Agonie de l’UE à la frontière syrienne ?

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Agonie de l’UE à la frontière syrienne ?

La construction européenne repose sur une des idoles de la Contre-Civilisation : l’Économie. Or, la montée de tensions entre les alliés économiques syriens et turcs montre les limites de celle-ci dans la préservation de la paix.

L’Union Européenne oligarchique

Conçue pour réconcilier après un nouveau massacre, l’Union Européenne (CECA, CEE, puis UE) a cherché à réconcilier deux des principaux pays bellicistes (la RFA et la France). Un tel projet ne pouvait se réaliser sous une égide religieuse, du fait des scissions de la chrétienté occidentale à partir du XVIème siècle et de l’impact de l’athéisme révolutionnaire dans les sociétés. La Seconde Guerre Mondiale – cette expression est bien plus neutre que “Deuxième Guerre Mondiale” qui implique qu’une Troisième a déjà eu ou doit avoir lieu – a mis fin au rêve d’une timocratie européenne, c’est-à-dire d’un système politique où le pouvoir échoit aux guerriers (cet idéal a été suivi par Napoléon, Hitler et bien d’autres). L’opposition de ces pays à une union prolétarienne de type soviétique a écarté l’option démocratique dans son sens sociologique (le “pouvoir du peuple” en tant que classe sociale). Le rêve oligarchique d’une “paix par l’argent”, étant le seul concevable a été entrepris. Contrairement à la déformation courante, nous utilisons le terme “oligarchie” suivant Platon, c’est-à-dire littéralement “le pouvoir aux riches”. En effet, cette union a été réalisée par (et pour) certains patrons qui suivaient une logique de cartel et a œuvré essentiellement dans les domaines en rapport avec les richesses matérielles. L’alliance des banquiers a ensuite contribué à l’union financière et monétaire. Il convient de souligner que tout régime est impur puisqu’un substrat des régimes précédents y est conservé et que tout pouvoir humain est relatif. Les termes employés désignent donc la tendance ou le groupe prédominant.

Les ennemis héréditaires français et allemands, ainsi que quelques États, se sont retrouvés dans une confédération. L’union des domaines phares de l’économie et la perméabilité des frontières a contribué à limiter les revendications territoriales et les autres facteurs de guerre. Cette organisation a ensuite attiré d’autres pays et s’est élargie à d’autres secteurs d’activité, bien que les partisans démocratiques et/ou démagogiques lui reprochent son côté technocratique et élitiste (en somme son approche oligarchique). Ce modèle s’est par la suite diffusé dans le monde, pour réconcilier d’autres ennemis historiques.

L’aversion syro-turque

L’antagonisme entre Syriens et Turcs est aussi vieux que celui entre Francs et Germains. La zone entre l’Asie Mineure et le Levant est demeurée instable jusqu’à sa domination ottomane au XVIème siècle. Cette conquête turque de l’ancien royaume mamelouk a provoqué un ressentiment de la part des futurs Syriens. Après la fin du califat ottoman (1922), la laïcisation d’Atatürk d’un côté et la mise sous mandat de l’autre les ont un peu plus opposés. En outre, lors de la Guerre Froide, la Turquie s’est alliée aux États-Unis et la Syrie à l’URSS. Cette histoire tourmentée a donc laissé de nombreux litiges sur les plans économiques (les barrages turcs sur l’Euphrate diminuent son débit en aval), territoriaux (un contentieux dû à l’annexion par la Turquie de la province de Hatay en 1939) et stratégiques (des relations complexes avec les autonomistes kurdes).

Les deux ennemis se sont rapprochés spectaculairement durant la seconde partie de la décade 2000, surtout grâce à l’influence de la pensée politique néo-ottomane au sein du gouvernement turc. Des coopérations économiques ont été réalisées et des discussions engagées pour régler les anciens conflits. Afin de concrétiser cette entente nouvelle, un accord de Libre-Échange a vu le jour entre ces deux pays, ainsi que la Jordanie et le Liban en juin 2010, dont la finalité était une union économique moyen-orientale. L’Économie-Roi inspirait encore confiance.

L’année 2011 a mis un terme à cette idylle. Bachar Al-Assad a, tour à tour accusé ses trois alliés économiques de servir de base arrière aux insurgés syriens (les deux grands foyers de révolte, Homs et Deraa, étant proches des frontières libanaise et jordanienne). Ces derniers ont ensuite reçu le soutien du gouvernement turc. La tension monte entre la Turquie et la Syrie avec des déclarations sans ambiguïtés. De surcroît, des exercices militaires ont été effectués de chaque côté de la frontière récemment et des contrôles empêchent la libre circulation des hommes et des produits. Le 1er décembre, la sentence est tombée, l’accord de Libre-Échange a été suspendu par la Syrie, remplacé par une taxe douanière élevée et de multiples entraves au commerce. L’objectif est de contraindre les Turcs à réviser leur position, car les routes commerciales de remplacement sont problématiques : l’Irak restant instable et la mer coûteuse. L’économie a donc échoué dans sa tentative de garantir une bonne entente et au contraire envenime la situation.

Simultanément, de l’autre côté du Bosphore, l’Union Européenne vacille… Une partie de sa population, suivant la logique du repli sur soi (coutumière en temps de crise) souhaite clore ce chapitre en rejetant les “mauvais pays” au moins de l’union monétaire. La crise financière actuelle provoque la faillite de l’idéal oligarchique. Ce type de régime est efficace durant les périodes stables où la guerre est absente (d’après La République de Platon, les oligarques refusent toutes guerres, car ils ne veulent pas les financer et craignent que les armes se retournent contre eux).

Ces derniers mois, des banquiers se sont retrouvés officiellement à la tête de certains gouvernements tels que l’Italie, l’Espagne et la Grèce. Cela peut s’expliquer par la règle suivante : lorsqu’une éminence grise affiche au grand jour son pouvoir, c’est qu’elle l’a perdu. Le principe d’une économie pacificatrice est tombé avec la situation en Syrie. L’Union Européenne semble sur le point d’officialiser cette mort…

Ismaël Malamati