“Coup” ou pas “coup”, le nœud gordien est là...

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“Coup” ou pas “coup”, le nœud gordien est là...

1er mars 2014 – La grande polémique du jour, c’est la question : y a-t-il un “coup” des Russes en Crimée, ou n’y en a-t-il pas ? L’incertitude est d’autant plus complète que si les choses sont objectivement considérées et si l’intendance était prête (l’organisation de milices pro-russe en Crimée), – ce qui se conçoit aisément, depuis que les troubles durent, – il n’y aurait pas besoin des Russes pour organiser un “coup” anti-Kiev en Crimée tant la majorité de la population est favorable à cette option et la détermination de s’organiser et de s’armer contre Kiev palpable. Déjà, la notion de “coup”, dans l’esprit de la chose, est très largement ouverte au débat. Quant à la soi-disant illégalité de la chose, au vu de ce soutien populaire et de l’illégalité du pouvoir à Kiev puisqu’il est né du viol d’un accord formel arrangé par l’UE à la suite d’une campagne de protestation contre un président démocratiquement élu (voir MK Bhadrakumar, le 1er mars 2014), les cris d’orfraies du parti des salonards du bloc BAO ont quelque chose de lassant ou de dérisoire c’est selon, à force d’hypocrisie ou d’aveuglement c’est selon.

... La vérité fondamentale de la situation qui donne la vraie image de cette crise à ce point en fixant la résolution des uns et des autres, paradoxalement et une fois n’est pas coutume, c’est peut-être John McCain qui nous en résume une partie, assez brutalement : « Republican Senator John McCain, a long-time Putin critic, said diplomatic and economic sanctions could be imposed. But Putin does not fear the United States, he told CNN.» Cet avis est complété par celui, aussi brutal, d’un ancien ambassadeur US en Ukraine reconverti dans l’expertise-Système à la Brookings, – et les deux nous montrant que la psychologie US est en train d’absorber une bonne dose de réalisme qui n’est pas exempt du “néo-iso” (le 28 février 2014) dont on parle tant. (Les deux avis, dans Reuters, le 28 février 2014.)

«Steven Pifer, a former U.S. ambassador to Ukraine now at the Brookings Institution think tank, said it was inconceivable that the United States would consider a military response were Russia to seek to gain control of Crimea, and that it had few plausible options to oppose such a move. “If you look at the U.S.-Russian relationship, what kinds of things could we do to punish them? There are not a lot of good levers there,” he added. Putin has proved immune to U.S. calls for Moscow to stop supporting Syria's government in its three-year-old civil war. And the United States was unable to prevent Putin from staging Russian incursions into neighboring Georgia in 2008.»

D’une façon, générale, les commentaires et appréciations diverses du côté américaniste montrent plus d’incertitudes, d’hésitations, d’interrogations, que de résolution (voire même une sorte de regret jaloux que les Russes puissent avoir cette résolution et cette direction qu’eux-mêmes n’ont plus, – voir plus loin). Le côté “une invasion a son prix et il sera payé” du président Obama se comprend comme un avertissement qu’il fallait bien qu’il lance, mais qui sonne de sa nonchalance habituelle et de l’extrême impuissance qu’il a développée dans son action. Quelques mots du Guardian, du 1er mars 2014 montrent cette pusillanimité dans l’accusation ou dans la réflexion, y compris dans un tweet de l’ambassadeur McFaul (qui vient de quitter Moscou pour incapacité d’y déclencher la révolution) ; on l’aurait cru plus combattif vis-à-vis de ses ex-hôtes russes que dans cette remarque où il semblerait presque les prier de se défausser de toutes les accusations lancées contre eux :

«“This is not a ragtag force,” said Brigadier Ben Barry, a specialist on land warfare at the International Institute for Strategic Studies. “When you see a new militia, they will have a jumble-sale look. This lot are uniformly dressed and equipped and seem competent and efficient.” Michael McFaul, until last week the US ambassador to Russia, wrote on Twitter: “If gunmen in Crimea are not acting on Kremlin's behalf, it would calming for Russian government to say so. Silence fuels uncertainty, instability.”»

