Democratia

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Democratia

Démocratie est fille, pas mère, seulement Fille, parthénos, comme la liberté, la révolution, la beauté, l'intelligence. Elle vient au monde en Attique vers 490 av JC. Vite adulte elle connaît son âge d’or avec son archonte, son stratège, son tyran, son philosophe, son souteneur, son symbole, son dieu humain : Périclès. Athéna est sa déesse, elle sort toute armée du cerveau de son père Zeus, pas de l’utérus de sa mère Mètis. Elle fut la bête noire d’Aristote et de Platon. Son héros tragique est Socrate. Peut-être à tort.

Elle nait de l’intuition d’une hétairie aristocratique qui n’a pas au départ les moyens de son ambition. Son intelligence et son « sans gène » consistera à les « emprunter » à l’Athènes commerçante impérialiste et esclavagiste. Elle pilla le monde égéen pour jouir d’un Parthénon avec dedans sa chryséléphantine et, à côté, sur la Pnyx, périodiquement, l’assemblée de six mille citoyens libres. Le démiurge de cette liberté est un politicien et gestionnaire averti, machiavel précoce, jouisseur assumé, époux de la prostituée Aspasie, aphrodisiaque, fille savante, sortie non de la mer et de « la blanche écume du membre divin d’Ouranos » mais, selon Homère, philommeidês, des testicules de son père. Elle assura le salut de l’âme de son amant, le confirma comme erôtikos anèr.

Le succès « démocratique » d’Athènes c’est un peu comme si après 1789, notre bourgeoisie au lieu de se goinfrer et d’exploiter le peuple de France avait laissé le pouvoir aux nobles et mis à leur disposition les moyens financiers nécessaires à enrichir progressivement, libérer, ennoblir, chaque citoyen, quitte à faire suer le burnous de tous les autres pays au-delà du mare nostrum. Ce qu’elle fit d’ailleurs mais pour se goinfrer plus, pas pour la fraternité avec le « Tiers Etat ».

L’aristocrate méprise la richesse, le bourgeois la désire de tout son cœur et ne la partage pas. C’est pourquoi il sera beaucoup plus difficile de lui faire rendre gorge qu’il ne le fût de faire les poches des aristocrates et du clergé d’Ancien Régime. La France a connu des clones du célèbre athénien. Joseph de Maistre fut un périclès aristo-clérical, Baudelaire en fut un anti-bourgeois résumant l’essentiel de sa belle formule Etre riche et aimer le travail que le Marx communiste n’eût pas désavouée s’il l’avait connue, lui l’intello précaire victorien, qui avait sur le poète le mérite d’être pauvre et de se tuer au travail. Le Périclès du 20e siècle n’est pas Blum, plutôt L.F Céline, face Janus d’un de Gaulle dominateur et sûr de lui. Pour le 21e, je ne vois pas grand monde. Tsipras s’y essaie. Jusqu’où sera-t-il capable d’aller? Là où d’autres sont incapables? Peut-être, mais pour éviter Chéronée (*) il faudra que la noble chouette revienne sur la drachme.

Les révolutions qui ont suivi 1789 dans le monde ont toutes été sanglantes et ne pouvaient être autrement car elles s’attaquaient aux bourgeois, ces Harpagon haineux des 19e, 20e, et 21e siècles. Oui, Lénine, le penseur, le philosophe, a voulu le bonheur de la Russie, pas le sien. Une femme haineuse précipita sa mort. Par ailleurs, les temps et les esprits n’étaient pas mûrs. Le Mir n’avait pas déployé toute sa substance et était entouré d’esclaves sans aucun capitaliste pour le « rentabiliser ». C’est pourquoi les aspirations démocratiques des Russes sont allées au chant et la prière à la gloire d’Hyperborée. Elles y vont toujours et pour longtemps encore.

