Boutiquiers négociant autour de l’incendie du Titanic en cours de naufrage

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Tout semble se dérouler “selon le plan prévu”, sans surprise excessive, selon les us et coutumes de l’“Etat de droit” et du système dit “check & balance”. Comme tout “brave petit boutiquier de l’Empire“, selon l’aimable mot d’un de nos lecteurs, nous nous attardons moins aux ors et aux pompes des inaugurations, moins aux caractéristiques ethnico-culturelles des uns et des autres, moins aux montages fulgurants et postmodernes, et très humains, de notre passé et de notre avenir, pour plus et mieux nous attacher aux comptes sonnants et trébuchants. C’est ainsi que raisonne l’Empire, dito le Titanic postmoderne: comme un tiroir-caisse.

Ainsi le malheureux président Obama se trouve-t-il engagé dans des négociations de “boutiquier de l’Empire” avec la minorité républicaine du Sénat, dont il dépend considérablement parce que, bien que minoritaire, cette minorité ne l’est pas assez pour ne pas disposer des artifices de procédure permettant de retarder notablement le vote du “plan de stimulation” (“stimulus plan”). Il faut donc s’entendre avec elle. La scène washingtonienne est un peu comme celle de ce pompier négociant syndicalement avec son chef hiérarchique dont il loue l’entregent une augmentation horaire de 33,33 cents avant d’accepter d’intervenir, tout cela devant le spectacle imposant du château impérial embrasé, craquant de toutes parts sous l’assaut des flammes déchaînées, et dont on découvre qu’il est par ailleurs baptisé Titanic, pour conserver l’option du naufrage. Comme écrit Julian Glover dans le Guardian aujourd’hui, mais lui à propos de Davos, mais cette image qui a sa place à propos de Washington discutant la sauvegarde du Titanic, qui coule ou qui brûle c’est selon: «What no one wants to admit is that perhaps there is no solution – only decline.»

Un article du Times décrivait, hier, la victoire à la Pyrrhus, à la Chambre, du président Obama, en laissant prévoir de difficiles lendemains (au Sénat): «President Obama’s $825 billion (£575 billion) plan to revive America’s economy passed the House of Representatives last night — but in the face of unexpectedly fierce Republican opposition and partisan rancour.»

Ce 30 janvier, Reuters publie une analyse de la situation, d’où il ressort que le président et le Sénat (les minoritaires républicains) ont accepté de chercher un compromis. Cela va prendre un certain temps et l’issue n’est pas assurée. Des concessions vont être faites aux républicains. En attendant, on vous annonce la venue possible d’une facture de $4.000 milliards ($4 trillions, si vous préférez), là-bas, à l’horizon rapproché…

«The Senate is expected to start considering the massive bill next week, following passage on Wednesday in the House of Representatives of a slightly smaller bill, without the support of a single Republican.

»Vice President Joe Biden, in a possible bow to Republicans, said there could be changes in some of the bill's spending and tax provisions once House and Senate negotiators meet to work out a compromise bill next month.

»If the U.S. fiscal picture was not bad enough, with budget deficits running rampant, there was yet another dark cloud on the horizon. Sen. Charles Schumer, a senior member of the Senate Banking Committee, said that if Washington undertakes an effort to buy up bad assets from struggling U.S. banks, it could cost taxpayers up to $4 trillion.»

Le site The Progress Report met en ligne, le 29 janvier, un excellent dossier sur l’affaire, avec une multitude de liens d’accès, sous le titre: «The Return To Bushonomics», – c’est-à-dire: retour à la politique qui a mené à la catastrophe, pour nous sauver de la catastrophe. On y trouve cette citation magnifique, nous disant que les républicains sont enthousiastes à l’idée de coopérer avec ce magnifique président, pourvu que le magnifique président fasse ce qu’ils veulent: «Afraid of crossing Obama's high approval ratings, conservatives are claiming that they are enthusiastic to work with him. “We've made it clear that we will continue to work with the president to develop a plan that will work,” said House Minority Leader John Boehner (R-OH), who led his caucus in opposition to Obama's plan. “We just don't think it's going to work.” Instead, Boehner and his colleagues pushed for a return to Bushonomics.»

De toutes les façons, nous pouvons être assurés d’une chose: le “plan de stimulation” comprendra, tout le monde est d’accord, une renaissance du Buy American Act, impliquant évidemment un retour vers le protectionnisme, – comme si le protectionnisme US n’avait jamais cessé d’exister, – mais on vous assure qu’il sera encore mieux verrouillé, à la satisfaction des amis britanniques et des experts de la Commission européenne. (Une vidéo de Reuters vous explique la chose aujourd’hui: « The stimulus package making its way through Capitol Hill includes a “Buy American” provision for using US steel and iron…».)

Voilà donc où nous en sommes. Pas de surprise, le naufrage se poursuit “selon le plan prévu”. Il est probable qu’il y a quelque chose de rassurant, au milieu de l’incendie universel, à se replonger presque avec délice dans les us et coutumes de la République devenue Empire. Les psychologies des boutiquiers sont délicates. Pendant ce temps, l’économie va comme vous imaginez qu’elle va, au galop le long de la pente du précipice.

Brave président Obama. Nul ne doute, plus que jamais, de ses qualités, et l’on peut imaginer la rage qui doit parfois l’habiter, s’il est bien celui que l’on imagine parfois qu’il est. Obama a choisi la voie classique, qui est celle du rassemblement national, de l’appel à l’union devant le danger commun, mais cet appel lancé à l’establishment. C’est justement ce qu’avait évité Roosevelt qui, lui, en avait appelé au peuple et avait imposé sa main de fer à l’establishment après que celui-ci ait été conduit dans les affres effrénées de la panique, devant le spectacle de sa propre décomposition. Il est bien possible qu’à faire ce choix habile et raisonnable, compte tenu du décor, des forces en présence, des habitudes du système, compte tenu de sa propre conception, – il est bien possible qu’Obama se retrouve dans une impasse dont tout le monde s’entendra à lui faire porter la responsabilité. Il est possible qu’Obama, à quelques temps d’aujourd’hui et comprenant que décidément tout est perdu si rien n’est fait qui sorte de l’ordinaire du système en décomposition, qu’Obama réalise qu’il se trouve devant un choix nécessaire, c’est-à-dire un choix radical. C’est le constat que nous faisons, qu’aujourd’hui plus que jamais l’hypothèseAmerican Gorbatchev” est à considérer, à garder en réserve comme quelque chose de très possible.


Mis en ligne le 30 janvier 2009 à 1205