Brown et Sarko font article commun contre les banques (et la City par conséquent)

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Surprise, surprise. Brown qui battait froid Sarko, ou semblait le faire il y a quelques jours après l’intervention de Sarko contre la City, co-signe un article dans le Wall Street Journal avec le président français. L’article demande un “nouveau contrat” (“a new compact”) entre les banquiers et la société en générall, ce qui signifie que les banquiers devraient être soumis à un impôt spécial sur leurs bonus, qu’on pourrait auss bien désigner comme un “impôt de solidarité”. Les Britanniques ont déjà commencé dans leur nouveau budget.

Le Daily Telegraph de ce 10 décembre 2009 consacre un article à l’article Brown-Sarko.

«The Prime Minister and the French president have co-signed an article for the Wall Street Journal setting out their shared ambition of a new '“compact” between the banks and society. It included an appeal to fellow world leaders to impose a one-off tax on bankers' bonuses, as Chancellor Alistair Darling announced for the UK in yesterday's Pre-Budget Report. The joint article came as Mr Brown and Mr Sarkozy prepared to meet in Brussels ahead of a European Council gathering.»

Par conséquent, pas de brouille entre Brown et Sarko, dont on nous dit par ailleurs qu’ils vont se voir en tête à tête avant le prochain sommet européen – bien au contraire, une croisade commune. Cela conduit à se demander si l’ennemi de la City ne se nomme pas Brown aussi bien que Sarko (avec Barnier mollement installé sur les épaules du président français). Le nouveau budget britannique, avec un déficit abuyssal de £173 milliards, prévoit notamment des “super-taxes” de 50% sur tous les bonus des banquiers dépassant £25.000. (A côté de cela, les classes moyennes et les petits revenus sont également touchés, ce qui vaut le déchaînement de la presse, pro- et anti-City, contre ce budget d’Alistair Darling.)

On comprend donc que la City est en émoi. Elle dit ou fait dire que, si les choses continuent comme on les voit évoluer, les gens et l’argent de City vont émigrer sous d’autres cieux plus cléments (Doubaï, par exemple). La cause de cette grave préoccupation ne se nomme donc pas Sarkozy mais Gordon Brown (ou, disons, son chancelier de l’Echiquier, Alistair Darling) et son super-impôt sur les bonus…

La colère des banquiers de la City s’est exprimée il y a trois jours, à l’écho des intentions du Chancelier de l’Echiquier de taxer spécialement les bonus des banquiers, par la voix de l’un des plus fameux d’entre eux, l’Américain-Britannique (citoyen US naturalisé) Bob Diamond, patron de Barclay (salaires + divers bonus de £40 millions par an). The Independent du 9 décembre 2009 s’en était fait l’écho.

«The president of Britain's second largest bank has issued a veiled threat that the country's elite financiers could join a mass exodus from the City of London if the Government pushes ahead with a bonus supertax today. […] Bob Diamond, the president of Barclays and head of investment bank Barclays Capital, said businesses and individuals could desert the City if new taxes were imposed. “Both financial capital and human capital are extremely mobile,“ he said.

«His comments came as the City of London Corporation - the Square Mile's local government – said financial services provided 12 per cent of Britain's tax take. It warned that Britain would find it all but impossible to pay back its gargantuan budget deficit without the money. Speaking at a conference in Sussex, Mr Diamond warned the Government could do real damage to Britain's financial sector in an attempt to get cheap headlines. “In terms of compensation it's great politics and it's great media. We don't feel that [a tax on bankers' bonuses] is supported by the principles that were adopted [by the G20]. It's very important to recognise the importance that major financial centres are balanced in terms of regulatory efforts around capital, around accounting, and around compensation. I support strongly New York and London as financial centres and we all have an interest in keeping them both strong. […] (…)

»David Buik, chief strategist at money broker BGC Partners, said: “I was beginning to think I was a lone voice in defending the City. Thank goodness there is a man of Mr Diamond's stature who understands the damage that could be caused if this tax is introduced.” However, the Tory leader David Cameron appeared to give some backing to the tax when asked for his views at the same conference attended by Mr Diamond. He said: “In exceptional times there have been exceptional taxes.” He went on to mention Lord Howe's windfall tax on the banks in 1981 and said: “It is not necessarily true that all windfall taxes will lead to damage.”»

