Comment piloter son drone, en short, en T-shirt et en ice cream

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Comment piloter son drone, en short, en T-shirt et en ice cream

Le Washington Post a obtenu un rapport de l’USAF sur les diverses circonstances, responsabilités, erreurs humaines, etc., d’accidents survenus à des drones et ayant entrainé en général la perte de l’engin. Il s’agit d’accidents se produisant en général à partir ou autour de terrains et d’aéroports civils, puisque le rapport semble couvrir l’activité des drones dans des zones non-combattantes, le plus souvent à partir d’aéroports civils des pays-hôtes, donc au cœur de l’activité normale d’un aéroport civil avec décollages et atterrissages d’avions transportant des passagers. On mesure à cette occasion l’expansion tentaculaire que suivent les activités “militaires” des forces US, qui interfèrent de plus en plus, non seulement dans les souverainetés diverses de nombreux pays, mais aussi dans les domaines civils les plus courants de ces pays.

Ce que montre essentiellement le rapport, c’est l’inattention, la maladresse, l’absence de conscience des conditions opérationnelles (y compris le fait d’opérer dans un contexte de transport civil), le laisser-aller sinon le laisser-faire des “pilotes” de drones, assis derrière leurs consoles. L’article commence par le récit d’un accident, à partir de l’aéroport international des Seychelles. Tout y est, l’opérateur qui vient à son job, en short et en T-shirt (fait chaud, aux Seychelles), qui se trompe de manettes ou qui oublie de baisser le train d’atterrissage (entre son ice cream et la manette, il a choisi naturellement l’ice cream, absolument prioritaire), etc.

«An inexperienced military contractor in shorts and a T-shirt, flying by remote control from a trailer at Seychelles International Airport, committed blunder after blunder in six minutes on April 4. He sent the unarmed MQ-9 Reaper drone off without permission from the control tower. A minute later, he yanked the wrong lever at his console, killing the engine without realizing why. As he tried to make an emergency landing, he forgot to put down the wheels. The $8.9 million aircraft belly-flopped on the runway, bounced and plunged into the tropical waters at the airport’s edge, according to a previously undisclosed Air Force accident investigation report. The drone crashed at a civilian airport that serves a half-million passengers a year, most of them sun-seeking tourists. No one was hurt, but it was the second Reaper accident in five months — under eerily similar circumstances.

»“I will be blunt here. I said, ‘I can’t believe this is happening again,’ ” an Air Force official at the scene told investigators afterward. He added: “You go, ‘How stupid are you?’ ”»

D’une façon générale, le rapport montre de multiples cas où les opérateurs commettent erreurs sur erreurs. Il est manifeste que l’inexpérience, le piètre niveau de compétence, etc., jouent un rôle majeur ; mais également, l’isolement de l’opérateur, son absence complète de perception des conditions réelles de vol et des conditions météorologiques, bref de la réalité de l’opération qu’il conduit.

« Another close call came March 15, 2011. An armed Predator came in too steep and fast for landing, overshot the runway and slammed into a fence. Investigators attributed that accident to a melted throttle part, but they also blamed pilot error. They said the remote-control pilot was “inattentive” and “confused” during the landing. Because he was isolated inside a ground-control station, the report added, he did not notice the wind rush or high engine pitch that might have warned a pilot in a manned aircraft to slow down.»

Un autre aspect que le rapport met en évidence, c’est l’appel contractuel fait par l’USAF à des compagnies privées, pour réaliser, “clef en main” si l’on peut dire, les diverses missions conçues par l'USAF, grâce au brio de leurs opérateurs et de leurs ice cream. C’est le cas, notamment pour les opérations déjà mentionnées à partir des Seychelles, d’une société créée en 2006 en Floride, la Merlin RAMCo, qui reste injoignable par téléphone ou pour n’importe quelle sorte d’interview. Les interventions de Merlin RAMCo, dans le cadre d’une campagne générale nommée Big Safari et impliquant des forces spéciales, sont contrôlées de très loin, et dans des conditions étonnantes de laxisme et d’absence de coordination…

«The contractor was subjected to little direct oversight in the Seychelles, records show. The Air Force posted two officials on the islands to coordinate flights and serve as a liaison with the contractor, but neither had experience operating drones. Underscoring the secrecy of the operation, neither official was allowed to have a copy of Big Safari’s contract with Merlin RAMCo. “You can imagine it’s awful hard to hold somebody accountable for compliance with a contract that you physically can’t see,” one of the Air Force representatives told investigators. The other liaison officer told investigators that the whole idea of outsourcing drone flights made him uneasy. “In hindsight, it appears it may not have been the best way to conduct business,” he said.»

Dans ce cadre des contrats entre l’USAF et Merlin RAMCo, la qualité du personnel affecté aux opérations de drones est encore pire que le personnel militaire normal, – lui-même, bien loin de la qualité d’un pilote normal d’avions de combat. La description de certains accidents nous amène au niveau des amateurs de jeux vidéo ou à celui des débutants dans le sport déjà assez vieux mais fort honorable du maniement à distance de maquettes téléguidées qui éclaira nos jeunesses diverses.

«…Just days after the aircraft resumed flying, on Dec. 13, one of the Reapers ran into trouble. Two minutes after takeoff, the engine failed. The pilot was unable to restart it and tried to execute an emergency landing. But the aircraft, which was not armed at the time, descended too quickly and landed too far down the runway. It bounced past a perimeter road, over a rock breakwater and sank about 200 feet offshore. Investigators blamed the crash on an electrical short and concluded that the pilot made things worse by botching the landing… […] A few days after resuming operations, a different Merlin RAMCo pilot, with limited experience in takeoffs and landings, erred in every way imaginable during the brief flight before crashing the Reaper. Contractors worked for days to fish all the parts out of the water.»

