Coup au but de la NSA au Brésil: le F-18 US

Bloc-Notes

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1264

Coup au but de la NSA au Brésil: le F-18 US

Les diverses révélations des frasques de la NSA vis-à-vis de l’Amérique Latine, – de l’invraisemblable aventure du président Morales aux révélations de Greenwald-Snowden sur l’espionnage du Brésil par la NSA, – rendent délicate et aléatoire la première tournée en tant que secrétaire d’État de John Kerry dans cette région. Parmi les étapes à suivre avec intérêt, on marque d’une pierre blanche quoique incertaine celle du Brésil.

Les USA y sont engagés dans une importante compétition de fourniture d’armement, avec une proposition de vente de 36 avions de combat Boeing F-18E/F Super Hornet. Une quasi-certitude est que la présidente Dilma Rousseff ne doit pas discuter, aujourd’hui, de ce sujet au cours de son entretien avec Kerry. C’est une mauvaise nouvelle pour les USA, qui tiennent beaucoup à ce marché, comme ils tiennent en général, bien entendu, à leurs ventes d’armement ; mais c’est une nouvelle assez logique, qui s’inscrit dans une dynamique en cours de développement, qu’on décrira comme un des développements secondaires (indirects) de la crise Snowden/NSA.

Russia Today nous informe le 13 août 2013, à propos de ce contentieux USA-Brésil, dans le cadre du contentieux USA-Amérique Latine... «Brazilian officials have expressed reluctance to purchasing dozens of military planes from the US after it was revealed that the NSA not only closely monitored Brazilian energy and military affairs, but also mined for commercial secrets. [...] “We cannot talk about the fighters now…You cannot give such a contract to a country that you do not trust,” the source said.»

Le cadre général (Brésil, Amérique Latine) est détestable, avec une cacophonie de défiances implicites sinon explicites, de politesses contraintes sinon de froideurs affichées, devant la langue de bois des envoyés US, dans un continent qui a appris à établir une distance hostile vis-à-vis de son ancien tuteur. La crise Snowden/NSA a permis une sorte d’exercice pratique, d’application opérationnelle de ce contexte, l'Amérique Latine ayant été, et de très loin, la zone politique la plus hostile et la plus ouvertement hostile aux USA. La démonstration continue..

»Kerry traveled to Colombia before making his way to Brazil in an attempt to repair relations with Latin American nations after NSA leaker Edward Snowden disclosed documents showing that the US spied on communications related to the military, political and terror issues, and energy policies...

»[I]t’s not just Brazil that was reportedly upset over the NSA revelations. Even Colombia – one of Washington’s closest allies in the region – was unhappy about the information revealed. In Bogota, Kerry aimed to play down the rift during a press conference. “Frankly, we work on a huge number of issues and this was in fact a very small part of the overall conversation and one in which I’m confident I was able to explain precisely that this has received the support of all three branches of our government,” Kerry told reporters. “It has been completely conducted under our Constitution and the law…The president has taken great steps in the last few days…to reassure people of the US intentions here.”

»US Vice President Joe Biden has visited Brazil and Colombia... [...] [he] said that stronger trade ties should usher in a new era of relations between Washington and Brasilia. How long that goodwill will last remains to be seen, according Carl Meacham, former Latin America adviser on the Senate Foreign Relations Committee and director of the Americas Program at the Center for Strategic and International Studies. “I think the tone of the visit will be a bit tense because of these issues raised by the surveillance [program] and I think Secretary Kerry will have to speak to that,” he told AP.»

Cette visite de Kerry, telle qu’elle se présente, révèle effectivement l’état chaotique des relations des USA avec ses voisins, ex-vassaux, et combien, en un sens, la crise Snowden/NSA tombe à propos pour être le fixateur et l’expression de cette situation. Le cas des avions de combat est caractéristique. De toutes les façons, il semble hors de question, aujourd’hui, dans la crise que traverse le Brésil, que ce pays puisse envisager de finaliser un contrat qui dure depuis au moins quatre ans dans sa phase finale, avec trois concurrents toujours en lice (le JAS-39 mi-suédois/mi-britannique et le Rafale français). L’on voit que cette perspective est repoussée par les circonstances au mieux à 2015 et sans doute au-delà. De toutes les façons, il semblait complètement inapproprié pour les USA de soulever cette question dans les conditions actuelles, mais la visite de Kerry y conduit évidemment, sinon y contraint, – mettant en évidence la finesse proverbiale de la politique US... Cela met d’ailleurs tout simplement en cause autant cette sorte de visite-marathon, explicitement faite pour réparer les pots cassés, et qui n’aboutit en général qu’à mettre en évidence le nombre et les dégâts des pots cassés. Les sujets de mécontentement, de désaccords, voire les simples gels de transactions et d’accords, sont tous mis au débit de cette crise Snowden/NSA et donc se “politisent” de facto en étant par le fait d’autant plus aisés à justifier. S’il n’avait pas été question des avions de combat (même pour dire qu’on n’en parle pas), s’il n’y avait pas eu la visite ostentatoire de Kerry pour “réparer” une situation de malaise dont la source et la cause principale continuent à fonctionner à plein régime (personne ne nous a annoncé que la NSA avait cessé d’écouter les communications de madame Rousseff), on n’aurait pas eu l’occasion d’annoncer que le Brésil n’envisage plus pour l’instant l’achat de F-18 US à cause de cette crise Snowden/NSA... Alors que, de toutes les façons, il semble assuré que le Brésil n’envisage pas d’acheter quoi que ce soit pour l’instant.

Il s’ensuit que la question des F-18 est désormais politisée. Elle l’est comme le fut la question de l’achat des Rafale, qui était super-favoris il y a quatre ans dans le cadre d’une politique qui semblait bâtie sur une stratégie cohérente, et qui ont été proprement dézingués par cette “stratégie cohérente” diluée dans l’absurde politique-Système de la France-Sarko. (Il s’agit de la politique iranienne de la France, et du sabotage, notamment par la France, de l’accord entre l’Iran d’une part, le Brésil et la Turquie d’autre part [voir le 24 mai 2011].) En la matière de leurs relations avec les pays tiers, les pays du bloc BAO se suivent et se ressemblent, – cela dit même s’il est assez triste pour qui a un peu de mémoire de placer la France dans le même troupeau.

Dans de telles conditions, le marché des avions de combat brésilien, qu’on décrivait comme exemplaire pour une stratégie générale d’alliance de certains pays d’autres zones avec les pays d’Amérique Latine, s’enfonce de plus en plus dans une stagnation qui pourrait paraître sans fin, que la situation intérieure du pays favorise évidemment à l’excès. Cette stagnation est aisément justifiée et explicitée par les conditions politiques, dans le chef du comportement et des orientations des pays du bloc BAO, et il nous paraît difficile dans ces conditions qu’une décision puisse aisément intervenir, même en 2015-2016 si les conditions actuelles se poursuivent (et tout indique qu’elle se poursuivront et même empireront, bien plus que le contraire). L’issue brillante de la chose, si les circonstances le permettaient, pourrait être que les Russes, qui n’ont pas pu parvenir au stade ultime de la compétition, relancent leur offre d’une façon habile, à la fois économiquement et politiquement. Un choix russe dans cet imbroglio aurait tout son sens politique et ferait mesurer aux pays du bloc BAO l’intelligence réelle de leur politique, – bien entendu s'ils y prennent garde, et s'ils consentent à faire quelque place à la logique et à la perception normale des réalités.


Mis en ligne le 13 août 2013 à 13H39