Après l’élargissement (Inde, Pakistan) de l’OCS, panique US

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Après l’élargissement (Inde, Pakistan) de l’OCS, panique US

Avec notre commentateur-ex-diplomate-indien M.K. Bhadrakumar, c’est toujours “selon”... Un jour où il ne peut cacher une espèce de fascination pour la puissance US qu’il juge, en bon diplomate, génératrice d’ordre ; un jour (les bons jours, certes) où il retrouve sa verve railleuse et antiaméricaniste devant les énormités américanistes. L’article du 21 juillet 2015 est du bon cru, celui des “bons jours”, où M.K. se paye le scalp des US, dans leurs habituelles entreprises de propagande extrêmement grossières, chargées jusqu’à la gueule de bels et bons dollars...

Mais le cas est intéressant pour lui-même, par ailleurs, et Bhadrakumar nous apporte là-dessus une lumière bienvenue. Il décrit une “offensive” de propagande, ce qu’il qualifie de “puissant (plutôt que “magistral”) complot de propagande” («a masterly propaganda ploy»). Bien, les stratèges américanistes en communication viennent de découvrir que l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghai) a décidé de s’élargir en incorporant dans ses rangs l’Inde et le Pakistan ; on annonce la chose depuis bien deux ans, mais bon, ils la réalisent aujourd’hui, selon la rapidité courante de leurs jugements qu’on mesure à l’intérêt qu’ils portent à tout ce qui n’est pas les USA, et les voilà en mode-panique. Ils montent aussitôt leur «masterly propaganda ploy», qui consiste à tenter de regrouper les “petits pays” membres de l’OCS, – quatre républiques-stan de l’Asie Centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan), – pour qu’ils récriminent contre l’entrée de l’Inde et du Pakistan dans l’OCS, au prétexte que cet acte établit un déséquilibre de puissance (quatre grands pays, puissances nucléaires, etc., et les quatre “petits”-stan), voire même qu’ils bloquent le processus... Ce rassemblement se fait au niveau de la communication, et Bhadrakumar décrit un séminaire précipitamment rassemblé sous l’égide de RFE/RL, le 17 juillet 2015...

«The American participants claimed that Uzbek president Islam Karimov was manifestly unhappy about the SCO decision to induct India and Pakistan as members and conveyed his misgivings openly, and “other Central Asian presidents avoided making such comments, but that must have been on their minds also.” An American pundit pontificated, “”now with the addition of India and Pakistan I think there’s a fear among some of the Central Asian countries that some of their voice and some of their decision-making will also be lost.”

»Whereupon, another pundit promptly chipped in, “With India and Pakistan, now there’s four huge countries, nuclear powers, and four relatively poor and small and not-so-powerful Central Asian countries, so I think that there’s legitimate concern that [Central Asian members] would be outweighed in SCO decision-making.” The RFERL adds, “It is easy to see why the Central Asians could be worried.” It estimated that it is the Kremlin which is getting India and Pakistan on board as fellow members in the SCO and “the timing was good for Russia.” Indeed, it saw a congruence of interests between Moscow and Beijing on this issue, too... [...]

»Even more fascinating is the commentary in the website of Eurasianet, a “sister publication” of the RFERL. It says Karimov actually sounded a word of caution on the SCO’s expansion, saying it “would not only change the political map, but would change the balance of power. This is not a simple issue, and it needs to be discussed.” It speculated wistfully that considering that SCO chairmanship has now passed to Tashkent, there might still be a miss between the cup and the lip for India...

»And one official think tank scholar in Astana suggested that the planned expansion could be blocked. “De jure, the process has yet to be fully clarified. It is quite possible that an existing SCO member could block their entry,” said Sanat Kushkumbayev, deputy director of the Kazakhstan Institute for Strategic Studies under the President of the Republic of Kazakhstan, in an interview with the website Russia Direct. “Karimov noted with good reason that the entry of nuclear India and Pakistan to the SCO could change the balance of power inside the organization and internationally. There are many unresolved issues between Delhi and Islamabad, and how this will square with the SCO’s declared spirit of cooperation is unclear.”»

MK Bhadrakumar présente ce cas spécifique RFE/RL comme le signe incontestable de cette panique qui a saisi les USA, à voir l’Inde et le Pakistan rejoindre essentiellement la Russie et la Chine au sein de l’OCS. Il décrit cet évènement comme une défaite majeure des USA, dans tous les cas certainement dans la perception des USA qui ne sont pourtant guère intervenus pour tenter de contrecarre ce processus. Au reste, c’est effectivement le cas, les USA n’ont quasiment pas signalé ni encore moins critiqué les projets d’élargissement massif de l’OCS, alors que l’affaire était, comme on l’a vu, planifiée au su et au vu de tout le monde.

Il s’agit, là encore, de cette sorte d’autisme des USA pour des évènements en préparation, qu’ils ne parviennent pas à prévenir dès lors qu’il s’agit d’évènements qui leur sont potentiellement défavorables. Tout se passe comme s’ils n’arrivaient pas à croire, dans une belle démonstration d’indéfectibilité de leur psychologie, qu’on pût préparer quelque chose qui leur serait défavorable, simplement parce qu’ils ne peuvent pas concevoir que l’on puisse ne pas se contenter de se conformer à leurs prescriptions stratégiques évidemment hégémoniques, et que l’on puisse tout simplement les défier par conséquent, – puisque ne pas rester strictement aligné absolument sur les USA c’est défier les USA.