Effectivement, faut-il revenir à la polémique du “coup” ? On a déjà beaucoup donné avec l’exercice démocratico-sémantique qui accompagna, à Washington, l’interprétation de l’action des militaires égyptiens contre le président “démocratiquement élu” Morsi, jusqu’à faire émettre à certains, à Washington toujours, l’avis qu’il pourrait s’agir, – espèce rare en plein développement malgré l’effet du global warming, – d’un “coup d’État démocratique”. Le cas Russie-Crimée est complexe d’une toute autre façon, à la fois parce qu’il n’y a pas du tout d’animosité en général entre les producteurs russes d’un “coup” éventuel et ceux qui en seraient les prétendus victimes en devenant ainsi les bénéficiaires ; à la fois parce que les mêmes Russes, pour être auteurs du “coup”, n’ont nul besoin réellement d’en faire les préparatifs puisqu’ils sont installés au cœur du pays avec leur immense base navale de Sébastopol. D’ailleurs, les accords de location de cette base sont truffés d’additifs autorisant des détachements russes de circuler hors de la base pour des missions de logistique, de maintenance, etc., ce dont il semble assez logique de penser que les Russes ne se privent guère. (Comme nous l’écrivions le 28 février 2014, en guise de plaisanterie, à peine, mais s’avérant finalement assez sérieux : «“Pourquoi envisager une invasion russe de la Crimée puisque la Russie se trouve en Crimée ?”, observe un observateur qui ne manque pas de saupoudrer d’humour ses observations...»)

Cela fait que l’argument principal des accusateurs de Kiev se réduit au développement du cas légal de la violation de la souveraineté ukrainienne, aussitôt contré par les autorités de l’entité semi-indépendante de Crimée, fraîchement renouvelées dans un sens pro-russe qui ne déplaît pas à la population et qui s’estiment menacées par les invectives de Kiev, jusqu’à envisager d’appeler les Russes à leur secours, – Russes qui seraient déjà là, assure-t-on en se répétant un peu, dans une sorte de cercle logique sans fin. Là-dessus, cet imbroglio se pare d’une rigueur douteuse si l’on se remémore les conditions dans lesquelles le nouveau pouvoir ukrainien à Kiev a été “adoubé”, ou plutôt installé à la place où il se trouve, comme dirait l’autre en mode d’inversion “à la force des Kalachnikov”. Les Russes ont beau jeu de répondre que leur seul interlocuteur légal est le président Ianoukovitch qui n’a pas été destitué dans les règles, qui sont complexes et fort longues, et que ce président-là n’a pas l’air de considérer qu’il y a “invasion” de la Crimée, – et l’on comprend pourquoi puisqu’il se trouve à Roscoff-sur-le-Don, à l’invitation protectrice de la Russie. Et ainsi de suite ... On n’a pas d’argument impératif pour qualifier de “russes” les premières opérations (prise de contrôle du Parlement et de deux aéroports), et l’expression employée a été le plus souvent de forces “parlant russe”, ce qui ne mange pas de pain ni ne manque de sel dans une région où l’on parle russe comme vous et moi (titre un peu kafkaïen du The Independent ce 1er mars 2014 : «The invasion begins: Armed Russian-speaking gunmen hold Crimea in their grip», – “l’invasion des hommes-armés-parlant-russe” ?). On a eu de nombreux exemples de cette difficulté de prouver l’improbant ; par exemple, Luke Harding, ardent antirusse du Guardian, écrivant le 28 février 2014, avec souligné en gras de notre part :

«Overnight, alleged undercover Russian special forces seized control of Simferopol airport, in the administrative capital of Crimea. The move comes less than 24 hours after a similar squad of shadowy, well-armed, Russian-speaking gunmen seized Simferopol's parliament building and administrative complex. If anyone was in doubtwhat this meant, the gunmen left a clue. They raised a Russian flag above the parliament building...»

