De la guerre contre la Russie au rituel des Apaches

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De la guerre contre la Russie au rituel des Apaches

Le vote de la résolution “déclarant la guerre à la Russie” de la Chambre de Représentants des États-Unis (voir le 5 décembre 2014) n’en finit pas de faire des vagues dans les milieux hors-Système et antiSystème, alors que la chose est bien entendu saluée à l’intérieur du Système et dans la presse-Système par un silence respectueux et éventuellement gêné pour les plus lucides. Ce vote de 411 voix contre 10 entre dans le cadre de ce que nommerions une sorte de “robotisation de l’extrémisme” qui régit la plupart des attitudes antagonistes du Congrès ; certains pourraient croire qu’il s’agit d’une attitude réservée à tout ce qui est perçu comme ennemi d'Israël, d’ailleurs dans les circonstances les plus abracadabrantesques, mais l’on observe que cela vaut également pour la Russie, qui n’est absolument pas perçue dans ce cas comme un ennemi d’Israël, et par extension pour la politique des sanctions en général et dans toutes ses nombreuses extensions. Cette attitude apparaît de plus en plus comme un réflexe répandu dans le cadre du Système, dans le contexte qu’a établi la puissance pression psychologique des événements interprétées à la lumière de 9/11, effectivement depuis le 11 septembre 2001 ; il s’agit d’une mobilisation permanente, instituant des attitudes de type pavlovien, interdisant ou décourageant tout jugement indépendant ou autonome au profit d’une similitude réflexive. Ainsi peut-on parler de “robotisation de l’extrémisme” comme d’un réflexe-Système, beaucoup plus que d’un réflexe partisan, et c’est ainsi que nous préférons le considérer dans le cadre de ce commentaire.

L’ancien député de la Chambre Ron Paul a publié une attaque furieuse contre le comportement de la Chambre et contre ce texte de 16 pages (House Resolution/HR.758) qu’il considère comme un “des pires documents législatifs” jamais voté. Ron Paul détaille ce document, en fait la critique furieuse, dénonçant non seulement le fond mais la forme même de la chose, – c’est-à-dire sa nullité et sa vacuité, sa stupidité, son absence complète de logique et de fermeté intellectuelle, etc., – “16 pages de propagande de guerre [d’une bassesses telle] qu’elles auraient fait rougir [de honte] les neocons si les neocons étaient capables d’une telle réaction humaine”... (On trouve parmi les dix députés qui ont voté contre la résolution, contre leurs 411 collègues qui ont suivi, deux des extrêmement rares parlementaires US qu’on peut considérer comme antiSystème à l’intérieur du Système : le démocrate de Floride Alan Grayson, notamment pourfendeur de la Federal Reserve et des folies budgétaires qui ont suivi la crise de l’automne 2008 [voir le 26 juin 2009] et le républicain Justin Amash du Michigan, pourfendeur de la NSA et de ses diverses turpitudes [voir le 26 juillet 2013].)

L’attaque de ce document d’une primarité étonnante pour une institution (le Congrès) qui prétend à la pompe et à la hauteur des grandes institutions politiques, se trouve dans le texte que Paul a publié sur le site de son institut, et est repris notamment par ZeroHedge.com le 5 décembre 2014 (voir une traduction française sur le French-Saker, ce 6 décembre 2014). on retient ici le jugement général et la conclusion où Ron Paul met en évidence, au milieu de l’amas de sordides nullités intellectuelles, le seul élément sérieux capable de transformer cette farce en un précédent législatif catastrophique pouvant effectivement conduire à un conflit avec la Russie, – ce qui suffit d'ailleurs à faire de la farce une éventuelle tragédie.

«Yesterday the US House passed what I consider to be one of the worst pieces of legislation ever. H. Res. 758 was billed as a resolution “strongly condemning the actions of the Russian Federation, under President Vladimir Putin, which has carried out a policy of aggression against neighboring countries aimed at political and economic domination.” In fact, the bill was 16 pages of war propaganda that should have made even neocons blush, if they were capable of such a thing. [...]

»There are too many more ridiculous and horrific statements in this legislation to completely discuss. Probably the single most troubling part of this resolution, however, is the statement that “military intervention” by the Russian Federation in Ukraine “poses a threat to international peace and security.” Such terminology is not an accident: this phrase is the poison pill planted in this legislation from which future, more aggressive resolutions will follow. After all, if we accept that Russia is posing a “threat” to international peace how can such a thing be ignored? These are the slippery slopes that lead to war.»