Le communisme est aristocratique: De chacun selon son travail à chacun selon ses besoins, est sa formule. Et Dieu sait si un être qui consacre son temps à valoriser l’humain, à le penser, a de grands besoins spirituels et de tout petits besoins matériels. Que donc pour lui, le partage qui compte c’est celui de l’intelligence et du cœur qui rend à l’être le charis (**) dont tout homme est porteur. Les hommes qui à toutes les époques ont mérité le qualificatif de grand étaient communistes, savaient qu’il n’est rien de plus grand que de mettre ce qu’ils avaient et ce qu’ils n’avaient pas en commun avec d’autres. Cette richesse bon marché n’est pas à la portée de toutes les bourses, ni de toutes les intelligences. Gaia aurait aimé sa dimension économico-écologique. En Grèce pourtant oikos ne fit pas alliance avec logos. La Phusis se défendait toute seule, tandis qu’il fallait protéger les hommes des autres hommes. L'assemblée des citoyens pouvait d’un tesson ostraciser l’ambitieux, l’herbe folle de la polis. Le citoyen écrivait le nom du banni sur son bout de terre cuite et si la majorité était atteinte, on éloignait dix ans durant le quidam soupçonné d’hubris. Ces bonnes mœurs ne sont plus, hélas. Sarkozy n’eut pas le génie d’un Thémistocle pour valoir un ostrakon, Valls celui d’un Cimon, Hollande d’Ephialtes. Bannis, même sans qu’on leur inflige de sanction pour leur gestion calamiteuse, ils auraient un pouvoir de nuisance en faisant des conférences à cinquante mille euros à Séoul, à Mexico ou à Lomé pour y répandre leur piètre théorie libérale selon laquelle l’argent fait de l’argent, théorie qu’Aristote condamna il y a 2400 ans dans sa chrématistique. Thévenoud pourrait par contre être illico ostracisé en Lozère et sans obole, madame Lagarde et monsieur Tapie à l’ile d’Elbe. Dassault et quelques uns de son genos qui usent de valises pour passer les frontières, ne seraient pas suspects d’aspirer au pouvoir. Ils l’ont déjà.

Avant tout ce beau monde on avait eu de Wendell, Schneider, le comité des Forges, Enfantin. La thermodynamique se développant, un poète en pressenti les effets « le drapeau alla au paysage immonde, et notre patois étouffa le tambour. Aux centres s’alimenta la plus cynique prostitution, et les révoltes logiques aux pays poivrés furent massacrées au profit des plus monstrueuses exploitations industrielles ou militaires. Conscrits du bon vouloir, nous eûmes la philosophie féroce; ignorants pour la science, roués pour le confort; la crevaison pour le monde qui va. C'est la vraie marche. En avant, route ! » Ainsi, prophétisa le savant au fauteuil sombre.

Après les conquêtes des pays poivrés, ce sont les guerres effroyables, les fontaines de sang. A cause d’une Indochine et d’une Algérie coloniales, la paix en France ne revient pas. Entre 1958 et 1962 deux coups d’état « démocratiques » sont accomplis par le Général stratège. Le 13 mai 1958, un comité de salut public se lève dans Alger-la-Blanche. A sa tête un général, secondé d’un autre général. Derrière eux, Léon Delbecque, agent du fameux Stratège de la Boisserie... Le 15 mai, Léon fait crier à la foule « Vive de Gaulle » du haut de l’agora. Une peur se répand. Le 19 le Général déclare: Je suis prêt à assumer les pouvoirs de la République. Certains s'inquiètent, d’autres s’insurgent. Il rassure, parle d'union nationale tandis que par dessous, il prépare la subversion militaire, baptisée « Résurrection », au cas où les choses iraient dans un sens non « démocratique ». Le 29, Coty président appelle le « plus illustre des Français » qui répond: Me voilà! Sous pression, l’Assemblée l'investit le 1erjuin à une large majorité. Le Général se voit accordé par les députés les pleins pouvoirs pour six mois. Le coup d’éclat cacha le coup d’état qui, quatre ans plus tard, en 1962, en produit un autre en sens inverse. Explosions, attentats, mitraillages, plébiscites, les « Trente Glorieuses » finissent en chienlit. En 1969 a lieu le voyage à Sneem et à Cashel, terres d’Occident pointant dans l’Atlantique. La vieillesse est un naufrage et ruit oceano nox : « Nul ne sait ton sort, pauvre tête perdue! Tu roules à travers les sombres étendues, Heurtant de ton front mort des écueils inconnus ». A son retour d’Irlande le Général s’offre une dernière provocation: rendre visite à un espagnol, général comme lui. Il aurait déclaré regretter de ne pas avoir pu le rencontrer plus tôt du fait des circonstances internationales. Même s’il n'exerçait plus alors de charge publique, qu'un homme de son prestige aille conférer aimablement avec ce dictateur qui garrotait les opposants suscita la critique de ceux qui avaient dit l’homme de Colombey dictateur... Et ce fut harakiri. La nouvelle se répandit qu’un bal tragique avait eu lieu au village.

