Interprétations contrastées de la “désaméricanisation”

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Interprétations contrastées de la “désaméricanisation”

Le 14 octobre 2013, nous signalions l’éditorial désormais fameux de l’agence chinoise Xinhua, du 13 octobre 2013. Le mot qui a fait la notoriété de cette intervention est celui de “désaméricanisation”, l’agence plaidant l’idée de la nécessité de “désaméricaniser le monde” en raison de la paralysie, de l’instabilité, de l’irresponsabilité de la direction américaniste illustrées par la crise du government shutdown. Cette crise est terminée, ou disons plutôt que la phase crisique d’octobre 2013 de la crise structurelle du pouvoir américaniste est terminée. Les termes de l’accord qui ont permis cette issue sont tels que le potentiel existe pour une nouvelle phase en janvier-février 2014. D’autre part existe évidemment le sentiment général que les “fondamentaux” de cette infrastructure crisique non seulement subsistent mais ne cessent de s’aggraver, à peu près à la vitesse de l’empilement de la dette.

McClatchy.News publie un article ce 20 octobre 2013China voices frustration that its best investment choice remains U.S. debt») mettant en évidence une certaine dualité de l’éditorial du 13 octobre, et particulièrement le fait qu’on peut l’interpréter dans un sens différent de celui où il l’a été en général. Ainsi, plutôt que tenter de lancer l’idée que la Chine estime qu’il faut désaméricaniser le monde, et laisser suggérer l’hypothèse qu'elle-même pourrait envisager de mener une vaste opération de désaméricanisation dont elle serait l’inspiratrice et le leader, l’éditorial pourrait aussi bien exprimer un point de vue beaucoup plus réservé, sinon proche d’être contradictoire quant à ces actes éventuels à propos desquels on a fait beaucoup d’hypothèses. Il s’agirait alors d’exprimer plus simplement une profonde préoccupation de l’état actuel des USA, pour l’avenir et l’équilibre de la situation internationale, sans pour autant suggérer ou susciter une quelconque action puisqu’avec le constat implicite que de la stabilité et de l’équilibre des USA dépendraient pour une part non négligeable l’équilibre et la stabilité de la Chine.

«Despite the end last week of the 16-day U.S. government shutdown and the extension of the debt ceiling until next year, there are few signs that the situation has reassured China, the largest holder of American debt.

»With around $1.28 trillion in U.S. Treasury bonds already in its portfolio, China has little choice but to continue to buy U.S. debt, economist say. Government bonds from Japan and Europe are a less attractive investment, and finding other avenues to diversify the country’s huge foreign currency reserves would require major economic reforms and could result in unwanted volatility. Yet the partisan infighting that brought the U.S. government within hours of a default is increasing domestic pressure on Beijing to reduce its exposure to America. “The challenge for China is if they don’t own U.S. Treasuries, what would they buy instead?” said William Adams, an international economist for PNC Financial Services Group. “There are not a lot more attractive options out there.”

»China, with an economy still heavily dependent on exports, needs a robust American economy to continue to bolster its manufacturing sector and that makes it unlikely that China would stop buying America’s debt in the near future, said Arthur Kroeber, managing director of GaveKal Dragonomics, a global economic research firm in Beijing. That doesn’t mean, however, that China’s leadership isn’t worried that repeated fiscal crises – Washington must once again confront the issues that prompted the shutdown in just a little more than two months – could dampen America’s economic recovery and, in turn, hurt China. “There clearly is a level of concern,” Kroeber said. “From a strategic standpoint, the Chinese realize they live in a world where the rules are set by the U.S. They resent that on the one hand, but on the other hand, they benefit from that a lot.” [...]

»Some analysts said the [Xinhua] editorial served the purpose of bolstering China’s image as a reliable partner in contrast to the United States, whose president, Barack Obama, was forced to cancel trips to summits in Indonesia and Brunei due to the shutdown. But others said beyond image making, it also expressed the views of top leaders. “They started to really worry that the U.S. is weak,” said Shen Dingli, vice dean of international affairs at Shanghai’s Fudan University. “Not only that Obama is weak, but that the entire system is weak.”»