Le Washington Post précise qu’ayant contacté un bureau de relations publiques de l’USAF, il a reçu des réponses rassurantes à propos du niveau des accidents de drones. Aucun chiffre n’est donné, mais la précision que le nombre d’incidents de drones à ce niveau de développement équivaut à celui des F-16 au même niveau de développement. Comme toujours, il s’agit du langage sophistique, sinon sophistiqué, et dans tous les cas habituel, des services officiels de communication. La première différence par rapport à cette réponse qui est donnée, est simplement que le F-16 a rencontré, comme tout avion en début de développement et d’implications opérationnelles, un nombre conséquent d’incidents mécaniques, mais que la plupart ont été contrôlés part les pilotes, avec l’avion ramené à bon port sans autre dommage et les incidents décortiqués pour permettre des modifications ou mises au point de routine résolvant le problème. Dans le cas des drones, avec les conditions d’emploi et la qualité du personnel qui est affecté, chaque incident implique en général la perte de l’engin ; l’extraordinaire faiblesse, pour ne pas dire l’indifférence complète des contractants pour la logistique et l’entretien des engins, avec un contrôle quasi-nul de l’USAF, fait le reste… Aucun enseignement n’est tiré de l’incident par manque de qualification, de coordination, de savoir-faire, etc., tout cela constituant évidemment les caractéristiques fondamentaux de l’opérationnalité des flottes de drones telles qu’elles nous sont décrites en action.

Même s’il s’agit d’opérations en dehors des zones de guerre, on comprend bien, à la lumière des conditions générales d’évolution dans les sociétés privées dites “de sécurité” qui prolifèrent, qui recherchent des profits rapides et faciles, qu’une telle tendance (l’appel aux contractants privés, la baisse de qualité du personnel par suite des conditions de recrutement très à vil prix, etc.) ira en s’amplifiant ; de même pour la transformation des “zones de paix” en “zones de guerre”, conformément à la boulimie du Système, section-Pentagone. («In a Nov. 20 speech in Washington, Defense Secretary Leon E. Panetta said the Pentagon would expand its use of the unmanned attack planes “outside declared combat zones” as it pursues al-Qaeda supporters in Africa and the Middle East. “These enhanced capabilities will enable us to be more flexible and agile against a threat that has grown more diffuse,” Panetta said.»)

On se trouve là dans une situation très caractéristique, très rapidement évolutive, de dégradation générale et également très rapide des conditions d’emploi des drones. La tendance semble à la fois inarrêtable et irréversible, tant elle est favorisée par les conditions budgétaires, opérationnelles, etc., et, d’une façon générale par les automatismes-Système qui s’installent et se développent avec une extraordinaire rapidité, comme une pandémie de comportement et d’inversion de la technicité caractéristique de l’évolution de nos systèmes d’organisation humaine. Le concept général revient à ceci : la technologie peut tout et doit pouvoir tout faire, et l’intérêt apporté à la qualité du personnel, aux conditions d’emploi, etc. suit la même évolution dans le sens contraire, marqué essentiellement par l’obsession de la rentabilité qui affecte aujourd’hui, ou infecte les sociétés essentiellement des pays du bloc BAO, et certes les USA en premier. Le “facteur humain” est réduit à son expression la plus primaire, les qualités professionnelles, avec l’état d’esprit du sens des responsabilités transformé en une irresponsabilité chronique, étant réduites à mesure.

Il nous paraît assuré que l'implication exponentielle des organes de sécurité du bloc BAO pour les drones, avec leurs “qualité” d’impunité (correspondant au développement de comportements humains tels que la lâcheté et l’irresponsabilité) et leur efficacité affirmée en théorie et jamais confrontée à la réalité, va s’accompagner et s'accompagne d'ores et déjà, également d’une façon exponentielle, d’une dégradation extrême du personnel de service. L’effet net est autant l’anarchie de l’emploi que l’illégalité et l’inefficacité des effets. Quant aux conséquences sur les effectifs des drones, il est bien plus grand, bien entendu, qu’il n’est dit. Certaines estimations des pertes des drones dans des conditions d’opération normale, des suites aussi bien des incidents, accidents, feu ennemi, etc., faites par des sources indépendantes (industrielles) européennes, chiffrent à 4 à 5 fois plus que ce que seraient les pertes dans le cadre de mêmes missions effectuées par des avions pilotés. (Ces pertes seront évidemment de plus en plus coûteuses. Les coûts des drones, US essentiellement avec les habitudes d’absence totale de contrôle des coûts, vont entre $5-$10 millions pour les moins puissants, jusqu’à autour de $100 millions pour les plus puissants, type GlobalHawk. Bien entendu, ces coûts sont en situation de constante accélération.) Ces mêmes sources estiment les pertes actuelles des drones, toujours dues à ces diverses causes, à au moins trois à quatre fois ce qu’elles étaient durant la guerre du Vietnam, le premier conflit où des drones (alors nommés RPV) furent utilisés, accomplissant entre 3.400 mission (voir le 23 décembre 2011  : «…[A]vec 4% de pertes, dont 60% de ces pertes dues à des incidents techniques, – taux éminemment acceptable pour des missions dans les cieux si hostiles et super-défendus du Nord-Vietnam, ce qui montre combien ces drones-là étaient des combattants très satisfaisants»).


Mis en ligne le 3 décembre 2012 à 05H22