Avant cette mort la réconciliation franco-allemande avait fait les gros titres mais la philosophie du tyran était peu connue. Il s’agissait maintenant de toute urgence, de mettre le vers dans le fruit gaullien. Pour cela le banquier Pompidou fut recruté par Démocratie. Et donc, les périclès continuèrent de péricliter de ce côté du Rhin comme de l’autre. En 1933, elle avait proposé Hitler au peuple allemand et les Germains avaient accepté. Elle proposa juste après Adenauer. Le peuple accepta. A cette époque, Fassbinder maria une Maria Braun qui aurait pu s’appeler Eva. Elle devint une « Lili Marlen entrepreneuriale » d’un admirable cynisme ordolibéral. Willy Brandt apporta l’ostpolitik, Helmut Schmid les investissements et les emplois, Kohl la Slovénie et la Croatie. Tandis que Schröder s’essayait à un mollétisme pangermanique anglo-saxon friendly. Il fut deviné et suivi par Walkyrie Merkel que les fils de Goethe plébiscitèrent deux fois. Cette empâtée Aspasie du Nord, aidée du cerbère empêtré Schäuble, étendit son ombre maléfique sur la Grèce au nom d’un ordo libéralisme qui-n’est-pas-un-fascisme, tous les éditocrates vous le diront. La Ligue de Délos en Egée fit place aux satellites centraux ligotés autre fois par le vilain petit père des peuples: hongrois polonais, tchèques, slovaques, slovènes, roumains, lettons, estoniens, moldaves, roms… et « démocratie » continua. En avant, route!... D’un côté on éleva une coupole de verre pâle, de l’autre une Pnyx des Assassinés faite de stèles sombres sans nom dessus, érigées à la gloire d’un passé antérieur et peut-être d’un futur. Le principe était le même: piller les peuples en faisant croire qu’on « modernisait »; agresser, en faisant croire qu’on « proposait des partenariats », mentir au nom de la liberté comme au bon vieux temps de septembre 1939 au poste frontière de Gleiwitz. Revenir aux vieux démons, aux vieilles divinités cruelles qui avaient bu tant de sang était le but secret, le leitmotiv, le mot shoah en devint le mantra. Ce n’était ni la démocratie ni son contraire la tyrannie, seulement l’oligarchie immorale. De droite, elle s’acoquina avec le Secteur Droit ukrainien en vue d’une nouvelle guerre. Pour s’en vacciner, Trakl, poète, propose au « Voyageur du Temps » du pain et du vin...


Un soir d’hiver


Quand il neige à la fenêtre,

Que longuement sonne la cloche du soir,

Pour beaucoup la table est mise

Et la maison est bien pourvue.

Plus d’un qui est en voyage

Arrive à la porte sur d’obscurs sentiers.

Né de la sève fraîche de la terre,

Fleurit d’or l’arbre des grâces.

Voyageur, entre paisiblement ;

La douleur a rendu le seuil de pierre.

Là, resplendit en clarté pure

Sur la table, pain et vin.


A la fin du règne Schröder, on ne mangea pas de ce pain là, on lui préféra l’immonde pâte pré-cuite dans les usines polonaises reconverties. Elle voyagea de nuit par autoroute, et le matin, les Allemands pauvres, lointaines victimes du mourir pour Dantzig voulu par les maquereaux de l’époque, la mangèrent. La démocratie est une question de Goût, de « bon goût ».

Périclès eut son hétaïre, d’où ses Stratégies couronnées de succès. Merkel aussi eut du succès mais une stratégie faible et trop d’hétaïres mâles autour. Quand elle voyagea à Athènes pour constater de visu le travail de la troïka, on lui montra de jolies croix gammées et les thètes du coin lui firent une moustache. C’était prétentieux pour une christlich-demokratische Frau, fille de pasteur de surcroit, de se croire à la hauteur d’Aspasie. Cette Fille remarquable fut la « Princesse au petit pois » de l’isonomie, Périclès le « Prince Charmant » dont l’humanité reconnaissante eut la nostalgie en peignant plusieurs siècles après sa mort, notre Pancreator. La puissance du démos, democratia en grec, peut être dite féminine, elle n’est pas femelle.

Marc Gébelin


Notes

(*) Bataille de Chréronée en 338 av JC, où Philippe de Macédoine est vainqueur, fin des cités grecques, fin du regime démocratique d’Athènes.

(**) Charis, en grec, la séduction, la beauté. Cela a donné « charité » en français dont le sens est un peu différent, comme chacun sait.