... Bien, que faut-il alors penser de ces foules qui, sur la place baptisée Euromaidan, manifestèrent sans relâche, parfois sinon souvent, à l’ombre du drapeau étoilé de l’Union Européenne ? Qu’elles constituaient des forces, Ukrainian-speaking, – après tout, qui oserait nier que l’Ukraine est une nation européenne en devenir d’UE ? – qu’on pourrait qualifier d’undercover European special forces ?

Tout cela est byzantin et ne conduit nulle part. Simplement, il faut savoir qu’aucun élément déterminant ne permet d’affirmer qu’il s’agit de soldats russes, et qu’aucun élément déterminant ne permet de juger ridicule l’affirmation qu’il s’agent de forces paramilitaires criméennes (est-ce le bon qualificatif ?). Tout cela est byzantin et, finalement, sans importance essentielle. Il est acquis aujourd’hui que la narrative inconsciemment admise est qu’il y a eu un “coup” des Russes, et il faut accepter cela comme une réalité psychologique ; pourtant, cette narrative parle bien de “coup” et non d’“invasion” (ceux qui emploient ce mot l’orne de guillemets pleins de clins d’yeux). En fait, les conditions diverses, en Russie, en Crimée, en Ukraine, font qu’on ne peut en aucun cas extrapoler une comparaison de cette précision de la narrative avec, par exemple, les expéditions soviétiques à Berlin-Est (1953), à Budapest (1956), à Prague (1968), en Afghanistan (1980). La différence considérable est que les Russes sont presque chez eux en Crimée, et qu’on les y accueillerait, qu’on les accueille qu’importe, bien plus comme des libérateurs que comme des occupants. D’ailleurs, – et admettant encore l’hypothèses que les “Russian-speaking gunmen” soient des Russes, – tous les reportages, photos à l’appui, mettent l’accent sur les excellents rapports entre ces hommes armés et les civils, et sur l’excellent comportement des premiers. (Selon Russia Today du , qui en reste à l’hypothèse de forces paramilitaires criméennes, «One of the witnesses told LifeNews website that the armed men are members of ethnic Russians' 'self-defense squads'. “We were here and saw them arrive. Nice guys, polite. Not insolent. They have been patrolling the place to safeguard it from possible arrival of radical Ukrainians.”»)

D’autre part, cette narrative qui entre dans les esprits en général qu’il s’agit bel et bien d’un “coup” (d’une “invasion”) russes ne se paie nullement d’un prix de communication exorbitant. L’ensemble donne des résultats intéressants pour les Russes : ils apparaissent durs et inflexibles, intransigeants devant le défi que constitue pour eux la crise ukrainienne machinée dans sa phase finale par le bloc BAO, sans pour autant apparaître comme des envahisseurs brutaux et grossiers, s’appuyant sur une force incontrôlée. Envisageant les deux hypothèses (milices criméennes ou groupes russes), on peut avancer hors de la polémique pour pénétrer sur un terrain plus général et noter la manière coordonnée, discrète, extrêmement intégrée dans la vie normale du pays (de la Crimée), avec laquelle les divers groupes ont opéré. L’opération générale d’investissement s’est faite et se poursuit d’une manière remarquablement efficace, contrastant avec les manières traditionnelles qu’on a coutume de proposer pour définir les techniques et les comportements russes, ou associés. L’investissement de la Crimée se fait comme l’on dirait d’une marée silencieuse, contrastant notablement avec les techniques bruyantes et sonores des diverses “révolutions colorées”. Encore une fois, la Crimée est un cas à part, mais justement le choix d’aborder l’affaire ukrainienne par le cas “à part” de la Crimée, aussi évident qu’il apparaît une fois qu’il est accompli opérationnellement, contribue à cette tactique de déflection de communication qui permet d’écarter des attaques trop violentes contre la Russie. On peut avancer que toutes les attaques contre Poutine, la haine développée contre lui, sa démonisation, etc., se trouvent prolongées désormais d’une véritable peur, sinon d’une trouille considérable de la puissance russe qui, au contraire de celle du bloc BAO qui parle beaucoup et n’agit guère sinon en sous-main, parle peu mais agit beaucoup, et surtout très vite, de façon déterminée, et d’une façon très précise. (Exemple encore, le vote ultra-rapide du Sénat russe donnant au président le droit d’utiliser les troupes en Ukraine, si besoin est, ce qui donne l’impression d’un système qui marche, au contraire de l’américaniste.) Encore une fois, le choix de la Crimée est excellent à cet égard, parce qu’il permet cet exercice tout en douceur, qui constitue d’une certaine façon l’application des tactiques de la guerre de troisième génération (G3G, guerre-éclair, intervention par commandos, forces de réaction rapide, etc.) dans un cadre du guerre de quatrième génération (G4G) où comptent les arguments non-militaires, le cas des principes comme la souveraineté et la légitimité, en plus des attributs asymétriques militaires et de violence.

