Happy apocalypse”, ou le savoir-vivre/survivre de l’apocalypse selon le Guardian

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Disons que c’est un signe symbolique mais un puissant signe des temps. (C'est de cette façon que nous considérons l'article qui nous intéresse, comme un signe, et nullement par rapport au contenu de l'article dans les mesures ou l'attitude qu'il préconise.) Il s’agit d’un quotidien de grand tirage et de réputation excellente, le Guardian de Londres. Il publie un article de Tanya Gold, ce 29 janvier 2009, sous le titre: «Life after the apocalypse», – ou, si vous voulez, et selon que votre humeur est très sombre ou roborative dans cette perceptive apocalyptique, comme c’est le cas de le dire, – “le savoir-survivre après l’apocalypse” ou “le savoir-vivre de l’apocalypse”. Le sous-titre de l’article dit : «What if the doomsayers are right ... what if society, as we know it, really is about to collapse? Do you have what it takes to make it in a world without electricity and running water? Tanya Gold offers an essential survival guide»

… Puis Tanya Gold commence:

«I am standing in a wood with a tall man and a dead pheasant. There is blood everywhere: on my shoes, my hands, my face. Why am I here? Because the man - his name is Leon Durbin - is preparing me for the apocalypse, now.

»What would happen if you awoke one morning and everyone was dead? Or if, less melodramatically, the world as we know it – and our teetering financial systems – ceased to function? What if you awoke to find your bubble-wrapped, gilded life was over, and for good? Could you survive? Could I?»

Le trait remarquable de cet article est qu’il ne s’attache nullement à l’“apocalypse” des esprits enfiévrés par les prédictions bibliques ou autres, ni même aux prévisions terribles d’un événement eschatologique pour l’instant hypothétique (une guerre nucléaire, par exemple), mais à une prospective qu'on ne peut plus considérer comme irrationnelle ou trop fantaisiste pour être considérée sérieusement. Il s’agit d’une appréciation qui est loin d’être démentie ou ridiculisée par les événements et par les prévisions, même à court terme, – d’autant que la crise économique elle-même s’élargit à d’autres domaines et qu’elle est renforcée dramatiquement par la perspective d’autres crises, systémiques ou/et eschatologiques, comme la crise de l’énergie et la crise climatique. Un article de The Independent, également de ce 29 janvier, sur les prévisions, – «Economic outlook just gets worse and worse», – confirme cela.

«The world faces its worst recession since the Second World War, with the UK on course to be bottom of the international growth league among the major advanced economies, according to the latest forecasts from the International Monetary Fund. […]

»The IMF's downbeat view found ready agreement among the elite financiers and economic thinkers gathered at the World Economic Forum in Davos, Switzerland. George Soros, who “broke the Bank of Englan”" in the ERM crisis of 1992, said the size of the problem facing the world's financial system is “significantly larger than in the 1930s”. Nouriel Roubini, professor of economics at New York University, added: “There is nowhere to hide... We have for the first time in decades a global synchronised recession. This is not your traditional minor recession.”

»The IMF says tax cuts and public spending and borrowing boosts all over the world will be useless unless the financial system is rebooted. Its managing director, Dominique Strauss-Kahn, warned: “If there's not a restructuring of the banking system, all the money you can put into [monetary and fiscal] stimulus will just go into a black hole.”»

Il s’agit, comme toujours, de l’évolution de notre perception et de l’évolution psychologique par conséquent. C'est un point significatif à cet égard que le très sérieux Guardian publie un article sur le “savoir-survivre après l’apocalypse”, selon une hypothèse qui ne contredit nullement l’air du temps, même si cela semble un exercice un peu fictionnel, d’autre part qu'il aborde ce sujet dans des conditions qui conduisent à constater qu’il ne nous apparaît plus tout à fait comme une complète fiction. La chose mesure bien notre évolution psychologique depuis le 15 septembre 2008, comment un état d’esprit nouveau s’est installé et se développe à une très grande rapidité, qui est la prise en compte comme une hypothèse extrêmement sérieuse de la possibilité de l’effondrement de notre société, dito de notre civilisation.

(Il faut noter que les journaux britanniques sont très en avance dans cet exercice. En général, il n’hésite pas, sauf ceux du domaine plus spécialisé, comme le Financial Times, dont le crédit dépend de la sauvegarde du système, à envisager les hypothèses systémiques poussées à leur terme. On y verra une facette de l’esprit anglais, à la fois marqué par un certain cynisme et un certain fatalisme, sur le cimier d’une habitude d’utiliser, à certaines occasions, la liberté de la presse jusqu’à sa logique extrême. Pour ce cas, et alors que leur attitude est souvent exécrable dans d’autres occurrence, cette attitude doit être saluée bien qu’elle ne soit guère rassurante dans ses effets.)

Dans ce cas, que peut-on dire de cette tendance? Notre parti ayant toujours été d’affirmer que la pire des choses est le réflexe de l’autruche ou le réflexe de la propagande conformiste (l’“idéologie de l’optimisme”), notre réaction sera nécessairement plutôt favorable. La réalisation des conditions catastrophiques vers lesquelles, à notre sens, nous évoluons, est évidemment préférable à l’ignorance délibérée ou par pauvreté d’esprit de ces perspectives possibles. La situation et ses perspectives sont beaucoup trop graves pour que nous songions à une autre attitude. C’est la pleine connaissance de la cause, la pleine réalisation de la catastrophe universelle que représente notre système dans la situation qu’il a créée, qui peuvent créer un état d’esprit nouveau, une psychologie nouvelle qui conduiraient éventuellement à des situations où des initiatives révolutionnaires permettraient éventuellement de changer ou de modifier en partie cette évolution catastrophique, ou, surtout à notre sens, de sortir de cette évolution catastrophique des appréciations permettant de la changer; nul ne sait si ces possibilités existent, mais nul ne pourra, s’il accepte de considérer la réalité, ne pas les considérer. Tout est préférable à l’ignorance délibérée ou par impuissance de la réalité du monde. Cette dernière attitude rend la catastrophe, si elle est possible, encore plus possible jusqu'à être probable sans que nous n'y puissions rien parce que nous nous serions mis en situation de n'y pouvoir rien, acceptant passivement un destin catastrophique que nous avons nous-même forgé.


Mis en ligne le 29 janvier 2009 à 0734