• Là-dessus, un autre élément de critique radicale du “travail” de cette puissante institution qu’est le Congrès des Etats-Unis, est paru. Il concerne la loi budgétaire annuelle du Pentagone, ou National Defense Authorization Act (NDAA), qui détaille l’allocation de $585 milliards au département de la défense pour l’année fiscale FY2015, et qui vient d’être votée par la Chambre, comme on dirait “les yeux fermés”... L’enquête a été menée par CNS.News et Russia Today en a repris les principaux éléments le 6 décembre 2014. A une question d’un des enquêteurs (“Avez-vous le texte de loi), le député démocrate de Virginie Jim Moran répond : “Vous plaisantez ?!” ; et, plus loin, “je fais confiance à ma direction”, – laquelle, en la personne du Speaker de la Chambre Jim Boehner, n’a pas lu non plus ... Précision nécessaire, tout de même : le texte de la loi NDAA fait 1.648 pages et est communiquée aux parlementaires non spécialisés ni engagés dans sa rédaction 36 heures avant le vote.

«... “Of course not. Are you kidding?” Rep. Jim Moran (D-Virginia) said when asked by CNSNews if he had perused the entire bill, which was just posted online late Tuesday night before it was ultimately passed in by the House by a vote of 300-119 about 36 hours later. Moran said he did not plan to read the entire bill before voting because “I trust the leadership.” “Do you think [House Speaker John] Boehner and [Senate Majority Leader Harry] Reid have read it?” asked CNSNews. “I know their staff has,” Moran responded.

»When pressed directly about his knowledge of every aspect of the massive National Defense Authorization Act (NDAA) of 2015, House Speaker Boehner (R-Ohio) assured CNSNews he was aware of all aspects of the multi-faceted, complex bill. “I’ve been through almost every part of that bill, as it was being put together,” he said. “So, trust me, I am well aware of what’s in that bill.” House Minority Whip Steny Hoyer (D-Maryland) also indirectly acknowledged the near impossibility for anyone to read such a comprehensive bill. He told CNSNews he had not read the full text, but understands its contents. “The committees have gone over it, it’s been in conference, and I have an outline of exactly what it does,” he said. “So, I know what it does.”

»Upon taking control of the US House in 2010, Republicans maintained that they would allow the public to read full text of bills at least three days before they are voted on in the Lower Chamber. This promise materialized, in part, from a quote by then-House Speaker Nancy Pelosi in 2010, when her Democratic Party controlled the House and help shepherd the Affordable Care Act, or Obamacare, through Congress. “We have to pass the bill so that you can find out what’s in it, away from the fog of the controversy,” Pelosi infamously stated of the hot-button legislation. While she may have been alluding to what she believed to be the bill’s future popularity, following the rancor and oft-disputed claims – “death panels” – surrounding the debate over what the legislation meant for a sensitive issue like health care, the line was used as a political cudgel to help the GOP regain the House later that year.

»Yet, Republicans voted on the 2015 NDAA after the full bill had been available to read – for both the public and members of Congress – just 36 hours prior, as pointed out by InfoWars...»

Cette situation étrange et insensée à la fois, où les acteurs de cette institution-Système qu’est le Congrès admettent ne pouvoir contrôler la situation en ne lisant pas les textes qu’ils votent conduit à des événements inattendus et incontrôlés découlant d’interventions directes de centres de pouvoir, de lobbies, etc., dans les diverses dispositions de la loi. En effet, la NDAA est si colossale qu’elle touche à peu près tous les aspects de la vie publique aux USA, qui échappent de cette façon au contrôle d’un pouvoir public cohérent. Ainsi, comme un aspect de la colossale NDAA mis en évidence récemment et qui pourrait conduire à des développements imprévus, le cas de la communauté des descendants des Indiens Apaches ... «In addition, such massive, must-pass bills are chocked full of “pork,” or just about anything a House member, especially those with clout, can pass by House leadership and the various committees that have domain over the bill’s attributes. For example, as RT reported Wednesday, the 2015 NDAA includes a handful of land deals including one that gives a foreign mining company 2,400 acres of national forest in Arizona that is cherished ancestral homeland to Apache natives. “Since time immemorial people have gone there. That’s part of our ancestral homeland," Terry Rambler, chairman of the San Carlos Apache Tribe, told The Huffington Post. "We’ve had dancers in that area forever – sunrise dancers – and coming-of-age ceremonies for our young girls that become women. They’ll seal that off. They’ll seal us off from the acorn grounds, and the medicinal plants in the area, and our prayer areas.”»

