“Qu’importe... Puisqu’une guerre se prépare en Europe”

Bloc-Notes

   Forum

Il y a 3 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1613

“Qu’importe... Puisqu’une guerre se prépare en Europe”

ZeroHedge.com signalait à notre attention, le 29 juillet 2014, la raison pour laquelle Poutine serait totalement indifférent au jugement condamnant la Russie à une amende d’autour de $50 milliards dans l’affaire Yukos (voir ce 29 juillet 2014). Il s’agit d’un commentaire recueilli par le Financial Times du 28 juillet 2014, en fin d’un article qui distille, la plume ourlée d’un mépris typiquement british, son gallon de poison anglosaxon garanti “tueur-de-Poutine” ; justement, il s’agit d’un commentaire d’un proche de Poutine qui dit qu’au Kremlin, on se fout royalement du jugement de La Haye, et ainsi faisant tout aussi royalement le rapprochement que nous recommandons entre cet événement et la crise ukrainienne...

«One person close to Mr Putin said the Yukos ruling was insignificant in light of the bigger geopolitical stand-off over Ukraine. “There is a war coming in Europe,” he said. “Do you really think this matters?”»

Diantre, la guerre ? Il semble que la loi 2277 du Sénat des Etats-Unis (loi S.2277) en soit, disons d’un point de vue légal, sinon le plus court du moins le plus sûr chemin pour y parvenir. C’est Patrick Buchanan, l’étrange républicain de type “paléo-conservateur” qui ne cache pas son admiration pour Poutine, qui la décortique en la présentant pour ce qu’elle est, – une loi concoctée par les républicains du Sénat, par le sénateur Bob Corker qui dirige les républicains à la commission des relations extérieures, pour menacer directement la Russie : «A GOP Ultimatum to Vlad», tel est le titre de l’article du 29 juillet 2014 de Patrick Buchanan. C’est en effet Crocker qui a concocté 2277, laquelle a déjà le soutien de la moitié des sénateurs républicains, et qui, de toutes les façons, passera si les républicains l’emportent en novembre prochain et retrouvent la majorité au Sénat. Voici la description de 2277 par Buchanan...

«Corker’s bill would declare Moldova, Georgia, and Ukraine “major non-NATO allies” of the United States, move NATO forces into Poland, Lithuania, Latvia and Estonia, accelerate the building of an ABM system in Eastern Europe, and authorize U.S. intelligence and military aid for Ukraine’s army in the Donbass war with Russian-backed separatists. U.S. aid would include antitank and antiaircraft weapons.

»S. 2277 would direct the secretary of state to intensify efforts to strengthen democratic institutions inside the Russian Federation, e.g., subvert Vladimir Putin’s government, looking toward regime change. If Putin has not vacated Crimea and terminated support for Ukraine’s separatist rebels within seven days of passage of the Corker Ultimatum, sweeping sanctions would be imposed on Russian officials, banks and energy companies, including Gazprom. Economic relations between us would be virtually severed.

»In short, this is an ultimatum to Russia that she faces a new Cold War if she does not get out of Ukraine and Crimea, and it is a U.S. declaration that we will now regard three more former Soviet republics – Moldova, Ukraine and Georgia – as allies...»

“Un petit pays céderait”, observe Buchanan, mais pas la Russie, où l’on est de plus en plus antiaméricaniste, où Poutine est soutenu à plus de 80% par sa population («The Russian people, today backing Putin by 80 percent, seem happier with their government than we Americans do with ours»), – où, ajouterait-on, règne un patriotisme ardent («un chauvinisme mystique», dit Zbigniew Brzezinski, d’une voix sépulcrale et roulant des yeux terribles). (D’ailleurs, la Russie n’a jamais douté du risque que la situation présente entretient. Medvedev lui-même, qui n’est certainement pas un fauteur de guerre, avertissait ses amis du G8, lorsque la Russie s’y trouvait encore, des risques de “guerre nucléaire régionale” [voir le 18 mai 2012]. Tout cela vient de loin.)

Bref, poursuit Buchanan, non seulement les Russes ne céderont pas mais ils se seraient déjà accoutumés à l’idée de la chose, semble-t-il (si l’on en croit la source du Financial Times), et se tiendraient prêts à riposter à la loi 2277 du Sénat. «And how Russia would respond is not difficult to predict.

»Our demand that she get out of Crimea and leave her two-century-old naval base at Sevastopol in the custody of President Petro Poroshenko in Kiev and his U.S. allies, would be laughed off. [...] To make good on our latest red line, we would have to start shipping weapons to Kiev, in which case Russia, with superior forces closer, would likely move preemptively into East Ukraine. What would our NATO allies do then?

