Désordre et confusion – Gates, le JSF et son moteur, la réforme…

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Désordre et confusions, ces deux mots sont partout sollicités pour décrire les situations diverses de crise US. Le Pentagone avec tout ce qu’il nous réserve ne laisse pas sa part aux autres. Cette fois, ou cette fois encore, il s’agit du JSF, du deuxième moteur (F136) du programme, et au delà, de Gates (et de son n°2 Lynn) et de la réforme du Pentagone.

Dans le cas particulier du moteur F136, il s’agit d’une nouvelle publiée le 24 août 2009, par Colin Clark sur DoDBuzz.com. Clark signale, semble-t-il de très bonne source, un incident violent entre le secrétaire à la défens Robert Gates et le général Heinz, du Corps des Marines, qui dirige le JSF Program Office (JPO). Clark avait signalé, et nous nous en étions fait l’écho le 29 juillet 2009, que le général Heinz était très mécontent des performances et des coûts du moteur F135 de Pratt & Whitney développé pour le JSF. Heinz plaidait in fine pour poursuivre le développement du deuxième moteur concurrent (le General Electric/Rolls-Royce F136), au moins pour maintenir une pression concurrentielle sur Pratt, mais cela contre la position officielle du Pentagone absolument opposé à ce second moteur selon une politique forcenée d’économie dans un programme qui paraît allergique à cette idée même de restriction des coûts. (Le Congrès est, lui aussi comme Heinz, favorable à ce second moteur et a inscrit des fonds pour le F136 dans sa version législative du budget FY2010 du Pentagone. Pour l’instant, on ignore ce que sera la position de l’administration Obama sur ce point; il est certain que cette position du Congrès est un facteur important dans la colère de Gates à propos des déclarations de Heinz.)

«Rumor alert — we’ve got few details yet but a source with access to Joint Strike Fighter officials says that Marine Brig. Gen. David Heinz, PEO for the program, was recently called onto the carpet by Defense Secretary Gates. The message: stop talking about problems with the Pratt & Whitney engine and how second engine programs have proved themselves in the past. “They have hammered Heinz to say nothing more about this,” our source says.

»Gates and President Barack Obama have said repeatedly that the second engine program does not need to be funded and is a waste of money. While the White House has not issued the sort of hard veto threat issued about the F-22 the second engine is clearly becoming a focus for the Pentagon as it scrambles to find ways to save money in the face of ballooning deficits and persistent operational costs (see Afghanistan) and United Technologies lobbyists are working their hearts out on this on to stop GE and Rolls Royce from putting a dent into Pratt’s funding flow.

»And Gates was apparently very unhappy that Heinz pointed out that Pratt is having quality problems. And Heinz did not speak out against a second engine. In fact, while Heinz told me he was not making any argument for a second engine program, he also said the historic record on having a second contractor competing on price and technology spoke for itself.»

Tout d’un coup, on se retrouve dans une situation complètement renversée par rapport à ce que nous en connaissions en général jusqu’alors. Gates tient ici la position d’un développement maximal et le plus rapide possible du JSF, avec tous les risques qui vont avec, dans ce cas celui de tout miser sur un seul moteur qui a des difficultés de développement et des dépassements de coût. Au contraire, le JPO, jusqu’alors citadelle partisane de ce développement maximal avec tous les risques, est plutôt du côté de la prudence avec ce deuxième moteur. (Peut-être ce changement d’attitude est-il due en partie à la personnalité de Heinz, un général du Corps des Marines, qui est décrit comme beaucoup plus strict vis-à-vis des contractants civils et des conditions de développement du programme que ses prédécesseurs. D’autre part, il y a une attitude bureaucratique du JPO qui, devant l’attaque de la direction du Pentagone pour reprendre le contrôle du programme, retrouve, pour se couvrir, une attitude beaucoup plus exigeante vis-à-vis des contractants civils.)

L’affaire JSF se complique donc horriblement. D’une part, Gates et son cabinet (Office of Secretary of Defense – OSD) lancent une attaque pour reprendre le contrôle du programme en même temps qu’ils veulent en avoir une évaluation budgétaire réaliste (tout cela, avec l’intervention de l’équipe JET comme “juge d’instruction”, avec toutes les pressions possibles autour d’elle). D’autre part, le même Gates et OSD misent tout sur le JSF et veulent un développement ultra-rapide, avec tous les risques, en éliminant tous les coûts possibles, justement au risque de provoquer des accidents techniques et budgétaires du type de ceux que Heinz craint avec le moteur F135 de Pratt sans la concurrence du F136. A l’inverse, comme on l’a déjà noté, le JPO tend à retrouver une “vertu bureaucratique” puisqu’il est en train de perdre l’autonomie qu’il avait jusqu’ici, avec un nouveau chef qui deviendrait pointilleux et exigeant vis-à-vis des contractants (Lockheed Martin, Pratt, GE/Rolls-Royce…) – éventuellement en recommandant une nouvelle prudence, peut-être avec un certain ralentissement du programme, qui irait contre la politique d’OSD. (On ajoutera, en passant, combien cette position hostile de Robert Gates au moteur F136 où Rolls-Royce est impliqué à 50% doit satisfaire les Britanniques, dont on sait qu'ils “réfléchissent” à leur futur achat de JSF.) Si ce n’est du désordre et de la confusion, alimentés par de nouvelles contradictions et des intérêts divergents, et un entrelacs extraordinaire de positions différentes, parfois rencontrées chez le même acteur…

• Dans le même registre, on notera une violente attaque des “réformistes” (Winslow Wheeler et Pierre M. Sprey, dans un article du 24 août 2009 dans Mother Jones) contre le n°2 du Pentagone, William J. Lynn III, ancien lobbyiste de Raytheon, accusé de bloquer les tentatives de réforme de Gates et du Congrès. D’autres sources, proches de Lynn, le décrivent au contraire comme sincèrement attaché à la poussée réformiste, et il est bien difficile d’émettre un avis entre ces deux interprétations.

Un passage de l’article de Wheeler-Sprey montre d’ailleurs quel les réformistes eux-mêmes ne sont pas à l’abri des contradictions. Dans cet article, Wheeler-Sprey s’attaquent au JSF…

«There are other troubling signs of business as usual in Obama's DOD. When Gates very correctly canceled Lockheed's F-22, he simultaneously endorsed going ahead full speed with the F-35 Joint Strike Fighter, built by the same company. The F-35 is already overweight, sluggish, behind schedule, and growing in much the same manner as the F-22. But the plan approved by Gates and Lynn commits to more than 500 of them before the first definitive flight test report lands on the secretary's desk. The F-35 program exemplifies why the Pentagon cannot be trusted to reform itself. By endorsing a program so obviously laden with the same old problems, Gates is ensuring a rerun of the F-22 fiasco.»

Toutes ces remarques sont justes en théorie, mais elles écartent une considération tactique à laquelle les réformistes ne se sont pas attardés. En soutenant à fond la liquidation du F-22, il était évident qu’ils renforçaient objectivement le cas du F-35/JSF, puisqu’effectivement ces deux programmes avaient été placés de facto en concurrence. Il reste toujours aussi évident que l’un des moyens les plus sûrs de freiner le F-35 et de renforcer les chances d’obtenir une révision critique de ce programme aurait été de soutenir la poursuite d’une petite série de F-22.

Où qu’on se tourne, effectivement, désordre et confusion…


Mis en ligne le 25 août 2009 à 09H31