«The induction of India and Pakistan as full members of the Shanghai Cooperation Organization [SCO] constitutes a severe setback to the United States’ regional strategies. The western analysts have regarded the SCO as the “NATO of the East”. That the SCO territory is expanding and will include South Asia upsets the US interests profoundly. Arguably, it is possible to co-relate it with the unseemly hurry with which the US is pressuring the GCC states to allow the deployment of a unified missile defence system in the Persian Gulf region... [...]

»Of course, the paranoia in the American mind is understandable. The heart of the matter is that the SCO’s expansion is happening against the regional backdrop of sharp decline in the US influence in the Eurasian region.

»Defying all western propaganda, Russia and China are accelerating their cooperation and coordination of regional policies in Central Asia. Prestigious US think tanks have produced dozens of reports in the recent years, analyzing that there are serious contradictions and conflict of interests between Russia and China that put them at loggerheads in Central Asia. The US analysts often tried to play on Russia’s sensitivities by arguing that China is systematically replacing Russia as the dominant player in Central Asia. Therefore, the decision to integrate the Russia-led Eurasian Economic Union project and China’s Belt and Road initiative becomes a defining moment in Eurasian politics. Quite obviously, Moscow and Beijing have a shared interest in rolling back the US-NATO presence in the Eurasian region.

»Does it all hark back to Halford Mackinder’s so-called Heartland Theory, which has been a geo-strategic theory that greatly influenced the US’ regional policies toward Eurasia for a century? Yes, an understanding of the Heartland Theory may help grasp these developments in big-power politics in contemporary Central Asia...»

Cette réaction US telle que la décrit Bhadrakumar, réaction évidemment improvisée, semblerait logique et éventuellement efficace, sauf pour l’aspect essentiel de la chronologie... En effet, dira-t-on évidemment, – et l’argument leur sera opposé, – si les quatre “petits pays-stan” ou l’un ou l’autre sont réellement mécontents de l’arrivée de l’Inde et du Pakistan au sein de l’OCS, pourquoi n’avoir pas manifesté plus tôt ce sentiment et n'être pas intervenu à ce propos avant que la décision formelle d’entamer le processus d’adhésion au sommet de Ufa d’il y a quinze jours soit prise, alors que ces pays en étaient évidemment avertis, (et plus attentifs à cet égard que les USA) ? Mais dans tous les cas, quel que soit leur sentiment, il s’agit évidemment d’une pression américaniste exercée sur ces pays, avec activation des réseaux pro-US dans ces pays, notamment au niveau des experts. Selon cette logique, une tentative de bloquer le processus maintenant, après l’avoir laissé se développer sans le contester, serait perçue effectivement pour ce qu’elle est effectivement au moins en partie sinon en bonne partie : une manipulation des USA, ce qui conduirait à de très fortes tensions au sein de l’OCS, entre les quatre “grands“ et éventuellement les quatre “petits”. L’on ne voit guère la Russie et la Chine accepter une telle entrave, après avoir laissé faire le processus initial préparant l’adhésion dans laquelle ils ont beaucoup investi, concernant cette si importante décision au sujet de l’Inde et du Pakistan. (Avec, en plus, la perspective d’accepter le même processus pour l’Iran.)

Quel pourrait être l’effet de cet incident, de cette manœuvre d’une façon générale ? Comme toujours dans cette sorte de machination, il ne serait pas nécessairement favorable aux USA, parce que cet enchaînement conduirait ou conduira effectivement à un durcissement des quatre “grands”, qui forment bien entendu, aujourd’hui, la puissance fondamentale de l’OCS, et une puissance prête à être transmutée en une dynamique plus active avec l’arrivée de l’Inde et du Pakistan, — et d’autant plus active avec un tel incident... Cela pourrait en effet conduire à pousser à la transformation de l’OCS en une organisation de plus en plus politisée, se rapprochant beaucoup plus d’une alliance militaire qu’elle n’est aujourd’hui, évoluant vraiment vers “l’OTAN de l’Est” qu’a toujours dénoncée le bloc BAO en se trompant complètement sur la véritable forme initiale de l’OCS. C’est un cas classique de la tactique diplomatique où la chronologie tient le rôle essentiel : si vous intervenez très tôt, donc avant qu’il ne soit vraiment commencé, pour tenter de bloquer un processus, vous pouvez obtenir des résultats “en douceur” en le freinant, en le ralentissant d’une façon notable, sans brusquer personne, sans pousser à une radicalisation des positions qui ne sont pas encore très affirmées ni publiquement actées par des engagement ; si vous intervenez plus tard, lorsque ces positions sont très affirmées et actées par des engagement publics, c’est presque trop tard puisque vous courrez grand risque d’obtenir le résultat inverse, non seulement du point de vue politique, mais du point de vue de la forme par simple souci des acteurs visés de maintenir une attitude publique et d’écarter la possibilité d’être perçus comme cédant à des pressions extérieures.


Mis en ligne le 23 juillet 2015 à 10H39