»The U.S. directive to the State Department to work with NGOs in Russia, blatant intervention in the internal affairs of a sovereign nation, would be answered with a general expulsion of these agencies from Moscow. We would not sit still for this kind of open subversion in the United States. What makes us think they would? And where do we come off telling the Russians what kind of government they may have?... [...]

»But it may be this idea of installing a ballistic missile defense, an ABM system, in Poland and the Czech Republic, that is most dangerous of all. Putin has already signaled that this would cross his red line, that if we start implanting antimissile missiles in Eastern Europe, he will reply by installing offensive missiles. The Reagan-Gorbachev INF treaty to eliminate all intermediate-range nuclear missiles from Europe – the USSR’s triple-warhead SS-20s, and our Pershing II and cruise missiles – could wind up in the dumpster. We could have a mini-Cuban missile crisis in Eastern Europe. And how would our German allies react to Russian missiles rising in Kaliningrad, the former Prussian capital of Konigsberg, wedged between Lithuania and Poland?»

Dans sa phrase de conclusion, Buchanan constate bien plus qu’il ne menace que si un tel programme qu’implique la loi 2277 (dite “Russian Aggression Prevention Act of 2014”) est adopté d’une façon ou d’une autre, il y aura une rupture dans le parti républicain, et cela impliquerait essentiellement le départ de l’aile paléo-conservatrice/libertarienne («If the Republican counteroffer to Obama’s is a return to the compulsive interventionism of Bush II, this is where some of us will be getting off»). Ce constat illustre un climat en train de se développer aux USA, autour de l’évolution de la politique russe de Washington, et, bien entendu, des perspectives de conflit. Le vieux Ron Paul, qui n’a pas perdu son énergie ni mis sa langue dans sa poche, est de plus en plus souvent accusé de trahison par la presse-Système, à cause de ses prises de position hostiles à cette politique, et par conséquent proches de la position de Poutine. Cela signifie-t-il que la crise ukrainienne, avec sa dimension transformatrice vers un conflit impliquant la Russie et les USA, commence à entrer dans la perception politique aux USA, et cela pouvant alors figurer dans la campagne électorale des élections mid-term (novembre prochain), et peser sur les résultats ? Cela signifie-t-il que la psychologie américaniste, comme la psychologie russe, chacune à sa façon et chacune avec ses motivations et ses responsabilités, finissent par percevoir la perspective d’un affrontement comme quelque chose d’inévitable ? La loi 2277 est un de ces mécanismes dont le Congrès US a le secret, qui favorisent effectivement l’évolution mécanique vers une aggravation des tensions comme s’installe un processus normal, et cela interdisant par conséquent toute tentative de résolution du différend à propos duquel grandissent ces tensions.

Peu à peu, au milieu des polémiques, des coups fourrés et des coups montés, au milieu des affrontements où les incendiaires agissent à visage découvert et sans que personne ne songe à les arrêter, s’installe effectivement le sentiment de la possibilité de l’inéluctabilité, sinon du conflit, dans tous les cas de la tension rupturielle. Nous ne sommes plus ici sur le terrain des responsabilités historiques, voire des responsabilités de machination, mais sur le terrain plus élevé où l’Histoire côtoie la métahistoire. Cette “possibilité de l’inéluctabilité... de la tension rupturielle” correspond surtout, essentiellement, à la perception de la perte totale du contrôle des événements dans leur plus grande tendance. Certes, les uns et les autres agissent à leur niveau, la machine de provocation et de montage du bloc BAO marche à fond, mais nous parlons bien d’un sentiment puissant qui domine le reste. Plus personne ne contrôle cette crise, qui est désormais plus qu’une crise, qui est en train de devenir un destin, et qui est le destin de cette civilisation devenue contre-civilisation. Sera-ce la guerre ou bien sera-ce un autre événement d’une grande rupture ? Dans tous les cas, la “crise ukrainienne” a définitivement quitté l’aire géographique et politique où elle se trouvait primitivement enfermée, et d’où elle a surgi. Elle est complètement installée au cœur de la politique de sécurité nationale des deux grandes puissances nucléaires stratégiques, et d’autre part chacune représentant le mieux le Système et l’antiSystème. Les événements évoluent comme si l’on trouvait au bout du chemin d’une époque, d’une “ère” historique, au moment où l’influence de la métahistoire prend le dessus.


Mis en ligne le 29 juillet 2014 à 18H17