En ce sens, la Russie est en train d’affirmer une réputation d’action militaro-politique et de communication qui est tout le contraire de l’immobilisme et de la paralysie occidentales. Combien de fois Moscou a-t-il dit, à propos de l’Ukraine, que “toutes les options sont sur la table”, comparé au nombre de fois où la chose a été dite à propos de l’Iran, éventuellement de a Syrie, pourquoi pas de machin-truc, par les pays du bloc BAO ? Cela conforte le statut de puissance de la Russie, d’une puissance sûre d’elle pour servir d’arrangeuse, de faiseuse de compromis dans les affaires délicates hors de sa zone d’absolue légitimité (Syrie), et d’autre part d’acteur intransigeant, agissant avec détermination et une extrême rapidité dans les cas différents où les principes mêmes de la nation sont considérés comme mis en cause. Cela met en évidence une fois de plus combien l’action de la Russie, même dans les cas les plus délicats comme celui de cette crise, surtout dans ce cas, est un acteur principiel, qui, lorsqu’il agit, s’appuie sur la puissante structure des principes et nimbe son action de la vertu de l’antiSystème.

« But Putin does not fear the United States »

Ici, nous voudrions passer au niveau de la psychologie qui imprègne les rapports des acteurs différents dans cette crise. L’agitation incohérente des élites-Système du bloc BAO a fait place à une inquiétude indicible. La haine ordinaire pour Poutine faut place à une hostilité craintive, interrogative, – «But Putin does not fear the United States», dit McCain, mi-stupéfait, mi-admiratif. Andranik Migranyan, directeur de l’Institut pour la Démocratie et la Coopération de New York avait écrit un texte pour Russia Today, le 24 février 2014, où il tentait d’expliquer “leur” haine pour Poutine, c’est-à-dire pour la Russie, et terminant par cette longue digression sur la psychologie...

«In addition, I think there is another psychological factor that I would like to discuss, especially in view of the fact that often, when O’Reilly turns to Krauthammer for comments, he does so invoking Krauthammer’s psychology background. Krauthammer, for all his education, rarely has any idea of the psychology of other people that dictates their actions, but nonetheless I can make some inferences about his own psychology, as well as that of O’Reilly, Senator McCain, Dennis Miller, and a number of others who, at the very mention of Putin’s name, erupt in hysteria. I will take the risk to suggest that this is provoked in no small part by their own psychological troubles. It looks to me as if they subconsciously adore Putin, understanding that he personifies the type of leader which they desire for their own country, and who reminds them of Ronald Reagan – who America considers to be the personification of the ideal leader, is admired among Republicans and Democrats alike, and considered to be one of America’s strongest presidents after World War II. Putin is the same type of “great communicator” that Reagan was; the type who connects directly with the people and easily explains complex issues of domestic and foreign policy. This is what accounts for his perpetually high rating and the high level of trust that the electorate has in him. It is no accident that Putin is respected by people who have worked with Nixon and Reagan. We can enumerate among them Kissinger, Buchanan, and Rohrabacher. Vladimir Putin is charismatic, strong, autonomous, confident, decisive, and effective, and has demonstrated all of these qualities with his actions, not his words. These qualities he has showcased in domestic and especially in foreign policy. He exhibited them in his opposition to the Iraq and Libya interventions. He rescued President Obama from a similar fiasco in Syria. Putin further stated his attitude towards the Arab Spring, and has been constructive in his handling of the problem with the Iranian nuclear program. We can continue the list ad infinitum. Thus, venerating Putin and desiring the selfsame leader for America, these people are threatened by the very thought that they are obsessed with him, and try their hardest to remove any suspicion of harboring such feelings; and the more they think about it, the harder they try to rid themselves of the idea, resorting to spewing all sorts of dirt and villainy in the public discourse so no one would accuse them of admiring this politician. This is a form of sadomasochism, a love-hate situation from which they cannot escape. I cannot otherwise explain the phenomenon of them constantly vilifying and attacking the person who is ideologically closest to them. Without trying to understand their subconscious, there is no way to make sense of their behavior towards Putin.