... Mis-à-part les critiques évidentes contre ce fonctionnement, l’attitude des élus, leur corruption, etc., qui ne comprendrait par ailleurs l’impossibilité intellectuelle et opérationnelle d’absorber théoriquement en 36 heures, 1.648 pages totalement indigestes et criblées d’acronymes et d’expressions incompréhensibles que représentent la loi NDAA ? L’on comprend la réaction du parlementaire (“vous plaisantez ?”) et la nécessité où tous se trouvent de “faire confiance”, – dans cet ordre d’enchaînement décroissant, – qui à son leadership, qui à son staff, qui au Pentagone lui-même, qui à différentes sources aboutissant au Pentagone, etc., jusqu’à perdre complètement, en plus de l’ignorance du contenu, toute trace de l’origine de la composition de la loi et à conclure qu’il s’agit là d’une pure création du Système. Ce deuxième cas, – après la “robotisation de l’extrémisme”, on pourrait le nommer “bureaucratisation de l’ignorance”, – pourrait être perçu comme une deuxième pression exercée par le Système sur les institutions majeures du pouvoir du système de l’américanisme. On comprend le but de ces pressions, qui est de s’assurer par des contraintes radicales relevant de l’automatisme de la cohésion des “troupes”, des employés-Système comme sont considérés les élus. Mais l’effet est bien entendu lui-même radical, il est celui de la paralysie et de l’impuissance du pouvoir... Il l’est d’autant plus qu’entre ces deux extrêmes de la “robotisation de l’extrémisme” et de la “bureaucratisation de l’ignorance” circule la corruption systématique des élus par tous les centres de pouvoir et d’influence imaginables, décourageant toute tentative de rétablissement du fonctionnement normal du pouvoir.

Mais la beauté de la situation est que, s’il y a paralysie et impuissance, il n’y a pas pour autant blocage. C’est-à-dire que les décisions prises par robotisation et bureaucratisation, c’est-à-dire la suppression de tout esprit critique de ceux qui les prennent, c’est-à-dire les décisions-Système conformes à la politique-Système (hostilité sans aucun frein à la Russie, autogestion complète du Pentagone, etc.), – tout cela est en mode de fonctionnement courant et conduit en général à des catastrophes successives. La stupidité du Système étant une chose avérée, il ne faut ni s’en étonner, ni s’en plaindre, mais plutôt attendre la prochaine occasion. En effet, ces deux extrêmes figés qui paralysent les institutions au service du Système peuvent soudain être pris complètement par surprise par la précipitation des événements ; et l’on comprend, plus encore, que ces postures favorisent les surprises devant le cours d’événements qu’on a pourtant lancés soi-même, et par exemple le champ ouvert par la “déclaration de guerre à la Russie” nous semble particulièrement fécond à cet égard.

Mis en présence de faits inattendus parce qu’on ne voit rien venir, parce que, par l’action du Système justement, on se trouve paralysé et impuissants ; alors, ce qui était décrit plus haut comme un avantage du Système pour tenir ses troupes (“maintenir la cohésion de ses ‘troupes’, ses employés-Système, c’est-à-dire [par] la paralysie et l’impuissance du pouvoir...”) devient un très grave désavantage pour voir venir les possibilités d’incidents et les désamorcer ... La Chambre des Représentants robotisée et bureaucratisée, – pour garder l’exemple de cette assemblée la plus “activiste” du Congrès, – peut retrouver sa pleine conscience et se retrouver au bord de la révolte, sinon entraînée dans la révolte par ce qu’elle perçoit de l’effet des événements sur les électeurs, l’opinion publique, le système de la communication. Nous avons eu récemment l’exemple du vote sur une résolution du député Amash attaquant directement la NSA (voir à nouveau le 26 juillet 2013), ou encore l’activisme de la Chambre constituant un des facteurs fondamentaux pour obliger le président Obama à mettre en cause puis à abandonner son propre projet d’attaque de la Syrie en septembre 2013 (voir le 6 septembre 2013)... Dans ce dernier cas, on vit une Chambre qui, en un tournemain, se restructurait selon les lignes de certains de ses courants contestataires pour menacer l’administration d’un vote défavorable qui pouvait devenir une crise constitutionnelle grave (finalement, comme l’on sait, c’est Poutine qui sauva Obama en le sortant d’un dilemme très dangereux [voir le 12 septembre 2013]).

Le 6 septembre 2013, nous écrivions : «C’est évidemment l’alliance des libertariens/Tea Party de l’aile droite du parti républicains et des populistes progressistes de l’aile gauche du parti démocrate qui suscite cette opposition au projet d’attaque. Ainsi se dessine une restructuration complètement fondamentale, avec laquelle le Système tel qu’il est, et les USA tels qu’ils sont, ne pourront pas cohabiter, qui installe en fait une combinaison politique pour une impossibilité structurelle de poursuivre la vie politique-Système des USA selon la course suivie jusqu’ici.» Cette structuration n’existe plus lorsque la Chambre vote 411-10 pour “déclarer la guerre à la Russie”, parce que la robotisation entraînant paralysie et impuissance a repris le dessus. Mais ce qu’il faut admettre, c’est que cette structure n’existe plus temporairement, qu’elle existe d’une façon latente, qu’elle peut instantanément se reformer selon une surprise ou l’autre d’un des événements suscités par les précédents votes. Ainsi, d'une façon générale constate-t-on que cette situation qui paraît irrémédiablement verrouillée est en fait d'une extrême fragilité et d'une non moins extrême vulnérabilité en raison même de l'absurdité et de la rigidité des contraintes qui sont imposées.


Mis en ligne le 8 décembre 2014 à 04H27

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