now, the Libyan rebels.»)

Le texte de Madsen illustre une fois de plus, bien plus que telle ou telle implication de tel ou tel acteur, la situation de désordre qui caractérise l’affaire libyenne, celle-ci comme une des manifestations du désordre général caractérisant autant les relations internationales que l’état des choses en général. L’argument principal d’une coalition, notamment, entre un groupe français impliquant notamment Sarko, BHL et accessoirement le DSK d’avant-la-chute, avec Israël, aux côtés du CNT des rebelles et éventuellement un contingent considérable d’al Qaïda, rencontre certaines thèses à fort connotation complotistes, et heurtent de plein fouet d’autres thèses qui ont tout autant de fondement apparent, – sinon plus, sans vraiment forcer l’argument.

(Nous ne comptons pas, évidemment, les contradictions internes déjà évidentes dans ces rassemblements, mais nous devons tout de même les signaler : la thèse originale selon laquelle la liquidation de ben Laden a permis de “récupérer” al Qaïda pour le camp américaniste-occidentaliste a tout de même ses limites qu’il est temps de signaler, l'originalité de la chose ne suffisant pas à assurer son crédit. Un article de Gareth Porter, le 10 juin 2011, fait une bonne analyse de cette question, à partir du livre Inside al-Qaeda and the Taliban, du journaliste Syed Saleem Shahzad de Atimes.com. Le livre a été publié le 24 mai et Shahzad a disparu à Islamabad le 27, pour être retrouvé, exécuté après avoir été torturé, le 31, ce qui montre qu’on se préoccupait de ses publications. Le livre montre combien al Qaïda se nourrit des diverses guerres occidentales pour renforcer son influence et ses effectifs. Mais le jugement de Shahzad est catégorique : ben Laden ne jouait plus aucun rôle effectif dans cette organisation, cela montrant que la “liquidation” de ben Laden n’a eu aucune signification stratégique et peut difficilement constituer un “tournant” pour l’organisation : «Shahzad's account reveals that Osama bin Laden was a “figurehead” for public consumption, and that it was Dr Ayman Zawahiri who formulated the organisation's ideological line and devised operational plans. »)

Dans cet ordre des contradictions diverses qui caractérisent cette affaire libyenne, et de plus en plus d’autres, on doit opposer à l’idée de cette position israélienne favorable de facto à l’intervention anti-Kadhafi au travers d’un soutien aux entreprises de BHL-Sarko, la thèse inverses d’aussi ardents pro-sionistes qu’un BHL ou un Sarko s’opposant à cette intervention avec la dernière énergie. Il s’agit de la crainte que cette même intervention en Libye ne serve de modèle et de jurisprudence pour une intervention anti-israélienne lors de la proclamation unilatérale d’un Etat palestinien en septembre prochain. (Voir notamment notre F&C du 4 juin 2011, où est prise en compte l’attaque contre l’intervention libyenne d’un groupe mené par Schmuel Trigano sur le site Raison Garder, notamment avec un texte du 21 mars 2011 directement connecté à cette crainte de la crise possible de septembre prochain.)

Par ailleurs, comment concilier tout cela, et notamment le soutien israélien à BHL-Sarko, al Qaïda audacieusement included, avec la très récente prise de position de la Chambre des Représentants US (le Sénat allant dans le même sens), dont on connaît l’engagement plus pro-sioniste que les sionistes ? Et notamment, cet engagement de Dana Rohrabacher, un membre très influent de la Commission des affaires étrangères et accessoirement pro-israéliens. Il s’agit d’un désaveu des rebelles du CNT, – selon WorldTribune.com du 12 juin 2011. (En passant on appréciera la saveur exquise du paradoxe qui unit dans un but commun, qui est de réduire l'engagement US en Libye, certains membres du “War Party” et des anti-guerres, comme nous le notions le 28 mai 2011... Désordre, désordre, désordre.)

«House and Senate members have been concerned over the refusal of Libyan rebels to cooperate with Congress. They said Congress has sought to win guarantees from the rebels that they would establish democracy and transform Libya into a strong ally of the United States.

»“Being a senior member of [House] Foreign Affairs Committee and being the author of the resolution to support the uprising, it is disappointing that I'm withdrawing my support for the Libyan resistance movement,” Rep. Dana Rohrabacher said. Rohrabacher, an early supporter of the revolt, cited the rebel refusal to issue a commitment to repay the United States for the military mission against the regime of Libyan Col. Moammar Gadhafi. Rohrabacher, a leading Republican, was part of a delegation of six House members who met rebels in Libya earlier this month.

»Other House members expressed concern that the Libyan rebels were linked to Al Qaida. They said Al Qaida and other insurgency groups were buying surface-to-air missiles and other weapons captured by the rebels from Gadhafi arsenals…»

A la lumière de ces diverses informations, appréciations, analyses, etc., dont toutes ont plus ou moins d’éléments de réalité, – on peut ne tirer qu’une seule conclusion qui est celle, toujours la même décidément et bien entendu, du désordre. Chacun a une vue partielle du problème, à partir de laquelle il tire ses propres spéculations et ses conclusions. Aucune n’est tout à fait juste, aucune n’est tout à fait fausse, parce que toutes sont contenues dans un cadre restreint et selon un point de vue spécifique ; aucune ne rend compte de la puissante réalité et de la formidable vérité de la situation, dans le cadre eschatologique de la crise terminale, – désordre, désordre, désordre… Finalement, voilà une situation qui n’est pas si défavorable à Kadhafi, car cet homme lunatique, imprévisible, à la garde-robe originale, à la pensée et au verbe également désordonnés, ne peut s’avérer qu’être un maître naturel dans l’art du désordre.


Mis en ligne le 14 juin 2011 à 09H47