»At the end of the 1990s, William Safire in his New York Times column turned to Madeleine Albright and Evgeny Primakov and said, “Do not be ashamed to say that you are Jews.” I would like to turn to O’Reilly, Krauthammer, Senator McCain, Dennis Miller, and others who try to conceal their fondness for Putin with their foul attacks. I would like to appeal to them paraphrasing Safire: “Gentlemen, do not be afraid to say that you love Putin, that you dream of such a leader for the US.” I am confident that this will remove the heavy psychological split in which you exist. It will ease your neurosis and you will cease to poison the atmosphere of Russian-American relations.»

Ce puissant embarras psychologie joue un rôle prépondérant pour poursuivre et élargir une crise qui est, à mesure de cette attitude, complètement exceptionnelle. Dans le cycle actuel, nous sommes partis de l’“escarmouche” de la Géorgie d’août 2008 qui avait plongé le bloc BAO dans la panique la plus complète en révélant son impuissance à riposter, avant qu’il ne sombre dans la crise financière. Vint l’intermède du “printemps arabe” où le bloc crut se retrouver, où il développa une politique d’une pauvreté remarquable, où il développa en réalité son cours catastrophique en tournant l’épicentre de sa crise par les marges sudistes et moyenne-orientale, croyant y trouver la résurrection de sa puissance et ne faisant qu’accélérer le moment de l’empoignade centrale, en érodant les restes pitoyables de cette puissance au contraire. Il semblerait qu’avec l’Ukraine, ayant effectué le cercle Nord-Sud, puis Sud-Ouest/Sud-Est pour remonter Sud-Nord (Géorgie, Libye, Syrie, et retour avec l’Ukraine), le bloc BAO se précipite lui-même dans le bouillonnement d’une crise sans précédent par sa forme, par son ampleur, par sa géographie, par sa psychologie, – avec l’Ukraine, ce vaste pays fait de débris de l’Histoire et représentant une masse qui agite toutes les contradictions européennes, en y mêlant la puissante motivation d’une Russie prise auprès de ses sources historiques et spirituelles. (On rappelle la péroraison du texte de MK Bhadrakumar, qui ne manque pas de rappeler, lui, les aspects symbolique et traditionnel marquant, du côté russe, ce pseudo-conflit d’Ukraine, face au modernisme hystérique type-UE qui entendrait réserver à l’Ukraine les traitements déstructurants et dissolvants du catastrophique FMI [le 1er mars 2014] : «The venue of Yanukovich’s press conference? Well, the city of Rostov-on-Don. Yes, the city in MIkhail Sholokov’s epic novel and one of Russia’s most sacred works of literature, And Quiet Flows the Don set against the backdrop of the Crimean War (1853-56) portraying the life of the Don Cossacks living in the Don River valley, who have been the traditional defenders of Russian people and their faith. Invoking the Cossack prehistory at this moment is highly significant — especially for the benefit of those who may not know what profound history ties Ukraine to the Russian soul.») ... Là aussi, mais par la grande porte scintillante de la tradition dans ses approches très pures, nous élargissons la définition du conflit autour de la crise ukrainienne, impliquant l’affrontement de deux perceptions du monde, ce que nous traduisons évidemment par Système et antiSystème. De ce point de vue, la modernité déchaînée à l’image du Système dont elle sert de faux-nez, trouve sur son chemin une Russie qui s’est constituée en réceptacle et en inspiratrice d’un “néo-conservatisme” antiSystème (voir le 18 décembre 2013).

