La leçon de chose du JSF

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Dans l’environnement apocalyptique de la situation washingtonienne, le programme JSF est plus que jamais une référence fondamentale, un indicateur, une illustration et un exemple. De quoi, tout cela ? Référence, indicateur, illustration de la crise générale, certes. Le programme JSF est l’événement le plus précis, le plus technologiquement et ontologiquemet identifié, à s’être dégagé de son propre courant de crise spécialisée pour s’intégrer dans la crise générale et en être l’illustration pour les domaines auxquels ils continuent à appartenir. (Essentiellement, le système du technologisme.)

Ainsi s’explique-t-il que, de plus en plus souvent, alors que, comme on l’a déjà souligné, le programme traverse une phase technique acceptable, émerge l’examen de l’“hypothèse nucléaire”, le “thinking the unthinkable”, – l’abandon du programme JSF. C’est le cas de deux “grosses pointures” d’Aviation Week & Space Technology (AW&ST), David A. Fulghum et Bill Sweetman, le 29 novembre 2011. On y étudie la question sacrilège : “Y a-t-il des alternatives au programme F-35 ?”

Inutile de s’attarder aux réponses, – car oui, bien sûr, bien entendu, il existe des alternatives au F-35, même si elles manquent de la gloire considérable du F-35, dans tous les cas en termes de communication, puisqu’il ne serait plus alors question de parler d’un avion de combat de la “cinquième génération”. (En effet, les “alternatives” concernent la modernisation de modèles actuels, – c’est-à-dire les F-15, F-16 e F-18 dont les premières productions remontent aux années 1970 ; y compris, étrange paradoxe qui laisse perplexe jusqu’à nous conduire à nous demander si nous ne sommes pas au bout du tunnel de l’effondrement, modernisation avec l’intégration de sous-systèmes avancés du JSF, à propos desquels il existe une forte suspicion qu’ils sont une des causes des avatars du même JSF…)

Le texte de Fulghum-Sweetman a fait suffisamment de bruit, à cause du prestige de ces deux auteurs et de la publication où ils opèrent (AW&ST). Philip Ewing, de DoDBuzz.com, y répond le 30 novembre 2011, avec son titre («Thinking the unthinkable about the F-35»); puis avec son premier et court paragraphe, qui reprend explicitement le titre de Fulghum-Sweetman (“Y a-t-il des alternatives au programme F-35 ?”), – «An AvWeek headline this week posed a question that once had an easy, one-word answer: No.» Eh bien, ce n’est plus le cas, constate Ewing, ce “No” péremptoire et définitif, comme il l’expose aussitôt :

«The question was, per David A. Fulghum and Bill Sweetman: “Are there alternatives to the F-35 program?” But in post-super committee America, where the Air Force daydreams about growing its fleet with a service-life extension program for the Wright Flyer, things aren’t as clear cut as they used to be…»

Ewing fait une rapide digression sur le “bon vieux temps” où les problèmes existaient mais où, finalement, le Système marchait assez bien, de façon à ce qu’ils fussent résolus, avec plus ou moins de bonheur. (Ewing et DoDBuzz.com sont d'autant plus intéressants à suivre ici qu'ils ne furent jamais, comme le fut Sweetman par exemple, parmi les premiers critiques du JSF, bien au contraire.) Plus loin dans son texte, Ewing aborde le cœur de son sujet technique qui est de discuter de ces “alternatives” et de constater que, oui, finalement, on en discute dans les sphères officielles, ce qui signifie qu’on est bien en train de “penser l’impensable” (l’abandon du programme JSF), dans tous les cas comme une possibilité, si minime soit-elle… Entre les deux, Ewing glisse trois paragraphes décrivant la situation générale à Washington qui fait qu’on en est arrivé à cette situation impensable de “penser l’impensable” à propos du JSF.

«Problem is, Washington does strange things. Difficult as it was to believe the capital would trap itself in a “Guns of August” crisis of process, that is what has happened: Congressional deadlock lit a slow fuse set to burn until early 2013, when a budgetary detonation could obliterate nearly $1 trillion in planned DoD spending growth over the next 10 years. The Pentagon, having shut its eyes and plugged its ears in hopes that would banish this monster, made no plans for what to do in exactly the scenario that has materialized.