Plutôt que la première, nous serions plus inclinés à considérer la seconde interprétation et explication de l’éditorial ; c’est-à-dire qu’il faudrait prendre en compte l’inquiétude grandissante mais toujours impuissante de la Chine, plutôt que tabler sur la possibilité d’une tentative offensive de cette puissance de modifier l’ordre international de façon à marginaliser les USA au profit de son leadership. Cette attitude correspond d’ailleurs au simple constat réaliste des situations, et d’abord de l’historique de cette question. Cela fait déjà plusieurs années que la Chine a soulevé le problème du dollar d’une façon radicale (voir le 25 mars 2009), et, si des avancées parcellaires ont été réalisées pour remplacer le dollar, le problème structurel fondamental n’a même pas été abordé en tant que tel, sans parler de le résoudre bien entendu.

Comme on le lit rapidement dans les extraits ci-dessus, la Chine reste très mal placée pour aborder la question de l’“américanisation” du monde, du fait même qu’elle est de facto américanisée au niveau des structures financières et commerciales. Il est bien difficile, sur un plan général et structuré, d’envisager le problème de la “désaméricanisation” alors qu’on est soi-même “américanisé”, à moins d’un coup de force, d’une affirmation péremptoire suivi d’actes radicaux qui seraient nécessairement autant de risques, – et l’on sait que cette forme d’action est bien peu dans la manière des Chinois. Le problème existe à divers niveaux, bien entendu, et on l’a souvent évoqué. Principalement et, disons, d’un point de vue opérationnel si l’on est contraint d’envisager une méthode “douce”, c’est-à-dire négociée ou évolutive “dans l’apaisement”, ce problème réside d’abord dans le fait persistant que les USA, non seulement ne veulent pas envisager ce problème d’une réforme des structures, mais ne peuvent pas psychologiquement le faire. Nous évoquions déjà ce problème de la psychologie américaniste lors de cette même période de l’immédiat après-crise financière (voir le 27 mars 2009), c’est-à-dire cette psychologie absolument incapable de concevoir la culpabilité pour elle-même (inculpabilité) et la possibilité de la défaite pour elle-même (indéfectibilité). Plus encore, cette psychologie très spécifique de l’américanisme risquerait de susciter des réactions très brutales si, effectivement, des manœuvres générales étaient entamées pour une révision complète de la substance de l’ordre international devenu désordre pur, et ces manœuvres étant perçues du côté US comme de l’hostilité pure. Là encore, on peut supposer que les Chinois n’ont guère de penchant pour de tels risques de provoquer de telles réactions incontrôlées.

Monsieur Shen Dingli nous dit, à propos des dirigeants chinois considérant les USA, pour expliquer ce fameux éditorial du 13 octobre : «They started to really worry that the U.S. is weak. Not only that Obama is weak, but that the entire system is weak.» L’analyse nous paraît très fondée et justifiée, ce qui n’induit en rien la résolution du problème. La réaction, après un tel constat, pourrait être, – et elle pourrait même venir de quelque commentaire à la fois lucide, cynique et américaniste, – et ce serait : et alors ? A cette question abrupte et particulièrement troublante, les Chinois n’ont pas de réponse. Il semblerait bien, dans ce contexte de l’analyse générale, qu’on soit conduit à conclure que que la seule “issue” est bien de subir, éventuellement d’accompagner et d’accélérer la décadence, sinon l’effondrement du système de l’américanisme avant de pouvoir envisager des initiatives dont on pourrait espérer une issue constructive ; cela considéré, avec l'observation ajoutée, tout simplement considérable, que l’effondrement du système de l’américanisme suscitera lui-même de telles modifications de situations et de comportements qui nous sont inconnues aujourd’hui, qu’apparaîtront des possibilités qui nous sont à la fois impensables et inimaginables aujourd’hui.


Mis en ligne le 21 octobre 2013 à 13H15

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