Et la distribution des rôles est loin d’être faite. Les nationalistes ukrainiens, beaucoup moins “nazis” et beaucoup plus nationalistes qu’on veut bien le dire (voir le 26 février 2014), se trouvent et se trouveront vite à contrepied, ou à contre-emploi, et il y a des chances que cela leur apparaisse également assez vite. Il n’est plus un conflit aujourd’hui où cette question de la Tradition contre la modernité, suscitée par les exigences hystériques du Système plongé dans sa crise d’effondrement, n’apparaisse et ne s’affirme d’une façon ou l’autre... Alors, quand le cadre est l’Ukraine !

C’est-à-dire que les événements, depuis une vingtaine de jours, période correspondant au délai depuis notre texte du 10 février 2014, ont continué à se nouer dans cet imbroglio invraisemblable et explosif que constitue notre “nœud gordien” ; et la conclusion de ce texte peut certes servir d’illustration à l’accélération des événements de ces derniers jours ...

«On a donc compris qu’on ne plaide pas ici la prévision d’un conflit au plus haut niveau, – nous nous interdisons la prévision à cet égard, – mais la très forte possibilité de la perception de la menace d’un conflit au plus haut niveau. Ce qui nous importe à ce point, ce sont les effets de la perception d’une telle menace, car la communication est si puissante aujourd’hui que nombre de ces effets joueront avant même que le conflit ait lieu, s’il a lieu, s’il n’est pas justement empêché pour d’autres orientations par le bouleversement de tels effets intervenant avant la cause de ces effets, – les effets d’un conflit, avant que le conflit lui-même ait lieu, allant jusqu’à empêcher qu’il ait lieu pour induire d’autres conséquences inattendues ... C’est une spécificité typique du phénomène “big Now” pouvant esquisser “l’éternel présent” (voir le 29 janvier 2014), où le présent bloquée où nous met la puissance de la communication attire et retient à lui toutes les situations et les actes, y compris ceux qui devraient se développer dans le futur par rapport à ceux qui existent d’ores et déjà. Cela pourrait conduire à des situations extraordinairement inédites, passant par des phases de désordre inévitables et très rapides. La crise ukrainienne est un bon candidat pour tenir le rôle du détonateur, du nœud gordien de la crise d’effondrement du Système; en plus, cela en 2014, cent ans après 1914, au cœur de l’Europe, là où est née cette civilisation dont nous subissons la malédiction dans son avatar dit de “contre-civilisation”, le plus déstructurant et le plus dissolvant.»

C’est dire que nous devons élever les conditions de cette crise, qui est à la fois une révolte contre le Système, à l’intérieur de l’Ukraine, et un risque de conflit majeur entre des forces antiSystème et des forces-Système autour de l'Ukraine, avec la Russie nécessairement en position antiSystème, – curieuse occurrence où les révoltés d’Euromaidan pouvant se retourner contre ceux qui les représentent soi-disant, puisqu’on y reconnaît autant de corrompus qu’avant (voir Volodymyr Ishchenko dans le Guardian du 28 février 2014), pourraient se retrouver objectivement sur la même ligne que les Russes. Ce qui importe est moins le sort de l’affrontement des pressions et des menaces, voire le sort des armes éventuellement, que la perception qui grandit en nous que cette crise-là, ainsi rapprochée du centre fusionnel du Système en faisant entrer la chaîne crisique en Europe, se rapproche aussi, si elle n’en est même l’esquisse et le détonateur, de l’événement précipitant décisivement la dernière phase de la crise d’effondrement du Système. Le symbole est là, au centième anniversaire de la Grande Guerre, qui fut une “réplique sismique” majeure de la crise que nous vivons actuellement à son point de fusion.