Cette série d’événements n’est pas indifférente. Elle marque une rupture pour la phase présente en train de s’accomplir entre les directions politiques et les banques, devant des perspectives de plus en plus pressantes de la possibilité d’une deuxième crise majeure.

Notre commentaire

@PAYANT Il est dit, en effet, que Gordon Brown est particulièrement pessimiste en privé. La situation du Royaume-Uni est catastrophique et fait s’interroger sur la viabilité de cet Etat en état de quasi-faillite, avec des bruits et des analyses d’un choc majeur de ce côté en 2010. Cette vision pessimiste, voire catastrophique et pressante, s’étend au reste du globe, bien entendu, et commence à être partagée par certains dirigeants (dont Sarko). Cette fois, la crainte d’une nouvelle crise a une forte dimension sociale et “insurrectionnelle”, conduisant désormais à des analyses beaucoup plus politiques que financières – c’est le cas pour nous. La question, assez simple en l’occurrence, concerne les réactions des populations exaspérées si une deuxième crise a lieu. Des scénarios de violence commencent à être envisagés. La nouvelle selon laquelle les dirigeants de Goldman Sachs se déplacent désormais avec des gardes du corps, comme autant de vulgaires oligarques russes, est un symbole qui illustre ce climat.

Dans cette occurrence, les thèses des “marionnettes”, des complicités, des arrangements et complots divers entre le pouvoir financier et le pouvoir civil, perdent de plus en plus de leur substance. On devrait commencer, pour ceux qui les font, à envisager une révision de ces hypothèse. C’est contre une quasi-révolte de la City, avec l’arrogance qu’on connaît à ce milieu, que Darling présente son projet de super-taxe sur les bonus, et l’intervention de Sarko, même si elle a déplu à Londres dans son volet européen (Barnier, Commissaire “français”, à un poste clef), rencontre en réalité un sentiment grandissant dans les directions politiques. Il serait temps de considérer l’hypothèse que plus personne ne contrôle plus rien, ce qui est notre hypothèse d’une “double crise eschatologique” – une crise eschatologique de certains éléments incontrôlables hors-système comme la crise climatique, et une crise eschatologique du système lui-même, qui est absolument hors de tout contrôle et répond ainsi à la définition opérationnelle d’une “crise eschatologique”. Dans ce cas, les solidarités se resserrent et se fractionnent entre les groupes et les centres de pouvoir; chaque catégorie de l’establishment lutte pour ce qui est de plus en plus perçu comme sa survie, quels que soient les engagement courants pour les temps habituels, d’opportunité et d’idéologie, des uns et des autres. La super-taxe des bonus des banquiers, quelle que soit son importance réelle, est une mesure dans tous les cas fortement symbolique que les banquiers de la City ne sont pas loin de considérer comme une déclaration de guerre du gouvernement, et même de la classe politique puisque les tories soutiennent l’idée, comme l’a dit Cameron (“dans des temps exceptionnels, il y a des impôts exceptionnels”). L’intervention de Diamond le montre à suffisance.

De son côté et à cette lumière, l’intervention initiale de Sarkozy contre la City apparaît moins comme une incongruité et une vaine manifestation dialectique, même si la forme peut prêter à cette interprétation, qu’un signe avant-coureur d’une tendance générale. Le fait que Brown et Sarko ait publié leur article dans le Wall Street Journal est un autre signe: leur objectif, c’est clairement Washington et Wall Street et une invitation pressante faite à Obama de rejoindre le mouvement. Cela se fait au moment où, effectivement, le climat dans la direction US pourrait évoluer également, s’il ne le fait déjà, dans le sens d’une inquiétude grandissante, autant des possibilités d’un nouveau choc que des inquiétudes vis-à-vis du comportement dans ce cas de la population exaspérée par le comportement des banquiers et l’attitude, jusqu’ici, des directions politiques. Le sondage qui montre que le Tea Party est aujourd’hui le deuxième “parti” aux USA, avant le parti républicain, n’a pas du échapper à Obama.


Mis en ligne le 10 décembre 2009 à 08H18