»The White House doesn’t want this bomb to go off, but under the bizarre logic of the moment, it has vowed to stop Congress from blowing out the fuse, in hopes that its continued burn will motivate lawmakers to get the kind of deal they couldn’t to begin with — which set the whole thing in motion in the first place. Plus there’s a nice little sideshow this week in which the Democratic president is in a showdown with the Democratically controlled Senate over detainee provisions in the defense bill.

»So in other words, things that may have once made sense now don’t. All the reasons the F-35 was guaranteed to survive may no longer apply. Secretary Panetta himself dangled the program over the hotel balcony in his warning to Senate lawmakers about what might go away under sequestration. There are no brakes on this thing. At one point, we were supposed to get a thoughtful, soup-to-nuts strategic review that would show the way toward a new defense posture for Austerity America, but nope, nothin’ yet. Maybe this lack of any clear way forward is why people keep using the word “decline.”»

L’intérêt de ce passage est qu’il vient d’un spécialiste, qu’il porte in fine sur une chose “spécialisée” (le JSF/F-35), dans un domaine non moins spécialisée, et qu’il décrit pourtant toutes les conditions de la crise générale de la direction politique du système de l’américanisme, qui constitue le moteur rugissant de l’empilement des crises qui ne cessent de faire s’enfoncer l’Amérique. Le passage marque bien la conscience complète de tous les acteurs de ce qu’il est nécessaire de faire pour redresser cette pente catastrophique, et l’étrange cheminement psychologique qui les conduit à faire exactement le contraire, c’est-à-dire à s’incliner devant la mécanique de la crise, à accepter son inéluctabilité. Eux aussi ne sont pas loin de sentir qu’il y a là, en marche, des forces supérieures à eux, où la métahistoire peut bien prendre la forme d’une “opérationnalité” mécanique, qui les forcent à agir dans le sens de l’autodestruction.

Le JSF est ainsi d’un intérêt démonstratif tout à fait essentiel. D’une part, c’est un artefact spécialisé, qui ne fut pas et qui n’est pas trop soumis, certainement à son origine, aux pressions négatives du système de la communication ; un artefact qui vient de très, très loin (1993) et à propos duquel l’unanimité du système de l’américanisme a agréé à sa nécessité incontestable jusqu’à l’absolu ; un artefact qui, justement, à cause de ces conditions, a utilisé pendant bien plus d’une décennie toute la puissance du système de la communication à son avantage, en débauchant par les moyens habituels (pression, corruption, mensonges, etc.) un certain nombre d’allliés sans que personne ne lève réellement le petit doigt ; un artefact qui a été alimenté, choyé, couvert d’ors et de $trillions, de consensus satisfaits par le tout-Washington, et dont l’importance colossale en a fait une cause nationale… D’autre part, le fait est que, tout en continuant à se développer comme on le voit faire, il est en train de non seulement s’effondrer, mais de se dissoudre littéralement sous nos yeux. Toutes ses vertus deviennent alors des vices irrémédiables. Lui qui fut l’étendard de la surpuissance du Système (sous la forme du système de l’américanisme) devient le pavillon inversé de l’autodestruction du Système (“pavillon inversé”, comme lorsque le drapeau américain est hissé à l’envers avec le rectangle des étoiles vers le bas, pour indiquer “venez à notre aide, nous ne savons plus quoi faire”)…

C’est effectivement le cas. Personne ne sait exactement pourquoi le JSF est en train de se dissoudre sous nos yeux, – et cette ignorance, peut-être parce que les raisons de la dissolution jusqu’alors ignorées sont si puissantes et supérieures, – mais tout le monde sent que le JSF est en train de se dissoudre sous nos yeux. Cette “grande cause” de la surpuissance du système du technologisme et du triomphe du XXIème siècle américaniste (le second à la suite de l’American Century), est en train de devenir un “grand symptôme” de l’autodestruction du même système. L’utilité de l’intérêt du système de la communication pour le JSF permet de nous faire suivre in vivo, sur un cas très spécifique, la marche de l’effondrement catastrophique devenant dissolution ; elle permet d’observer que cette marche est aujourd’hui un fait avéré, acté par les commentateurs spécialistes du domaine qui en arrivent, à partir de lui, à n’être plus spécialistes, à se libérer du carcan de la “spécialisation”, pour offrir une interprétation et une description acceptables de la dissolution du Système dans son entièreté et sa spécificité universelle.


Mis en ligne le 2 décembre 2011 à 06H23

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